Louis

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C’est ça le truc, Dieu, tu comprends. Cette osmose entre la douleur et le plaisir. La douleur de la fille qui se transforme en ce liquide chaud et doux qui sort de moi.

Elle hurle parce qu’elle est sûre d’avoir mal. Elle en est sûre. Et pourtant, au moment précis où le couteau touche ce qu’elle cherche à protéger, Francis arrête mon bras.

– Attends Louis, il me dit.

Attendre ? Pourquoi ?

– Pourquoi tu veux que j’attende ? je lui demande.

– Parce que t’as joui.

– J’ai quoi ?

– T’as joui. Ce qui est sorti de ta queue, ce truc qu’elle a sur elle, c’est parce que t’as joui.

Je sais pas de quoi il me parle. C’est vrai que j’ai vu, comme un témoin extérieur, cette espèce de crème qui est sortie de moi. C’est vrai que j’ai trouvé ça agréable.

Jouir.

– Et ça fait quoi que j’ai joui, comme tu dis ?

– Ça fait que tu dois attendre un peu avant de pouvoir jouir à nouveau. C’est une fille qui m’a expliqué. La fille du boucher. Quand elle me touche, et que j’ai ça qui sort, faut attendre un moment avant de pouvoir le faire sortir à nouveau.

– Ça sert à quoi ? je lui demande.

– Ça sert que c’est encore mieux la fois suivante. Comme si c’était plus fort. Comme si ça venait de plus loin dans toi.

Elle nous regarde, comme si elle comprenait pas de quoi nous parlons, mais je suis sûr qu’elle sait. Toutes les filles savent ce genre de choses. C’est leur mère qui leur explique comment faire avec les garçons. Sûrement que les pères ils expliquent ça à leur fils aussi.

Sûrement.

Sauf que le mien, il m’a jamais expliqué rien du tout. Rien du tout. Il s’est juste frotté, comme si c’était la vraie vie des hommes, de se frotter contre leurs fils. Il s’est juste frotté. Il a juste mis son sexe à l’intérieur de moi. Comme je voulais faire avec la fille. Comme je voulais faire et que j’ai pas pu. Il a juste fait ça.

J’aime pas comme elle me regarde. Comme si elle attendait de moi de la compassion pour ce qu’elle est.

Une femme en devenir. Une de celles qui laisseront faire leurs maris avec les garçons qu’elles auront. Une de celles-ci. Incapable de défendre son fils contre l’homme qu’elle entendra se frotter.

Je la hais pour ça, parce qu’elle n’est pas Isa.

Isa aurait su. Elle aurait défendu l’enfant. Elle se serait dressée contre l’homme qui aurait souhaité faire du mal à son fils.

Elle aurait su, même si cet homme, ça avait été moi.

– T’es pas Isa… Isa, elle aurait su. Toi, tu sais pas.

Je murmure. Comme une prière vers la fille qui me regarde. Francis me retire doucement le couteau de la main.

– On va la rattacher, Louis. On peut faire des trucs encore. Des trucs pour te faire plaisir, pour ton anniversaire.

– Des trucs ? je lui demande.

– Ouais. Tu vas voir.

Il s’éloigne du lit, pose le couteau sur la table, et ouvre une vieille malle qui est sans doute là depuis le premier occupant de la cabane. La fille n’a pas bougé.

Elle est idiote. Elle aurait pu se lever, puis partir en courant, ouvrir la porte, et tenter de s’enfuir loin de nous. On l’aurait rattrapée, c’est sûr, vu qu’on court plus vite qu’elle, et en plus pieds nus dans les ronces et sur les épines de pins, elle ne serait pas allée bien loin.

Mais elle aurait pu essayer. Rien que pour ça, je la hais encore plus.

Encore plus.

Elle me regarde, avec ses grands yeux forêtrivière pour me faire croire qu’elle pourrait être Isa. Qu’Isa aurait pu être à sa place. Isa n’est pas là. Elle n’a jamais été là. Elle se serait enfuie, parce que je me souviens qu’elle courait vite.

Tellement vite.

Elle souriait aussi. Tout le temps, mais elle n’est pas là. Elle n’a jamais été là.

Je resserre la corde qui retient les poignets de la fille.

– T’auras pas mal, je lui dis. Pas tout de suite. Si tu dis rien, si t’arrêtes de gémir, t’auras pas mal.

Elle sanglote, mais elle a compris. Elle fait juste des bruits de peur. Des gloussements, comme une dinde qui va passer sous le couteau du boucher.

Je ne sais pas si elle est jolie.

J’en sais foutre rien, et je m’en fous.

Le bruit de la table que Francis pousse vers le lit me tire de l’espèce d’endormissement où je sombre depuis quelques instants.

– Je me sens tout bizarre, je dis à Francis.

