Francis

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Francis prit soudain la direction des opérations.

Après avoir approché la lame du cou de Florence, il se tourna vers Louis.

– Je vais me foutre à poil aussi, y a pas de raison. Comme ça, on pourra profiter tous les deux.

Il retira son pantalon, son slip et son polo, et les déposa sur la table. Il était plus fin que Louis, presque maigre. Son corps portait les stigmates des coups donnés par son père le matin même. Des traces plus anciennes aussi, qui laissaient deviner que le père n’en était pas à son coup d’essai.

– C’est quoi toutes ces marques Francis ?

Louis était inquiet pour son ami.

– C’est rien. Des souvenirs de mon vieux. Juste des souvenirs.

– Depuis quand il te cogne Francis ? Depuis quand ça dure, en vrai ?

– Il m’a toujours cogné. Pas trop, parce qu’avant il cognait ma mère je pense. C’est elle qui trinquait pour nous. Pour Isa et moi, même si je suis sûr qu’il aurait jamais touché Isa. Enfin je crois pas. Mais là, il a un peu augmenté la dose.

La fille les regardait sans comprendre. Ils parlaient ensemble comme si elle n’avait pas été là. Avec eux. Attachée sur ce sommier. Allongée sur ce matelas dans cette cabane perdue au milieu d’une forêt qu’elle ne connaissait pas.

Elle n’avait plus de sanglots, plus de cris. Elle était résignée. Quoiqu’ils décident, elle ne leur offrirait pas ses larmes, ou ses hurlements.

Elle en était sûre. Tellement sûre.

Francis reporta son attention sur leur victime. Sur cette fille qu’il avait choisie au hasard d’un trajet en bus. Et le hasard, souvent, faisait bien les choses.

– On commence ? T’es prêt Louis ? On y va ?

– Ouais.

– Passe-moi le marteau. Les clous aussi.

Francis se saisit de l’outil que lui tendait son ami, et des clous qu’il avait déposés sur le matelas, à côté de Florence. Florence, qui s’était échappée, qui avait les yeux fermés, et ne voulait pas voir ce qu’ils avaient l’intention de lui faire.

– Ouvre les yeux, murmura Francis à son oreille. T’auras pas mal. Juste au début. Après, ils le disent dans les livres, quand la douleur est très forte, elle disparaît. Alors t’auras pas mal.

Elle fit ce que lui commandait l’adolescent. Elle ouvrit les yeux. Elle vit le marteau. Elle vit les clous. Elle vit Louis en train de glisser une planche sous la première.

Une croix.

Elle réalisa qu’ils voulaient la crucifier. Elle voulut hurler, mais ne parvint qu’à pousser un gémissement d’animal pris au piège. Louis la fixait avec une intensité qu’elle n’avait jamais vue chez personne. Il se nourrissait de ces émotions qu’elle laissait échapper. Il se nourrissait de sa peur.

– Vas-y Louis, à toi l’honneur.

Francis tendait le marteau à Louis, et un clou énorme de charpentier.

– Non, vas-y-toi. Si c’est moi qui cloue, je la verrai pas avoir peur. Et je veux la voir.

Ils n’allaient pas faire ça. Ce n’était pas possible que ces deux adolescents soient capables de la clouer sur ces deux planches. Ce n’était pas possible qu’elle finisse dans cette cabane. Qu’elle ne revoie plus ses parents, ses amis.

Pas possible.

La douleur la tétanisa. Alors elle hurla. Le clou venait de traverser les pieds de la fille que Francis avait réunis comme ceux du Christ sur la croix.

Le souffle lui manqua, et le cri se termina en hoquet. Elle n’avait plus d’air dans ses poumons, et elle reprit sa respiration comme sortant d’une longue apnée, et elle poussa un nouveau cri, plus rauque, plus animal. La souffrance était telle qu’elle n’arrivait plus à penser. Elle était toute entière tournée vers la douleur que lui faisaient subir les deux garçons.

Pourquoi ?

C’est le seul mot qui lui venait à l’esprit.

Pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi cette souffrance ?

– Ça c’était trop fort, dit Louis à Francis. C’est un chouette cadeau d’anniversaire que tu me fais. Jamais j’aurais cru que ce soit si bien.

Francis tendit le marteau et un clou à Louis.

– C’est à toi maintenant. C’est à ton tour.

La fille gémissait. Les larmes coulaient doucement sur ses joues. Elle pensait aux trois jours qu’elle venait de passer. Elle ne pouvait imaginer qu’ils seraient les derniers. Elle ne pouvait imaginer qu’elle ne rentrerait plus chez elle. Qu’elle ne reverrait pas sa chambre.

Son électrophone.

« On dirait le Sud, le temps dure longtemps… »

Les paroles de cette chanson…

La toilette sommaire de Francis n’avait pu enlever la totalité des marques laissées par le maquillage léger qu’elle portait en arrivant.

– C’est quoi ces marques ? demanda Louis.

– Du maquillage. Elle était pleine de maquillage. T’aurais dit une pute comme il dit mon père. J’ai pas pu tout enlever.

Louis se rapprocha de Florence et monta sur le lit. Elle tenta de l’émouvoir et murmura quelques mots.

