Sarah

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– Bonjour ! Entrez, je vous en prie.

Sympa la nana. La première impression de Sarah était meilleure que ce à quoi elle s’attendait. La porte s’était ouverte quelques secondes après qu’elle eut sonné. La femme qui lui faisait face était celle de la photo mise en avant sur le site web de la thérapeute.

– C’est bien vous.

– Je vous demande pardon ?

– Je veux dire que c’est bien vous sur le site. C’est bien votre photo.

Le sourire était lumineux et ne cachait pas de moquerie.

– Bien sûr que c’est moi ! Sinon, ce serait tricher sur la marchandise, non ? Entrez, et asseyez-vous où vous voulez.

Elle lui désigna une porte grande ouverte entre deux toiles représentant des montagnes et des forêts. Sarah marqua un temps d’arrêt et fixa les deux toiles. Celle de droite en particulier, sur laquelle les arbres touchaient le ciel.

– Ce sont des shanshui. Cela signifie montagne et eau. Si vous vous approchez, vous allez voir l’eau qui coule au fond de la vallée. J’adore la peinture chinoise. Je la trouve sereine. Reposante. Vous aimez ?

– Oui, c’est très beau. Vraiment. J’en avais jamais vu d’aussi près. Je veux dire, j’en avais jamais vu, en fait.

La thérapeute sourit à la jeune femme et lui fit à nouveau signe d’entrer. Sarah pénétra dans une pièce dont la luminosité de ce milieu de matinée était atténuée par les stores baissés. Une douce lumière se répandait sur le mobilier de bois clair. Elle choisit un fauteuil confortable pendant que celle qui l’accueillait fermait la porte de son bureau.

– On ne devrait pas être dérangées. Je ne prends que très peu de rendez-vous et ce matin vous êtes la seule. Mais on ne sait jamais, un égaré…

À nouveau ce sourire éblouissant.

– Dites-moi ce que je peux faire pour vous aider.

– Ben j’en sais rien. C’est mon psy qui m’a parlé de vous. Que vous pouviez aider les gens. À aller mieux.

– Donc, je suppose que vous n’allez pas bien ?

– Si, ça va. C’est juste que je fais des cauchemars. Pas tout le temps, mais souvent quand même. De plus en plus souvent.

La thérapeute la fixa et posa ses lunettes sur la petite table qui les séparait. Elle avait des yeux magnifiques. Pas d’erreur possible. Sarah était bien face à un hypnotiseur. Les yeux en question étaient plongés dans les siens. Elle était presque mal à l’aise.

– Comment ça se passe ? Je veux dire, la séance, comment ça marche ?

Un sourire, encore.

– Une séance d’hypnothérapie dure entre 30 minutes et une heure. Durant la première séance, aujourd’hui, en l’occurrence, je vais essayer de faire un historique de votre cas. Quels traitements avez-vous suivi et est-ce que vous en suivez actuellement… Si on se sent, on pourra peut-être avancer un peu. J’ai l’impression que vous êtes pressée…

– J’ai jamais pris de médocs. J’aime pas trop ça. Mon psy m’a dit que je devrais peut-être aller voir un psychiatre pour qu’il me donne un traitement, mais je veux pas.

– Vous avez des angoisses ?

– À part les cauchemars qui me font me réveiller en hurlant vous voulez dire ?

Sarah avait répondu presque agressivement et la thérapeute la regarda à nouveau, comme si elle voulait voir en elle.

– J’ai besoin de vous poser ces questions Sarah. Simplement pour que nous entamions une relation basée sur la confiance mutuelle. Même si elles vous semblent ridicules ou saugrenues, j’ai juste besoin de savoir. D’accord ?

– Excusez-moi. Je suis fatiguée, et j’en peux plus.

Le sourire. Elle aimait ce sourire. Il lui faisait du bien.

– Avez-vous déjà essayé l’hypnose ou la relaxation, la méditation, la sophrologie ou tout autre chose qui pourrait avoir une incidence sur la thérapie ?

– Non. Jamais. Quand je me réveille j’ai juste envie que ça s’arrête, d’oublier ce que j’ai vu. J’ai jamais fait de méditation.

– Et vous voyez quoi ?

La question que Sarah redoutait, tout en sachant qu’il faudrait y arriver.

– Des meurtres.

– Je vous demande pardon ?

L’air étonné de la femme permit à Sarah de se rendre compte à quel point dit de cette manière, ces cauchemars pouvaient paraître ridicules.

– Je vois des filles, des femmes, toujours jeunes, qui meurent. Elles sont tuées par deux hommes. Torturées. Et je ressens ce qu’elles ressentent. La douleur, la peur, je les vois parfois, dans un reflet. Elles se ressemblent toutes. Quand j’étais petite, je les voyais moins bien. Je crois que je fermais les yeux. J’avais tellement peur.

– Vous aviez quel âge ?

– Quand ça a commencé, vous voulez dire ?

– Oui. À quel âge avez-vous fait votre premier cauchemar, si vous vous en souvenez.

– Six ans.

Éberluée, la thérapeute en hypnose. Éberluée.

Sarah laissa presque échapper un sourire mais se retint à temps.

– C’est petit, pour rêver de tortures et de meurtres, vous croyez pas ?

Marie Ruel s’enfonça dans le fauteuil où elle s’était assise face à Sarah.

