Chapitre I

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Enfin, le grand jour est arrivé.

Il est aux alentours de 7h, soit trois heures depuis mon réveil. J’étais beaucoup trop excitée pour pouvoir dormir plus longtemps. Chez moi, devant la baie vitrée du salon, j’observe, paisiblement, les petites rues tranquilles de mon quartier. Seules une ou deux voitures sont parties de chez eux. Il est vrai que pour un dimanche, cela ne me surprend guère.

Hier, j’ai fait la visite complète de la base militaire. J'ai rencontré plusieurs adolescents là-bas, et la plupart ne m’inspirent déjà pas confiance. Je sens que cette aventure ne sera pas de tout repos. Durant ma visite, mon père et moi avons récupéré mon matériel pour l'année et sommes passés me faire une coupe de cheveux réglementaire.

Pour l'être, les cheveux des garçons ne doivent pas dépasser les 15 cm en longueur. Ils ne doivent pas toucher aux oreilles ou dépasser les sourcils. Ils ne peuvent pas non-plus descendre plus bas que 2,5 cm au-dessus du col de la chemise. Au plus de possibilités, c’est ça.

Pour les filles, c’est tout sauf simple. Toute coiffure extravagante, volumineuse ou trop haute est refusée. Les attaches ne doivent pas être décoratives. Les cheveux coiffés en tresse(s), en queue de cheval ou en chignon doivent être symétriques. Par exemple, une tresse doit être serrée, collée à la tête et alignée avec le centre du dos. De même pour la queue-de-cheval et le chignon. Les filles peuvent aussi avoir les cheveux courts. S’ils le sont, ils ne doivent pas nuire à la sécurité du soldat avec les mêmes réglements que les garçons.

Pour ma part, j’ai demandé à ce que mes cheveux soient coupés à une longueur d'environ 8 cm. J’avais déjà les cheveux courts, mais comme tout le monde, mes cheveux poussent, alors une petite mise au point était nécessaire. Tout ce qui me reste à faire, c’est amener mes petites fesses au camp avec mes valises.

J'en ai vu plusieurs apporter beaucoup de linge dans une grosse valise. En fait, ce n’est pas du tout nécessaire. L’armée nous prête des vêtements et, là, je le dis, le kit complet. J’ai donc amené un sac à dos ordinaire et j’y ai mis mes papiers importants, mon portefeuille, le strict minimum de produit de toilette, soit une brosse à dents, de la pâte à dents et mon déodorant. Sans oublier quelques morceaux de vêtements pour nos dimanches de permission. Avec bien sûr, tout mon matériel et vêtements militaires que je suis allée chercher hier à la base avec la permission du Commandant.

Ce matin, j’en ai profité pour enfiler l’uniforme réglementaire. Comme ça, je serai déjà prête en arrivant. Me voici, donc avec un chandail à manches courtes couleur tan , un pantalon militaire style camouflage, une veste militaire du même style que le pantalon avec mon nom de famille, DUBOIS, écrit dessus. J'ai finalement mis la paire de bottes noires de travail. Je suis prête à partir, je mets mes deux sacs dans le coffre de la voiture et m’assieds sur la banquette arrière.

Mes parents sortent de la maison, barrent la porte, et nous voilà en route pour la base militaire sous le soleil de l’été. J’appréhende mon arrivée, car les nouvelles recrues sont déjà là-bas depuis au moins une bonne semaine. Mes parents étaient en mission pour l’armée et n'ont donc pu signer la paperasse avant leur retour. J’espère que les instructeurs ne seront pas trop sévères avec moi à cause de mon « retard ».

La majorité de l'horaire d'aujourd'hui est consacrée à des travaux administratifs. Je vais rencontrer le Commandant de l’établissement, qui soit dit en passant est mon grand-père, pour discuter un peu avec lui. Je vais aussi devoir assister à quelques cours spéciaux que toute nouvelle recrue doit regarder sans exception. Ces réunions vont parler des règlements, de ce que nos instructeurs attendent de nous, ce genre de choses, ainsi que d'autres détails du même genre.

Nous entrons dans l’immense stationnement et descendons du véhicule. L’immeuble se dressant devant nous n'est nul autre que le bâtiment d’administration. Wow, d’accord, la bâtisse a tout de même une dizaine d'étages, j’espère que c’est le seul bâtiment qui est comme ça, sinon je ne sais pas ce que je vais faire. Les hauteurs et moi, ça fait deux, voir cinq.

