Isa

7 minutes de lecture

Elle se réveilla.

Sensation d’étouffer. Impression de ne plus pouvoir respirer comme quand elle jouait aux monstres et qu’elle se cachait sous la couverture. Elle ne supportait pas les endroits clos. Il se moquait d’elle tout le temps à cause de ça. Il se moquait, mais elle ne se souvenait plus qui il était.

Souvenirs juste derrière la douleur. Images qui lui revenaient en boucle.

Un monstre. Un monstre sur elle qui lui faisait mal. Elle avait mal à l’intérieur. Tout au fond d’elle.

Goût de la terre dans la bouche. La terre. Et autre chose. Goût de métal. Du fer peut-être.

Elle ne pouvait plus respirer.

Elle avait déjà senti cette odeur. Elle ne savait plus où. Une odeur de fleur et d’herbe coupée. Les parfums de la forêt. Elle les connaissait. Elle savait ce qu’était la forêt, mais elle ne savait pas où elle était.

La forêt.

Les arbres.

Elle ne pouvait plus respirer.

Mensonge. C’était un mensonge. Quelqu’un lui avait dit ça déjà. Elle savait plus qui, mais quelqu’un lui avait dit.

C’était un mensonge.

« Si tu pouvais plus respirer, tu serais morte. »

Elle était morte peut-être. Elle n’était pas sûre mais peut-être que c’était comme ça quand on était mort alors elle essaya de bouger un peu, mais elle était enfermée dans quelque chose. Quelque chose de dur. Elle posa ses mains sur ce qui l’entourait et elle connaissait ça aussi. Du bois. Elle était enfermée dans du bois. Au milieu des planches.

Donc elle était morte. Ils l’avaient mise dans un cercueil. Elle avait déjà vu des cercueils. Plusieurs fois. Des cercueils où on mettait les gens morenterrés.

Morenterrés.

Entendu ce mot aussi. Elle savait plus où. Elle savait plus quand. Elle était mortenterrée, et c’était pour ça les planches autour d’elle. C’était pour ça l’air qu’il n'y avait pas. Qu’elle ne pouvait plus respirer.

C’était pour ça la peur alors, c’était pour ça la douleur aussi.

Elle cogna. Elle cogna sur les planches tout autour d’elle. Elle cogna jusqu’à ce que ses mains lui fassent mal. Trop mal.

Elle ne savait pas pourquoi cette douleur quand on était mort. Elle ne savait pas.

« Les morts ils ont pas mal » quelqu’un lui avait dit.

« Quand tu seras mortenterrée t’auras pas mal. »

Alors elle n’était pas morte, c’était sûr que non. Si elle avait mal c’est qu’elle n’était pas morte et elle ne pouvait plus respirer alors c’était un mensonge. C’était un mensonge qu’on disait quand on avait peur. Il lui avait dit ça.

Elle ne savait plus qui le lui avait dit. Quand elle ne pouvait pas respirer sous la couverture. Elle ne savait pas qui il était. Elle ne savait pas son visage non plus. Elle ne savait que du noir dans sa tête.

Juste des mots qui la cognaient. Juste la douleur au fond d’elle. Le monstre tout noir qui lui faisait mal. La terre dans la bouche. La langue qui saignait.

Des heures qu’elle tapait. Des heures qu’elle s’écorchait les mains sur les planches qui l’entouraient. Elle ne savait pas où elle était. Qui elle était. Mais elle frappait encore et encore sur les parois. Elle frappa jusqu’au moment où il lui sembla entendre un craquement. Un bruit dehors, mais pas dehors. Elle était presque sûre que le bois avait craqué.

Alors elle frappa de toute la force d’une petite fille de presque douze ans. Elle cogna avec ses poings fermés. Elle cogna avec ses mains ouvertes. Elle tapa avec ses pieds, ses genoux, jusqu’à entendre à nouveau le bruit miraculeux. Le son des planches qui lâchaient enfin leur proie. Les planches qui cédaient sous les coups répétés de la petite fille de presque douze ans.

Et l’air frais qui pénétra d’un seul coup dans ses poumons. L’air qu’elle espérait depuis de longues heures. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle était dans ce cercueil.

Depuis quand elle était presque mortenterrée.

C’était lui qui disait ces mots. Lui qui murmurait dans son oreille. Lui qui lui avait dit de se réveiller. Elle sentait son cœur qui battait. Tellement vite. Elle ne se souvenait pas qu’il avait jamais battu aussi vite. Alors elle repoussa les planches devant elle et le couvercle céda sous la pression. Sans opposer de résistance. À bout de force lui aussi. Fatigué d’avoir tenté de retenir la petite fille qui ne voulait pas mourir. Ému sans doute par cette détermination sans faille. Par l’énergie dont elle avait fait preuve pour rester vivante. Le désir forcené de respirer à nouveau l’air de la forêt.

Elle se leva.

Une odeur étrange pénétra dans ses poumons. Une odeur douceâtre qu’elle ne reconnut pas. Le noir était tout autour d’elle. La nuit. Elle n’avait pas peur de la nuit. Elle le savait. Elle avait peur des monstres qui vivaient dans la forêt. Ceux qui chassaient les enfants pour les tuer et les cacher dans des grottes sous la terre.

Elle était peut-être sous la terre.

Sans doute. Le monstre l’avait cachée sous la terre. Il avait cru qu’elle n’était plus capable de respirer. Il avait cru qu’il l’avait tuée. Elle fit quelques pas et se heurta à une autre porte de bois.