– C’est normal. C’est parce que t’as joui. Ça fait toujours ça. Des fois, avec les filles, après que j’ai mis ma queue dedans et que j’ai joui, je m’endors un peu.

– C’est bizarre ce truc. C’est Dieu qui a fait ça tu crois ?

Francis me jette un œil étonné.

– Dieu ? Pourquoi tu veux qu’il ait fait ça ? Faire dormir les garçons quand ils jouissent ?

– Ben peut-être pour que les filles elles aient un peu le pouvoir, je lui réponds. Pour profiter de ça pour faire du mal aux hommes.

– J’avais pas pensé à ça. C’est bien possible. Mon père, il dit ça, qu’elles veulent le pouvoir, et que c’est pour ça qu’il faut les cogner de temps en temps.

– Mon père il s’est jamais endormi derrière moi quand il a eu finit ses trucs, je lui dis.

– Ouais, mais ton père, il est relié directement avec son Bon Dieu. C’est pour ça. Il a pas les mêmes trucs que les autres hommes.

Je réfléchis un instant, puis je réponds à Francis.

– Laisse tomber mon père. Ce qu’il a fait avec moi, c’est rien que des perversions. Même avec Judith, quand elle venait chez moi, c’était des perversions.

– Ton père, je le tuerai, Louis. Je te jure que je le tuerai un jour, bientôt. Je sais pas quand, mais je le ferai. Tu verras.

Je sais que Francis me dit la vérité quand il me parle de ça. Je sais aussi à quel point il déteste mon père pour ce qu’il m’a fait. C’est étrange de me dire qu’il le déteste finalement plus que je le hais. J’ai dû mettre ça dans la cave de mon cerveau.

Une cave où je descends jamais. J’ai pas envie de voir ce qui y vit. Pas envie d’entendre les cris que j’ai poussés quand je n’étais qu’un petit garçon face au Bon Dieu de mon père qui regardait faire son pasteur.

Pas envie de voir les yeux fermés de ma mère. Ses mains posées sur ses oreilles pour ne pas entendre. Sa langue collée à son palais pour ne pas dire.

Je me tourne vers la table que Francis a poussé juste à côté du lit. Les livres de son père sont alignés dessus.

– On essaye lequel ? il me demande.

– Celui où il y a les photos qu’on aime bien. Mais la fille, faut l’attacher serréfort, sinon elle va remuer. Ça va être pas pratique.

Il retourne à la malle en fer, qui doit contenir tout le matériel qu’il a apporté de chez son père. Il dépose sur la table un marteau, des clous de charpentier, une scie rouillée, et des longueurs de cordes.

– C’est pour quoi faire tout ça ? je lui demande.

– Tu verras. Ça va être une chouette expérience. Fais-moi confiance.

Bien sûr que je lui fais confiance. Il est plus âgé que moi, et même s’il a arrêté l’école, il sait des choses que je sais pas.

– La scie, elle est rouillée, je lui dis.

– Je sais. J’ai pas pu prendre la neuve, mon père il l’aurait vu. Mais ça ira quand même. Attache-la super serré.

Je m’approche de la fille. Elle continue à faire ces bruits de gorge qui me font raidir le sexe. Je me suis pas rhabillé, et Francis il le remarque.

– C’est quoi qui te fait ça ? il demande.

– J’en sais rien. Je crois que c’est les bruits qu’elle fait.

– Juste les bruits ?

– Ouais. C’est bizarre ?

– Non, c’est pas bizarre, il me dit. Des fois, quand les filles elles font des bruits, ça me fait ça aussi.

Il est en train de glisser une planche sous la fille. Une planche de charpente, qu’il a traînée depuis le fond de la cabane.

– C’est pour quoi faire que tu mets une planche ici ? je lui demande.

– Attends, Louis, attends. C’est une surprise.

Alors j’attends. Je le laisse faire ses préparatifs. Après tout, c’est mon anniversaire et les anniversaires, c’est les autres qui font les surprises. Alors j’attends, et je regarde.

La fille elle tourne la tête de tous les côtés. Il n’y a que la tête qu’elle peut bouger. Ses pieds, ses mains, sont attachés aux montants de fer du sommier. C’est chouette de la voir remuer comme ça.

Francis attrape le couteau qu’il avait planté sur la table et ça fait plop quand il le retire du bois. Comme s’il avait pas voulu en sortir. Comme s’il savait où il va devoir aller, et que ça ne lui plaise pas trop. Pourtant, un couteau, ça n’a pas d’âme.

Ça, j’en suis sûr.

Un couteau, il fait rien qu’à partager l’âme de celui qui le tient, comme quand Francis pose la pointe sur le cou de la fille.

– Maintenant, tu vas pouvoir gueuler autant que tu veux. En plus, mon copain Louis, il aime bien quand tu fais du bruit.

Ouais, j’aime bien.

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