Je descends mes bagages et me dirige vers l’entrée de la bâtisse avec mes parents. Vous pensiez quoi, on va quand même voir le paternel de mon père. Ils ont le droit de le voir après tout. Déjà qu'ils sont souvent en mission dans un autre pays. Nous montons dans l'ascenseur et bien évidemment, son bureau se trouve au dernier étage et je dois dire que je prend tout l’espace à cause de mes deux sacs. Plus personne ne peut entrer, tout l'espace est occupé par nous trois et mes sacs.

D'ailleurs, pourquoi fallait-il que mon grand-père soit au niveau le plus haut du bâtiment, il ne pouvait pas être un peu plus bas? Non pas que je ne veux pas y aller, mais les hauteurs, ce n’est pas vraiment mon truc. Sauf que ça, je ne vais jamais l’avouer. De toute façon, ça ne doit pas être si pire que ça, ce n’est que quelques étages, non? C’est ça, ironise la situation et ce sera pire une fois rendu à destination. À oui, c’est vrai, je l’avais oublié celle-là: ma conscience. À chaque fois c’est pareil et je suis sûr que je ne suis pas la seule. Cette petite voix au fond de ma tête qui me ramène toujours à la réalité. Le pire dans tout ça, c’est qu’elle a toujours raison.

Plus les étages défilent, plus je me sens mal. Une chance que je ne suis pas claustrophobe. Au moins, de là où je suis, je ne vois pas l’extérieur, et donc pas à quel point nous nous élevons.

Le ding caractéristique retentit dans l’habitacle et nous sortons de cet endroit étroit. Là, si tu me dis que tu commences à faire de la poésie, ça va mal. Oui, c’est vrai que pour les rimes, je ne suis pas pire à ce jeu-là. Parfois, je me demande si je n’aurais pas dû continuer mes études et m’en aller dans une carrière en littérature. Pourquoi pas? J’ai déjà commencé à écrire une histoire sur la vie d'une fille dans un ranch et pour une fois où le récit fait du sens et s’en va réellement quelque part. Je suis déjà bien avancé avec six chapitres d'écrit et encore beaucoup d'imagination en réserve.

Bon, t’as fini avec tes conneries? Tu as choisi de suivre le chemin de tes parents et pas pour n’importes quelles raisons. Tu as des choses à prouver et à montrer aux autres, alors tu n’as pas intérêt à perdre de vue tes objectifs. Oui, mais rien n’empêche de continuer d’écrire. L’écriture est ma deuxième passion. Pourquoi m’en priver? Mon dieu, il faut vraiment que j'arrête de me faire un monologue. C'est fou à quel point je peux parler toute seule.

Pendant cette grande réflexion avec moi-même, nous avons parcouru le couloir jusqu’au fond et nous sommes maintenant devant sa porte. Nous nous regardons tous les trois, un sourire espiègle au visage. Mon père cogne trois fois et recule. Nous attendons sagement la permission d’entrer.

Une fois le signal reçu, nous entrons et nous nous mettons au garde-à-vous en faisant un vacarme intentionnel avec les talons de nos bottes sur le plancher. Mon grand-père lève les yeux vers nous. Il ne s’était même pas aperçu que c’était son fils, sa belle-fille et sa petite-fille qui étaient devant lui.

En nous voyant, il sourit.

  • Désolé, je ne m’attendais pas à ce que ce soit vous.

Nous, pendant ce temps, nous sommes toujours en position, regardant droit devant nous et en essayant de ne pas rire. Je crois que mon grand-père a compris notre manège. Il secoue la tête, un léger sourire au coin des lèvres.

  • Repos, soldats.

Nous nous replaçons comme il faut et nous venons lui faire un câlin. C’est comme ça. On est peut-être dans l’armée, mais ça ne nous empêche pas d’avoir un coeur. Nous discutons d'un peu de tout ensemble puis, mes parents partent, car ils doivent retourner travailler.

