Francis

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Les deux hommes contemplaient la jeune femme qui ne bougeait plus depuis de longues minutes. Elle avait crié, bien sûr, malgré les avertissements de Francis. Elle avait hurlé. Elle avait pleuré avec le seul œil qui lui restait.

Drôle d’impression d’ailleurs. Louis n’aurait jamais pensé qu’un seul œil pouvait laisser couler autant de larmes, comme si celui qui manquait avait passé sa réserve à celui qui restait.

Il pensait à l’Église, en la regardant. Il pensait au prêtre qu’il avait assassiné.

Son mentor. Celui en qui il aurait voulu croire. Celui qu’il avait imaginé capable de le pardonner, comme si son Dieu à lui avait été Celui de la rédemption.

Des conneries.

– À quoi tu penses Louis ?

– Je pense aux mensonges. Aux mensonges qu’ils nous font avaler depuis presque deux mille ans. Aux conneries qui permettent à ceux qui ne savent plus croire en rien de croire quand même pour pouvoir survivre.

– Survivre ?

– Ouais. Je crois que la vie, si tu ne la vis pas vraiment, c’est rien qu’un moment à passer. Sans rien dedans. Rien du tout.

Francis le regarda en souriant.

– Tu vois ? J’ai raison. Qu’est-ce que tu crois que feraient les hommes s’ils n’avaient pas cette promesse de Paradis dont ils nous abreuvent ?

– J’en sais rien. Ils nous ont pas appris à réfléchir. Ils nous ont juste dit de croire.

– Ils se suicideraient. L’humanité entière se suiciderait s’il n’y avait pas cette promesse d’un monde meilleur. J’en suis sûr.

La fille se mit à remuer au moment où Francis prononçait ces mots. Comme si la voix grave de son tortionnaire l’avait tirée de l’enfer où elle avait sombré.

– Elle se réveille. On va pouvoir continuer Louis. Tu vas pouvoir continuer.

Louis fixa la jeune femme avec attention. Elle ressemblait à toutes celles qui hurlaient dans ses cauchemars. Même âge, même corpulence. Semblable à ce qu’Isa aurait pu devenir.

Il retira son habit de prêtre, mais garda le col blanc. Comme si conserver cet attribut avait une quelconque importance.

– Tu gardes ce truc ? demanda Francis.

– Ouais. J’ai envie qu’il me voit faire ça. Leur Bon Dieu qui n’a jamais été là. Leur putain de corbeau qu’ils ont cloué sur des planches. J’ai envie qu’Il voit ce que les hommes peuvent faire quand ils ont retenu Ses leçons. J’ai envie qu’Il comprenne que je ne fais qu’appliquer ses préceptes. Tuer. Faire souffrir. Imaginer que quelqu’un va me pardonner, que tout me sera pardonné, quoique je fasse.

– J’adore ça Louis. Je savais que tu pouvais pas changer. T’es mon frère, Louis. Mon frère dans le péché. C’est beau, non ?

La fille les fixait en geignant doucement, comme si l’enfer dans lequel elle était tombée n’avait plus de prise sur elle.

Louis, entièrement nu, mis à part son col romain, se dirigeait vers elle avec un grand sourire.

– Elle est bien cette chambre que tu as construite, Francis. Elle est vraiment bien. Et puis mettre toutes les photos de ces filles, c’est une bonne idée.

– Ouais. Je les développe ici, dit-il en désignant un bac que Louis n’avait pas vu, collé contre le mur du fond. Je peux pas les filer à un photographe. Il supporterait pas mes expériences.

Ces expériences. Louis était surpris que Francis continue à employer le terme qu’ils utilisaient quand ils n’étaient encore que des hommes en devenir. Quant à lui, il avait parfaitement conscience que les crimes qu’ils commettaient avaient dépassé le stade de l’expérience.

La fille remuait la tête de droite à gauche, comme pour nier la réalité de ce qu’elle subissait. Louis aimait bien la regarder. Malgré la déformation due à son œil manquant, elle restait plutôt jolie. Pas une beauté, certes, mais agréable à regarder.

– T’as un petit ami ? Un mari ? Un fiancé ? Il ne devait pas s’ennuyer avec toi. Je dis devait, parce que maintenant, il ne risque pas de te retrouver. Quand on aura fini, il ne va rester que des morceaux. Je te raconte pour que tu saches bien. Les filles, on les coupe en morceaux quand on a fini. On les met dans la terre, sous les arbres. Les arbres, ils adorent ça. Ils poussent encore plus haut. Comme pour montrer à Dieu les morceaux qu’on leur a donnés à manger. Parfois, avec Francis, on regarde les champignons qui poussent dans la mousse et les aiguilles, et on s’imagine que c’est les bouts des filles qui sortent de la terre. C’est beau non ?

