Francis

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La fille était morte de peur. À aucun moment, elle ne s’était doutée que ce joli garçon allait lui faire du mal. Elle l’avait déjà vu une fois en accompagnant sa tante au Temple du Mazet. Il était avec l’autre. Le plus grand.

Celui qui lui avait tapé dans l’œil au point qu’elle avait demandé à sa tante qui il était. Celui qui était entré d’abord il y a quelques minutes. Celui qui n’était pas encore venu dans la cabane.

Celui qu’elle aurait pu aimer d’amour.

Elle sentait les flots qui coulaient de ses yeux sans discontinuer. Elle aurait imaginé que ça allait s’arrêter, que son corps deviendrait sec au point de ne plus pouvoir laisser s’échapper ces rivières. Qu’elle n’aurait plus de larmes au bout de quelques heures.

Attachée sur ce lit.

Le lit.

Juste un vieux sommier de fer comme ses parents en conservaient un dans le grenier. Un sommier datant sans doute des années de guerre et qui faisait partie de ces souvenirs qu’on avait cachés, tenté d’oublier pour ne pas avoir à se retrouver à nouveau face à la douleur de la perte.

Un matelas hors d’âge jeté dessus qui lui donnait un semblant de confort. Un matelas de laine, de quelques centimètres d’épaisseur. Rugueux, couvert de crasse.

Francis avait déposé un drap sur le matelas, sans doute pendant qu’elle était endormie. Le coup qu’il lui avait donné l’avait laissée sans connaissance pendant plusieurs heures. Il avait même craint un moment de l’avoir tapée trop fort. L’odeur de poussière qui lui avait sauté à la gorge quand elle avait ouvert les yeux.

La douleur.

La peur. La peur si grande qu’il lui fasse du mal. Elle ferma les yeux.

Francis sortit par la porte qu’il lui faisait emprunter quand il l’emmenait satisfaire ses besoins naturels. Elle avait été gênée, la première fois, mais avait très vite compris qu’elle n’avait pas le choix. Qu’elle serait sinon obligée de faire ses besoins sur le matelas. Elle ne voulait pas.

Ne pas ajouter ça, à ce qu’elle était obligée d’endurer. Deux fois par jour. Attachée à une corde, autour de son cou. Une corde qu’il serrait plus fort quand elle trébuchait, comme pour la dissuader de tenter quelque chose pour s’échapper.

Le matin, très tôt, et le soir, quand le soleil se couchait.

Quand elle ouvrit les yeux, Louis la regardait. Impossible de lui donner un âge. Il était plus grand que Francis, mais il était sans doute plus jeune. Il avait un regard d’enfant caché derrière sa stature de colosse.

Louis. Le fils du pasteur. Elle avait retenu les deux prénoms.

Tellement peur. Elle avait cru un instant qu’elle allait se laisser aller et mouiller le matelas quand ils avaient parlé d’elle comme si elle n’avait pas été là. Elle avait perdu la notion du temps depuis deux jours au moins. Elle n’avait aucune idée de la date d’aujourd’hui. Aucune idée du jour.

Quelle importance ? Ses journées, entrecoupées de moment de sommeil, et ses nuits, bercées par les cris des animaux qui rôdaient autour de la cabane. Elle ne savait plus.

Louis se pencha sur elle et lui caressa la peau du visage.

Quand ses mains s’approchèrent de son cou, elle eut un mouvement de recul. La peur encore. Qu’il serre ses mains énormes autour d’elle, et qu’il l’étrangle comme il aurait pu le faire d’un petit animal. Il aurait sans doute eu pitié d’un animal.

Il murmurait. Elle entendit distinctement « forêtrivière comme Isa ». Puis elle ferma les yeux pour ne plus le voir au-dessus d’elle. Elle entendit la porte s’ouvrir à nouveau.

Francis revenait. Elle s’était évadée, et n’entendait plus les deux garçons. Elle était retournée chez elle, dans sa chambre. Elle écoutait de la musique sur l’électrophone que lui avait offert son père.

Un électrophone jaune. La musique.

Quand l’eau lui coula sur le visage, elle s’étouffa et poussa un cri de peur.

Encore un. Un de plus.

– Si tu cries, j’te coupe la gorge. Compris ?

Elle hocha la tête et Francis commença à l’essuyer à l’aide d’un vieux drap en parlant à Louis. Un dialogue qu’elle ne comprenait pas. Des mots qu’elle ne comprenait pas. Elle entendit Francis demander à Louis s’il devait la déshabiller. Alors elle retourna dans sa chambre. Elle remit le disque de Nino Ferrer sur l’électrophone jaune. Elle entendait même les craquements que faisait le saphir dans les sillons. Un disque qu’elle écoutait en boucle depuis que sa mère le lui avait acheté, plusieurs semaines auparavant.