– S’il te plaît, laissez-moi partir. S’il te plaît.

– Tu peux plus partir. T’es clouée sur la planche… Et puis, t’irais où ?

Il lui répondit avec un grand sourire, comme si la douleur de la fille n’était finalement qu’un jeu.

– Il te l’a dit mon copain. T’auras pas mal. Tu vas voir…

Elle avait le sexe tendu de Louis devant les yeux. Elle comprit, bien qu’elle n’ait jamais été confrontée au désir des hommes, que la douleur qu’elle ressentait procurait du plaisir au garçon. Il leva le marteau, après avoir posé le clou exactement au milieu de la main de Florence.

Sur sa main gauche. Au centre de sa ligne de vie.

Le marteau frappa le clou, de toute la force que Louis était capable de mettre dans ce geste.

Et elle hurla encore. Et quand elle hurla, Louis sentit la vie s’échapper de lui par son sexe dressé.

Les soubresauts qui l’agitèrent lui donnèrent un plaisir qu’il n’avait jamais ressenti jusqu’à ce jour. Ce jour béni de son anniversaire.

Il pensa au Christ, dans les églises, et se pencha pour laper le sang qui coulait de la plaie de la fille. Il releva la tête au bout de quelques instants. Son visage était maculé du sang de Florence.

– Prenez et buvez-en tous car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés…

– C’est beau, Louis. C’est trop beau ce que t’as dit. C’est le truc des curés.

– Ouais. J’avais envie de dire un truc beau pour mon anniversaire. Elle dit plus rien. Je crois qu’elle est tombée dans les pommes. C’est nul si elle voit pas tout.

Il gifla la jeune fille qui venait de s’évanouir. Elle ouvrit les yeux, et pendant un instant, elle s’imagina rentrée chez elle, dans la chambre tapissée de posters de vedettes et d’acteurs dont elle était amoureuse.

« On dirait le Sud, le temps dure longtemps… »

Puis la douleur la ramena dans la cabane. Sur le lit où les deux garçons la torturaient.

– Elle est revenue.

Elle voulut bouger la main gauche pour s’essuyer le visage, mais elle ne put que déchirer un peu plus la paume fixée à la planche. Elle n’eut pas la force de crier.

Un haut le cœur lui fit vomir un peu de bile.

– T’es dégoûtante ! Ça va sentir le vomi maintenant !

Louis s’était reculé pour ne pas être éclaboussé, et Francis attrapa le seau. Il renversa à nouveau de l’eau sur le visage et le corps de Florence.

– C’est rien Louis. Regarde. Elle est propre maintenant.

Louis souriait à Florence. Il lui souriait comme s’ils avaient été ensemble à une séance de cinéma. Comme s’ils étaient sortis en amoureux, et s’étaient allongés sur la mousse de la forêt.

Un vrai sourire.

– Elle est jolie quand même, dit-il en se tournant vers Francis. Faudra qu’elles soient toutes jolies comme elle. Et qu’elles ressemblent à Isa, un peu aussi. Tu veux bien ?

Francis opina du chef.

– Ben ouais. T’en fais pas. Elles seront toutes jolies. Ce sera comme si on faisait ça pour Isa. Pour qu’elle soit un peu vivante encore. Pas enterrée sous les arbres.

Louis ne releva pas tout de suite la remarque de Francis. Son attention était tournée vers la jeune fille. Il leva le marteau de charpentier après avoir posé le dernier clou au centre de la main droite de Florence.

Il frappa à nouveau. Un seul coup, comme pour l’autre main. Et il se pencha pour boire le sang qui coulait de la nouvelle blessure. Elle n’avait poussé qu’un gémissement. Comme si la douleur lui avait déjà pris les hurlements qu’elle avait au fond d’elle. Comme si ces hurlements n’avaient plus leur place au sein du cauchemar qu’elle était en train de vivre.

Louis se redressa. Il ressemblait au Diable qu’elle avait vu sur les images de sa grand-mère. Sa grand-mère qui lui murmurait les légendes venues du fond des âges. Ces légendes où le Diable était beau, pour mieux tromper les hommes. Où il était semblable à eux, pour mieux les confondre quand il apparaissait.

Puis la phrase de son ami percuta le subconscient de Louis.

– Pourquoi tu dis ça ? lui demanda-t-il.

– Je dis quoi ?

– Qu’Isa elle est sous les arbres.

Francis était gêné tout à coup.

– Je t’expliquerai. C’est pas important. Il faut finir l’expérience. Tu veux que je finisse moi ?

– Ouais, vas-y. J’ai plus trop envie. Ça me fait comme tout à l’heure, ce que tu disais. Comme si je voulais dormir un peu. Mais j’ai pas sommeil. Je veux juste regarder. J’aime bien regarder, je crois.

Il laissa la place à Francis qui monta à son tour sur le lit et se mit à califourchon sur la fille. Il tenait à la main le couteau qu’il avait apporté.

Florence hurla. À nouveau.

Encore.

Son cri résonna dans la cabane et fut étouffé par le sang qui remonta dans sa gorge. Elle eut une dernière pensée.

Une dernière image.

« On dirait le Sud. Le temps dure longtemps. Et la vie sûrement… plus d’un million d’années. »

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