Encore ce mouvement de la tête.

– Arrête de bouger, ça ne sert à rien. Sinon, on va être obligé de t’attacher la tête aussi. Ce sera moins confortable pour toi.

La jeune femme regardait sans comprendre les deux types qui la dominaient de toute leur hauteur. L’un d’entre eux était réellement un prêtre et ça, c’était juste pas possible. Elle avait entendu, comme tout le monde, des histoires de prêtres un peu bizarres, avec parfois une tendance à abuser des jeunes enfants, mais jamais rien sur des prêtres assassins.

Pourquoi avait-elle décidé de cette randonnée, toute seule ? Quelle conne, mais quelle conne ! Et cette douleur, incessante, cette douleur qui pulsait presque en sourdine tout au fond de son corps. Cette douleur à laquelle elle s’efforçait de na pas penser pour ne pas hurler à nouveau. Elle imaginait ce que sa vie aurait pu être si elle n’avait pas croisé celui qui ressemblait à Bob Marley.

Bob Marley.

« Redemption Song ».

Sa chanson préférée, à elle et à des millions de personnes tout autour de la terre. Elle connaissait les paroles par cœur, et se les récitait pour continuer à croire. Croire qu’elle allait survivre à ce cauchemar.

Survivre à cet enfer.

À ces deux hommes qui jouissaient de la voir souffrir.

« But my hand was made strong By the hand of the almighty… »

Le Tout Puissant, tu parles. Il était où le Tout Puissant pendant que ces types avaient décidé de la charcuter comme un veau dans une boucherie ?

Il était où le Bon Dieu dont sa mère lui avait rabattu les oreilles durant toute son enfance ?

Il était où ? Et pourquoi elle ?

Pourquoi elle ? Pourquoi ?

Penser, pour oublier la douleur. Chanter pour oublier qu’elle ne reverrait jamais sa mère, son père, et tous les gens qu’elle aimait.

Bob chantait. Il chantait et sa voix emplissait tout son corps. Il riait en chantant et la regardait pour qu’elle ne voie que lui, et plus les deux hommes qui avaient décidé de la couper en morceaux.

Elle remuait la tête au rythme de la chanson, et Francis se rapprocha de son oreille, pour lui murmurer quelques mots.

– Tu vois, je t’avais dit. T’auras pas mal. Si tu cries plus, t’auras pas mal. Pas trop.

– Pourquoi tu lui mens, Francis ? Pourquoi tu lui laisses croire que la douleur est terminée ? Il faut qu’elle ait mal. Comme Isa a dû avoir mal quand elle est morte dans les bois, abandonnée de tous au milieu de nulle part. Il faut qu’elle ait peur, comme Isa a dû avoir peur quand les chiens errants l’ont dévorée.

– Mais t’en sais rien Louis. T’en sais rien. Elle a juste disparu. Elle est peut-être quelque part, enfermée dans une cave depuis toutes ces années. Elle est peut-être pas morte, répondit Francis en s’écartant de la jeune femme.

Louis, qui venait de se mettre à califourchon sur la fille, regarda Francis.

– Je sais qu’elle est morte. Sinon, elle aurait trouvé le moyen de revenir. Elle aurait trouvé le moyen de s’échapper et de nous chercher. C’est sûr, Francis. Elle est morte depuis presque vingt ans. Ouvre la bouche, toi. Ouvre grand.

La fille obéit à l’injonction de Louis et celui-ci glissa son membre dressé entre les lèvres de sa victime.

– Passe-moi le couteau Francis. Je veux voir ce que ça fait quand elle crie avec moi dedans.

Francis lui tendit l’arme qui avait repris sa couleur d’origine. Louis approcha la lame de l’oreille de sa victime et elle faillit s’étouffer quand elle hurla.

Le sexe lui emplissait la gorge et il se retira pour la regarder en souriant.

– Si tu cries, il va le faire, il va te couper la langue.

– Je le ferai pas Louis. T’aime bien quand elles crient. Je le ferai pas.

Louis se recula légèrement, et approcha la lame du torse nu de la jeune femme. Quand il traça la croix sur chacun de ses seins, et qu’il approcha son visage, elle vit son sang qui jaillissait rougir le col romain de celui qui se croyait prêtre.

Elle hurla à nouveau.

Le cri de l’animal, face au boucher.

Le cri du début de l’humanité. Le cri de la femme qui se délivre de l’enfant qu’elle a porté pendant neuf mois.

Et elle sentit couler sur elle la semence du prêtre.

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