« On dirait le Sud, le temps dure longtemps… »

Elle sentit à peine Francis lui déchirer ce qui restait de sa robe. Elle avait tellement peur qu’il la frappe à nouveau. Tellement peur.

L’eau qui coulait sur elle. Le drap, à nouveau, pour l’essuyer.

– Comment elle s’appelle ?

– Florence, elle m’a dit.

– J’aime pas ce prénom. Il est moche.

– T’as raison. En plus, c’est ton anniversaire. C’est toi qui choisis. Tu veux qu’elle s’appelle comment ?

– Isa.

Elle ne savait pas qui était Isa. Elle ne savait pas qu’elle allait mourir ici. Au fond de cette forêt.

À quelques kilomètres de la maison de sa tante. À quelques kilomètres du Temple où celle-ci passait ses journées à prier son Dieu rédempteur.

Juste quelques petits kilomètres. Louis s’approcha de la fille. Celle qui s’appelait Florence avant de s’appeler Isa. Elle avait fermé les yeux. Elle sentit son souffle quand il s’allongea sur elle, et elle n’osa pas bouger.

Il était nu, lui aussi, et elle pensa, juste un instant, qu’elle aurait pu, sans doute, en tomber amoureuse. Louis s’était déshabillé, attentif à bien replier ses vêtements sur une des chaises de bois qui entouraient la table posée au milieu de la cabane. Francis s’était reculé pour ne pas troubler son ami et s’était assis sur un vieux banc, juste sous la fenêtre.

– Je regarde pas Louis. Tu peux faire ce que tu veux. Tout ce que tu veux. C’est mon cadeau, alors faut que t’en profites.

Louis ne répondit pas. Il savait comment faire. Il savait qu’il devait faire entrer son sexe dans celui de la fille, mais il ne savait pas comment. Il se frottait sur elle, comme faisait son père quand il était enfant, mais rien ne se passait.

Sa verge n’avait aucune réaction.

Francis lui avait dit que c’était ça qui la faisait rentrer dans le sexe des filles, mais Louis n’y arrivait pas. La fille ne disait plus rien. Elle ne gémissait même pas. Louis se mit à penser aux livres de Francis. Aux photos. À ces corps ouverts face à l’objectif du photographe. À ces femmes dénudées, pendues à des crochets comme à l’étal de la boucherie où travaillait son ami.

Et sa verge gonfla. Alors il ferma les yeux.

Alors les images furent devant lui.

Alors ces corps torturés poussèrent les cris qu’il attendait.

Les hurlements de ces femmes et de ces enfants quand les chercheurs en blouse blanches les dépeçaient comme du bétail. La fille ne faisait pas un mouvement. Il était pourtant sûr que quand on faisait l’amour, les corps devaient bouger.

Francis lui avait dit. Et Francis savait.

Il sentit une résistance. Son sexe avait ouvert le passage entre les cuisses de celle qu’il suppliciait depuis quelques minutes. Il n’arrivait pas à s’enfoncer en elle comme il aurait dû.

Quelque chose bloquait le chemin qui devait l’emmener au septième ciel. Il avait lu ça quelque part.

Le septième ciel.

– J’y arrive pas Francis. Elle dit rien. Et puis y a un truc qui m’empêche de passer. Comme si elle avait un machin au milieu. Ma queue, elle passe pas.

Francis se rapprocha pour évaluer la situation.

– Merde. Elle doit être vierge. J’en ai eu une comme ça. C’est pas pratique. Faut juste que tu forces un peu.

– J’y arrive pas. Elle dit rien, et ça me fait pas durbandé. Ça me fait juste rien.

Louis se releva, et regarda la fille avec des yeux méchants. Francis ne l’avait jamais vu comme ça.

– Elle le fait exprès. J’en suis sûr. Elle le fait exprès. Elle dit rien. Elle fait pas les bruits que j’aime bien. Passe-moi le couteau.

Il tendit la main et Francis y déposa le long couteau qu’il avait apporté, impatient de voir la tournure qu’allaient prendre les évènements. Florence ouvrit les yeux, et la lumière du dehors se refléta sur la lame. Elle poussa un long cri qui se répercuta entre les murs de rondins. Presque un aboiement, rauque, et qui jaillissait du fond de ses tripes, de tout au fond d’elle.

La peur.

Louis approcha la lame des cuisses de Florence. Francis souriait et fermait les yeux. Il imaginait Louis et son sexe dressé, prêt à entrer dans celle qui se refusait à lui.

Puis il imagina la lame du couteau prendre la place de la verge de Louis, et Francis émit un borborygme, presque un gémissement de plaisir.

Il entendit la fille hurler.

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