Lorsque la porte se referme derrière eux, mon « soldat sérieux et à son affaire » prend le relais. Il est temps de commencer ce pour quoi je suis venue dans son bureau. Il m’explique rapidement les règlements. Par exemple, il y a un couvre-feu à 22h. Tous les matins, il y a une inspection et il ne faut pas voir un seul grain de poussière ou un petit pli sur notre chemise. Les lits doivent être faits au carré et notre arme doit être nettoyée de fond en comble. Mon grand-père prend une pause et appelle un caporal-chef avec son téléphone filaire.

Seulement quelques minutes après, quelqu’un cogne à la porte. Déjà? Il a été rapide. C’est le caporal-chef Léger qui entre. Je ne sais pas comment je dois réagir. Dois-je faire le salut militaire? Dois-je lui serrer la main? Je ne sais pas trop quoi en penser. Finalement, je reste assise sur mon siège et j’attends. Il s’assied sur la chaise à côté de moi.

Mon grand-père m’explique que puisque j’ai raté plusieurs cours à cause de mon retard, je vais devoir les rattraper en même temps que tout le reste. Ce qu’il essaie de me dire, c’est que je vais, dès demain, assister aux cours comme les autres recrues, sauf que j’en aurais en supplément le soir.

Je fais donc un « au revoir » de façon militaire et sors du bureau avec le lieutenant Léger. En sortant, j’ai pris mes deux gros sacs dans mes bras. Mon sac à dos sur mon dos et mon gros sac qui ressemble à une poche de hockey, accoté sur mon épaule droite. Pour ce qui reste de l’avant-midi, je vais ranger mes affaires dans le dortoir.

Premièrement, ce sont des dortoirs mixtes donc, pour toute personne pudique, c’est une épreuve de plus. Moi, étant à l’aise avec mon corp, je ne le suis pas. Il ne faut pas trop en faire non plus, mais tout de même.

Les pelotons regoupent toutes les personnes voulant faire leur instruction de base pour devenir un militaire membre du rang alors que les unités se spécialisent chacune sur un seul métier que ce soit les pilotes, les techniciens d'imagerie ou encore les artilleurs. Moi, je veux devenir un fantassin

Je parcours les couloirs sous les regards curieux des autres pensionnaires de la base militaire. J’avoue que la quantité de filles est assez minime. Bon et tu t’attendais à quoi au juste en t'embarquant là-dedans? De toute façon tu as l’habitude de côtoyer beaucoup de testostérones, pour ne pas faire changement. Merci la conscience, mais je n'ai pas vraiment besoin de toi en ce moment. Là, ce dont j’ai besoin, c’est de ne pas me tromper de dortoir ni de faire la petite fille à ne pas pas apporcher parce que mon grand-père est haut-gradé.

Bref, je trouve finalement le bon couloir. De chaque côté, il y a des porches avec le numéro du dortoir. La porte que je dois prendre, est la dernière, celle du fond. Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de monde ici. On dirait que je suis de retour dans mon école secondaire. Vous savez, les groupes d'élèves qui se tiennent près des casiers et les gens qui prennent toute une largeur de couloir, tu ne peux même plus passer sans bousculer d'autres personnes.

J’avance donc sous leurs regards insistant et je trouve enfin la porte de mon dortoir. J’entre sans plus de cérémonie dans cette immense pièce séparé par de petites cloison de quatre pieds de hauts. Je referme la porte derrière moi et me rends au seul lit dont les draps sont pliés sur le matelas. Il y a plusieurs personnes déjà, mais pour être honnête, je m’attendais à pire que ça. Je me faisais des films, je croyais qu'on allait me dire de sortir, que je me suis trompé d'endroit ou bien qu'on me dise bonjour, mais personne ne semble m'avoir remarqué. Je continue de ranger mes affaires dans ma petite armoire et dans le coffre sous le lit. Il ne me reste plus que ce dernier à faire ou du moins, essayer de le faire correctement. Depuis que je suis entré ici, j’ai ignoré tout le monde pour pouvoir me concentrer sur mes petites affaires comme si j'étais là depuis le début.

  • Alors, comme ça, c’est toi la nouvelle, dit une voix haut perchée et légèrement aïgue. En relevant la tête en direction de la voix, j'aperçois trois adolescentes qui m'observent. Vous voyez le cliché de la fille et ses deux copines qui vous regardent avec cet air hautain?