– C’est jeune, effectivement. Beaucoup trop jeune. Et ça ne s’est jamais arrêté ?

– Jamais. Avant c’était que de temps en temps, une fois par an, à peu près au moment de mon anniversaire. Mais là, ça augmente. Comme s’ils avaient décidé de passer à la vitesse supérieure.

– Les deux hommes dont vous m’avez parlé ?

– Ouais. Les deux assassins.

– Combien de cauchemars avez-vous fait, environ ?

– Dix-sept.

– Vous êtes formelle. Comment pouvez-vous être si sûre ?

– Je les ai tous notés dans un carnet. À chaque fois. J’essaye de me souvenir de ce que j’ai vu, et je note. Mais il n’y a jamais grand-chose. Quelques mots, des images. Presque rien.

– Vous pourrez m’apporter ce carnet ? Ça devrait pouvoir nous aider. En tout cas, ce serait bien d’essayer. On y va ?

Sarah hocha la tête en signe d’assentiment et la thérapeute se leva et appuya sur un bouton, sur le côté du fauteuil de Sarah. Avec un bourdonnement infime, le dossier commença à s’incliner et ses pieds remontaient au même rythme. Sarah se retrouva presque allongée dans une position plutôt confortable.

– Vous voyez le disque qui tourne face à vous ? Vous allez le fixer tout en écoutant ma voix. Vous allez vous détendre et respirer profondément. Le plus profondément possible. Vous êtes détendue. De plus en plus détendue. Comme si vous vous enfonciez dans un matelas en coton.

La méthode d’induction de la thérapeute avait fait ses preuves et elle savait que Sarah ne devrait pas tarder à sombrer dans une transe qui allait lui permettre d’aller chercher au fond d’elle les peurs qui provoquaient ces cauchemars. Elle était convaincue qu’il s’agissait de visions, provoquées par l’inconscient de la jeune femme. Elle avait déjà traité quelques cas ressemblants à celui de Sarah. Jamais aussi violents, bien sûr, mais parfois reliés à des peurs ancrées au fond de l’inconscient de ses patients.

– Vous êtes de plus en plus détendue. Vous flottez, comme en apesanteur, et vous êtes totalement reposée. Vous n’entendez que ma voix. Elle vous accompagne.

La jeune femme respirait profondément et Marie Ruel sut qu’elle avait atteint le niveau qui allait lui permettre de descendre encore plus profondément. Elle avait remarqué tout à l’heure l’intérêt de Sarah pour les deux toiles accrochées au mur du hall d’entrée de son cabinet. Elle allait pouvoir les utiliser.

– Vous êtes au pied de cette montagne que vous avez regardée tout à l’heure. Vous entendez le vent qui souffle dans les arbres. Le bruissement des branches des sapins. Vous marchez sur le chemin qui descend à travers les arbres. Vous descendez de plus en plus profond dans la vallée.

Sarah était au milieu de la forêt dont lui parlait la thérapeute. Elle pouvait sentir l’odeur de la résine. Elle marchait lentement et descendait dans cette vallée qu’elle apercevait derrière les sapins. La thérapeute sentit qu’il était temps de faire parler la jeune femme de ce qui l’avait conduite dans son cabinet, et commença les suggestions qui allaient l’amener à ces cauchemars dont elle lui avait parlé.

– Vous êtes endormie, profondément. Un peu avant que ce cauchemar vous réveille.

La respiration de Sarah s’accéléra légèrement, comme si elle avait peur de ce vers quoi elle se dirigeait.

– Dites-moi ce que vous voyez dans votre rêve Sarah, et n’ayez pas peur, je suis là. Ma voix vous protège et il ne peut rien vous arriver.

– J’ai mal. J’ai si mal. J’ai mal au fond de moi. Ils rient. Ils rient beaucoup. Comme si la douleur que je ressens les amusait. Ils font les bruits des hommes qui ont du plaisir. Ces bruits que je supporte pas. Ils parlent, mais je n’entends pas ce qu’ils disent. Juste cette voix, qui murmure dans mon oreille. Toujours la même. T’auras pas mal elle me dit. C’est faux. Je sais que c’est faux ! Elle me fait penser à celle d’un acteur de cinéma. Le miroir. Ils ont accroché un miroir au-dessus de moi. C’est pas la première fois que je le vois. Je me vois dedans. Je suis blonde. Il manque des morceaux de moi ! il manque des morceaux de moi ! Ils ont enlevé des morceaux de moi !

– Je suis là Sarah. Vous entendez ma voix et vous respirez. Il ne peut rien vous arriver. Je suis là.

La respiration de Sarah ralentit et elle poussa un profond soupir.

– Allez-y Sarah. Dites-moi ce que vous voyez. Retournez où vous étiez. N’ayez pas peur. Continuez.

– Je sais qui ils sont. Je les vois. Je vois leur dos dans le miroir. Je vois celui qui est sur moi. Je vois son tatouage. C’est un visage. Le visage d’une femme. Juste son visage. Elle hurle. Elle hurle comme moi. Je vois le couteau qu’il approche de mes yeux ! Je vois le couteau qu’il approche de mes yeux ! Non ! Par pitié ! S’il vous plaît ! Ne faites pas ça ! S’il vous plaît ! J’ai trop mal ! J’ai tellement mal ! Faites-moi sortir ! C’est tout noir ! Faites-moi sortir !

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