C’était une maison. Elle était dans une maison, mais elle ne savait pas où. Elle ne savait pas qui elle était. Elle ne savait pas pourquoi elle était là. La porte qu’elle poussa s’ouvrit sans difficulté. Elle était à l’air libre et ne vit autour d’elle que des tombes. Le monstre l’avait cachée dans un cimetière. Parce que c’était là qu’on mettait les gens qui étaient morenterrés. Et il allait revenir. Il allait vouloir vérifier qu’elle était toujours morte. Elle était sûre de ça. Elle devait partir d’ici. Elle devait courir malgré la douleur au fond d’elle.

Alors elle courut. Elle courut jusqu’à ne plus pouvoir respirer. Elle courut jusqu’au bout de la forêt. Elle s’arrêtait quelques minutes de temps en temps pour retrouver son souffle. Pour vérifier que le monstre n’était pas derrière elle. Qu’il ne l’avait pas entendue courir. Juste les bruits qui lui faisaient peur un peu. Pas trop.

Elle savait les bruits qu’elle entendait autour d’elle. Elle savait qu’ils ne lui feraient pas de mal. Le monstre, il n’était pas là. Quand elle arriva sur la route, elle décida de ne plus courir. Les monstres n’attrapaient pas les enfants sur les routes. Ils avaient peur des hommes. Les monstres n’étaient pas des hommes.

« Les monstres c’est ceux qui se frottent sur les enfants », il lui avait dit.

Qui leur faisaient mal dedans. Il avait dit ça aussi. Elle n’arrivait pas à voir son visage. Elle savait juste qu’il murmurait dans son oreille. Qu’il lui disait qu’elle avait les yeux forêtrivière. Elle se souvenait qu’elle aimait ça. Qu’elle trouvait les mots qu’il disait si jolis.

Les phares de la voiture la cueillirent à la sortie d’un virage et elle n’eut pas le temps d’avoir peur quand le véhicule s’arrêta juste à côté d’elle.

– Mais qu’est-ce que tu fais là, jeune fille ?

Une grosse voix. Elle ne la connaissait pas. Elle ne l’avait jamais entendue avant.

– Je sais pas, elle répondit. Je sais pas. Je suis perdue. C’est à cause du monstre.

– Du monstre ?

Encore la grosse voix. Le type descendit de la voiture et s’approcha de la petite fille qui avait presque douze ans.

– Je sais pas s’il est encore là. Je crois pas.

– Tu sais, avec moi à côté de toi, le monstre risque pas de t’approcher. Tu t’appelles comment ?

– Je sais pas.

La robe de la petite était pleine de traces qui ne laissaient aucun doute sur les violences qui lui avaient été faites. Elle avait les bras recouverts de sang. Ses mains étaient écorchées. Ses coudes, ses genoux.

– Tu étais où ?

– Je sais pas. Dans une boite. Le monstre il m’a mise dans une boite. Une boite avec des planches.

– Une boite ?

Elle ne sut pas quoi répondre. Elle regarda l’homme qui s’était agenouillé pour être à sa hauteur. Il avait le visage recouvert d’une barbe toute rouge. Elle la voyait rouge comme le sang.

– Une boite comme quand on est morenterré.

– Un cercueil ? Bon Dieu… Tu sais pas comment tu t’appelles, tu sais pas où tu étais, mais il faut t’emmener dans un hôpital pour te soigner toutes ses écorchures. Tu veux bien que je t’emmène ?

Le ton de l’homme avait changé. Il venait de comprendre que la petite fille était épuisée. Elle avait besoin de soins. Il eut peur qu’elle ait eu à supporter plus que des écorchures. L’hôpital le plus à même de l’aider était à Saint-Étienne. Une heure de route environ. Un peu moins s’il décidait de rouler au-dessus des limitations de vitesse. Et les limitations de vitesse, c’était pas pour cette nuit.

Pas avec une môme dans cet état dans sa voiture.

– Grimpe dans mon carrosse jeune fille. Je vais t’aider, et t’installer confortablement sur la banquette arrière. Tu as quel âge ?

– J’ai presque douze ans. Et j’ai les yeux forêtrivière. Je sais que ça.

– Ça suffira pour cette nuit. T’inquiète pas. Les docteurs vont prendre soin de toi.

Elle aimait bien sa grosse voix. Elle aimait bien sa barbe rouge aussi. Il était tellement grand que quand il la porta dans ses bras pour l’installer dans l’automobile, elle eut le sentiment d’être dans les bras d’un ours. D’un ours gentil. D’un ours qui n’avait pas peur des monstres.

Il l’allongea sur la banquette de cuir et déposa sur elle une couverture qu’il avait prise dans son coffre, puis il referma doucement la portière, comme pour ne pas faire de bruit.

Elle eut un instant de panique, seule dans la voiture qui sentait bon comme les arbres, mais il s’installa au volant après quelques secondes.

Le bruit du moteur. Ça ressemblait à un chat qui ronronne. Elle aurait tellement voulu avoir un chat. Elle était sûre de ça aussi. Elle aurait tellement voulu.

Elle ne voulait pas s’endormir. Elle avait peur que le monstre revienne, mais il ne reviendrait pas parce que l’ours était là. L’ours allait la protéger. Elle ne voulait pas s’endormir.

Elle ne voulait pas.

Annotations

Vous aimez lire Nicolas Elie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0