Louis

7 minutes de lecture

Isa est là aussi.

Je vais pas pouvoir faire ce que j’avais prévu.

Francis, il est toujours d’accord, mais pas Isa. Elle veut pas que je fasse mes expériences. Je l’ai fait une fois, elle a pleuré.

Comme Judith quand Papa il est sur elle.

Les filles ça pleure. Pas les garçons.

Papa il dit toujours que les garçons ça pleure pas.

C’est pour ça que je pleure jamais.

« Tu vas faire quoi avec la grenouille, Louis ?

– Je sais pas, je lui dis.

– Tu l’as attrapée pour quoi faire ?

– Comme ça. Pour voir. »

Francis arrive en courant. Elle court plus vite que lui. Francis, ça l’énerve, mais il a toujours une excuse.

« J’ai dû fermer la barrière, sinon mon père il crie. En plus la dernière fois, il nous a tapé un peu. »

J’en étais sûr. Il aime pas quand Isa lui passe devant. Des fois, il change de tête, comme s’il était colèreénervé.

« On va faire une expérience ? »

C’était sûr qu’il allait me demander.

« Je sais pas. Il y a ta sœur, et elle aime pas les expériences.

– Tu vois, je t’avais dit Isa ! On doit faire des trucs dangereux ! Et à cause de toi, on va pas pouvoir ! »

Je regarde Isa.

Elle est jolie.

Je crois que c’est pour ça que je suis amoureuxdingue d’elle. Je lui ai pas dit.

Je lui ai pas dit, mais Francis il le sait.

Il veut qu’on soit des beaux-frères. Comme Papa et Tonton Jean. Moi, je suis pas sûr que j’ai envie d’être son beau-frère. Des fois, j’aime pas trop comment il est.

Mais en tout cas, il aime bien les expériences. Quand on sera grands on en fera sur les vrais gens. Parce que les vrais gens, ils ont une âme. Alors ils crient quand ils ont mal. Les grenouilles, elles crient pas.

Je la serre, l’air de rien, pour plus qu’elle bouge dans ma main.

« Donne-la-moi, Louis ! S’il te plaît ! »

Quand elle me demande des trucs je sais pas faire pour lui dire non. Alors je lui pose la grenouille dans la main.

« Ça chatouille ! Elle me chatouille la main ! Elle est jolie, regarde Francis ! »

Francis, il est comme moi, il a pas trop envie de regarder une grenouille gigoter dans la main d’Isa. Il aurait préféré qu’on fasse des trucs avec.

« Il te tape plus ton père ? »

C’est Francis qui demande.

« Non, pas trop, je réponds. Il fait ses trucs avec Judith. »

Isa tourne la tête vers moi et elle me regarde avec ses grands yeux. Je sais pas s’ils sont verts ou bleus, parce que des fois avec le soleil, ils changent de couleur. C’est beau comme tout. Alors je crois que sa couleur c’est forêtrivière.

Elle était contente quand je lui ai dit. Elle a trouvé ça joli.

« J’aime bien les mots que tu dis. Même si je crois que ça existe pas. J’ai demandé à la maîtresse, et elle m’a dit que les couleurs, c’était pas ça. Que forêtrivière, ça existait pas. »

J’ai dit que sa maîtresse elle savait pas toutes les couleurs.

« Il fait quels trucs avec Judith ? elle demande.

– Il se frotte, je dis.

– Il se frotte comment ? »

Je sais pas quoi lui répondre pour expliquer. J’en ai parlé qu’à Francis. Parce que Francis, il sait tout. Toute ma vie, il la sait.

« Rien, il se frotte juste. Je crois que ça lui fait mal parce qu’après elle pleure. Mais elle veut pas que je le dise. Elle a peur que mon père il abîme le bébé qui va arriver bientôt. Alors il faut rien dire.

– Je dirai rien, elle répond. »

Je sais que c’est vrai. Parce que Isa, elle ment jamais. Quand elle dit un mensonge, ça se voit dans ses yeux et sur sa tête. Elle rigole sans rigoler mais ça se voit quand même bien.

Francis il est colèreénervé. Je vois bien qu’il voudrait prendre la grenouille. Mais j’ai pas confiance.

« C’est mon anniversaire aujourd’hui Louis ! »

Ben ouais. Je sais que c’est son anniversaire. J’ai pas oublié. C’est juste que j’ai pas de cadeau. La dernière fois, il m’a donné un couteau qu’il avait piqué à son père. Un canif avec la lame qui se plie. C’est un Opinel. La lame elle est tellement usée à force de l’aiguiser qu’elle fait un creux juste au milieu. Francis il m’a dit que ça veut dire qu’il coupe vraiment fort. J’ai essayé. Il coupe vraiment fort.

Mon anniversaire, c’est le 22 mars, comme Isa. Elle dit que c’est comme si on était des frères jumeaux. Mais je lui ai dit que c’est pas possible, parce qu’elle, c’est une fille, et que les frères jumeaux, c’est que des garçons. Des fois, je crois qu’elle sait moins de choses que moi. Mais c’est normal, elle est en CP. Elle apprend à lire, et moi je sais déjà.