Je viens à peine d'arriver et les hostilités commencent déjà. Je veux juste éviter de me laisser marcher sur les pieds. La grande fille blonde devant moi se tient juste là, les bras croisés et me regarde de haut. Qu’est-ce que je lui ai fait? J'ai l'air de la déranger à un point inimaginable.

  • C’était une question ou une affirmation? lui répondis-je pas trop certaine de savoir comment lui parler.
  • Non, mais elle s’est prise pour qui elle? Vous avez vu ça les filles? Elle se pense tout permis parce qu'elle est arrivée une semaine après tout le monde. Les filles comme toi, je sais ce que vous chercher

Ne me dites pas que tout le monde est au courant de qui je suis et que le Commandant est mon grand-père. Dites-moi que c'est une blague, dites-moi que c'est un rêve et que je n'aurais pas le droit à une autre crise de jalousie. Mais surtout, d'où sort cette violence et cette envie de m'embêter.

  • Les filles comme moi, c'est à dire? Que sais-tu sur moi pour pouvoir me jugercomme tu le fais? demandais-je en tentant une approche.
  • Non, mais tu te crois où pour me parler comme ça?

J’espère ne pas devoir l’endurer trop longtemps, parce qu’elle commence à me taper sur le système avec ses airs de haut placée et de « c’est moi qui dirige ici ». Sauf que Mademoiselle Beller a décidé qu'elle ne me laissait pas tranquille.

  • Tu voudrais plutôt dire pour qui je me prends, nan? reprenais-je d'un air innocent en espérant qu'elle me laisse cette fois-ci.

J’aime bien niaiser les autres parfois. Les rendre fous pour pouvoir voir leur visage mécontent après. Il ne faut juste pas trop jouer sur la limite.

  • Vraiment? Tu veux jouer sur les mots maintenant?

On y est presque, encore un petit peu et elle va vraiment se fâcher. Oui, c’est vrai, je suis une petite emmerdeuse, mais pas pour tout le monde. J’aime bien jouer sur la limite de certaines personnes, je trouve ça drôle. C'est juste pour les taquiner un peu, pas pour être méchante.

  • De toute façon j’ai pas peur de toi.

Je reste calme face à sa tirade et j’ai hâte de savoir jusqu'où elle ira. Je commence à placer les deux couvertures sur mon lit et je me sens tirer vers l’arrière. La blonde vient de me pousser sur le mur.

  • Et maintenant tu vas te la fermer?
  • Mmmh… Nan, pourquoi? De toute façon, je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi.

Et là, BAM! Son poing claque juste à côté de ma tête. J'ai fermé les yeux en faisant le saut. Elle est tout de même très proche de mon visage.

  • Tu vas vraiment le regretter. La prochaine fois, je ne serai pas aussi gentille.

Non, mais franchement, je ne lui ai rien demandé. Pendant ce temps, moi je suis toujours collé au mur et je la regarde s’en aller. Je respire un bon coup, parce que je viens de remarqué que j'avais retenu mon souffle. Heureusement, Miss tête de poussin est partie, mais j'ai un peu mal à la tête à cause du choc, je n'avais pas prévu ce genre d'altercation. Bref, je termine de faire mon lit au carré, puis je sors un petit carnet et un crayon que je range dans l'une de mes poches de pantalon et me dirige vers la salle que le caporal-chef Léger m’avait indiqué pour un cours à propos de ce que les instructeurs attendent de nous.

Deux heures plus tard, je suis enfin sortie de ce cauchemar. L’instructeur qui était là, tournait autour du pot, c’était une horreur. Je me serais presque endormie tellement c’était ennuyant. Ce qui est bien pour l’instant, c’est que je vais pouvoir aller dîner à la cafétéria et voir mon frère là-bas. En fait, non. Tu vas le saluer et le laisser avec son peloton. C’est pas parce que tu es maintenant dans la base que tu dois prendre tout l’espace et rester réservée n'est plus une option?. De toute façon, je dois me rendre au dortoir pour aller porter mon carnet et mon stylo. Mmmh, non. Mauvaise idée, tu va recroiser Miss tête de poussin et ce n’est vraiment pas nécessaire.

Je prends finalement la direction de la cafétéria, qui est soit dit en passant, à l’autre bout du bâtiment. Durant le trajet, j’entends dans mon dos: « C’est la nouvelle ». Je me doute bien que toute la base est au courant, mais il ne faut pas en faire tout un plat.

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