C’est pour ça.

« C’est quoi mon cadeau d’anniversaire ? »

Ben je sais pas. Il a raison, Francis. J’aurais dû penser à piquer un truc à la maison. C’est quand même mon meilleur copain. Les meilleurs copains, ils se font des cadeaux. Je suis colèreénervé contre moi. Et je sais que Francis aussi.

« J’ai attrapé la grenouille pour toi, je lui dis.

– C’est vrai ?

– Ben ouais. Je savais pas quoi te donner pour ton anniversaire, alors j’ai suivi la grenouille et je l’ai attrapée pour toi. »

Du coup il sourit. Quand il sourit, on voit qu’il lui manque la dent du devant. Celle du milieu. La même que moi. Sauf que moi, j’ai pas eu les sous de la petite souris. Lui il a gagné cinq francs. Cinq francs, c’est beaucoup. On peut s’acheter plein de trucs avec tout cet argent, mais il a pas voulu. Il a dit qu’il les gardait pour plus tard, pour quand il sera plus grand, pour s’acheter des trucs pour les expériences. Ça fait bizarre. Je vois pas trop comment il sera quand il sera plus grand.

J’espère qu’il sera grand comme son père. Son père, il est fort. Sûrement fort comme Tarzan. Il a des gros bras aussi. Il a de la chance Francis. Des fois, j’aimerais bien que Papa il soit fort comme Tarzan.

Parce que s’il était fort comme ça, il se frotterait pas contre moi comme un ours. Et puis il se frotterait pas non plus contre Judith. Il se frotterait juste contre Maman. Mais je crois qu’il se frotte plus contre elle, parce que comme j’ai dit, Maman, c’est un sac d’os, et qu’elle ressemble à sa mère.

C’est sûr que c’est pour ça.

Quand j’ai dit à Francis, il a dit que les papas, normalement, ça se frotte pas sur les enfants.

Peut-être que mon père il est spécial. Même si ça fait mal, des fois, je crois que mon père il est spécial.

« Donne-la-moi, Isa ! C’est mon cadeau ! Donne ! »

Isa, elle va pas vouloir. Elle sait que Francis, il est pas très gentil. Surtout avec les grenouilles. C’est sûr qu’elle voudra pas.

« D’accord, elle dit. Je te la donne, mais tu lui fais pas mal.

– Je fais ce que je veux, c’est mon cadeau. Je peux faire comme je veux. Exactement comme je veux. Alors vas-y, donne-la-moi ! »

Isa lui pose la grenouille dans la main.

Au début, Francis, il dit rien. Il a juste sa main sur le dos de son cadeau pour pas qu’elle bouge. Mais il a les yeux fermésouverts. Quand il a les yeux comme ça, ça veut dire qu’il cherche quelle expérience il va faire.

« Rentre, Isa. Va voir si Papa il est réveillé. S’il te plaît…

– Pourquoi tu veux que je rentre ?

– Parce que Maman elle a dit que quand il serait levé je pourrais avoir mon cadeau. S’il te plaît.

– C’est quoi ton cadeau ? Je dis. C’est le vélo ?

– Ouais. Je les ai entendus dire la cachette dans le garage. C’est celui de la photo du catalogue. Celui que je voulais. »

Il a de la chance. Je voudrais bien avoir un vélo comme ça, mais mes parents, ils ont pas assez de sous ils m’ont dit. Je sais que c’est pas vrai. Les sous, ils sont cachés dans la banque. Des fois, Maman elle va en chercher quand on va au Chambon-Sur-Lignon pour le marché. Elle rentre dans la banque, et quand elle ressort elle a des sous. Je l’ai vu.

Peut-être ils ont peur que je parte loin avec mon vélo, et si je pars loin, Papa il pourra plus se frotter.

C’est pour ça qu’il veut pas que j’ai un vélo qui roule vite.

Je le sais.

« Tu me le prêteras ? elle demande Isa.

– Si tu rentres et que tu regardes si Papa il est levé, je te le jure. Je te le prêterai plein de fois.

– D’accord. Mais tu fais pas de mal à la grenouille.

– Mais non », il répond.

Isa, elle part en courant sur le chemin, et elle se retourne une fois, avant le virage qui mène à la maison de ses parents. Elle me fait un sourire.

Ça veut dire que je dois surveiller la grenouille, je le sais bien, mais quand on fait nos expériences avec Francis, ça nous fait des guiliguilis dans le ventre. Lui comme moi.

On est comme des frères, pour les expériences.

« T’as ton couteau ? »

Je sais pas quoi lui répondre. Bien sûr que je l’ai. Il est toujours caché au fond de ma poche. Je sais qu’il va vouloir s’en servir pour la grenouille et Isa elle veut pas qu’on lui fasse mal.

Et Isa, je suis amoureuxdingue d’elle.

Mais Francis c’est mon copain.

Le meilleur.

Le seul.

Annotations

Vous aimez lire Nicolas Elie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0