HYPATIE

3 minutes de lecture

Je me souviens.

Alexandrie.

Le phare illuminant le port, les nuits étoilées d'Egypte et le Nil berçant la ville.

Le cosmopolitisme de la ville et le choc des religions.

Le choc des volontés.

Les étudiants venus de partout pour assister aux cours de ses prestigieuses écoles.

Les rues et les gens.

Et la haine qui menaçait d'enflammer les êtres et les esprits.

Et vous. Vous étiez tellement au-dessus de tout cela.

Hypatie. Femme de caractère, femme de science, femme philosophe.

Femme !

La première mathématicienne reconnue et un professeur célèbre.

On venait de partout pour assister à vos cours.

Quelle que soit sa religion.

Je me souviens.

Alexandrie.

La philosophie et la science.

Le monde était en plein changement.

Une profonde évolution.

Des consciences et des sciences.

Et des religions.

Alexandrie était un des foyers dans lequel se créait le monde en devenir.

Et vous. Vous ne viviez que pour la science, la philosophie, l'école.

Hypatie, vous étiez philosophe néoplatonicienne, astronome, mathématicienne.

Femme de lettres et de science.

Vous enseigniez l'astronomie en forçant vos élèves à regarder le ciel depuis les toits plats de votre maison.

Puis vous traciez quelques lignes sur le sable afin d'expliquer.

Juste des lignes qui s'entrecroisaient mais on y comprenait la course des étoiles.

Car le ciel n'appartenait à personne.

Ce n'était pas une affaire de religion.

Je me souviens.

Alexandrie.

Les derniers monuments évoquant un passé révolu.

De grands noms pas encore tombés dans l'oubli, comme Cléopâtre, Marc-Antoine, Jules César...

Des rues pavées et des temples de pierre.

Des païens, des chrétiens, des juifs vivant dans des quartiers séparés.

Derniers restes de ce rêve fou qu'avait fait Alexandre le Grand de mêler l'Asie et l'Europe !

Le rêve hellénistique.

Alexandrie était la capitale de cet empire hellénistique.

Et vous. Vous, une femme belle et gracieuse, vertueuse et digne.

Admirée de tous et écoutée pour ses sages conseils.

Vous apaisiez les convoitises des hommes en leur jouant de la lyre.

Sinon, vous montriez des linges intimes couverts du sang venant de vos règles.

"Voilà ce que tu aimes, ce n'est beau."

Vous restiez célibataire et intouchable. Tolérante envers les chrétiens.

Au service de la science et de la philosophie.

Sans s'occuper de religion.

Je me souviens.

Alexandrie.

Le temps de la haine et des massacres.

Les cris d'Oreste, le préfet d'Egypte, en conflit ouvert avec Cyrille d'Alexandrie, l'évêque d'Alexandrie.

Cris de colère et cris de haine.

Des chrétiens fanatisés suivaient le plus fanatique de tous, Pierre le Magistrat.

Un meneur qui chassait les païens et les accusait de tous les maux.

Des rues pavées et des temples de pierre.

Les pierres commencèrent à voler sur les païens.

Alexandrie devint un lieu de martyr.

Et vous. Vous, femme philosophe, païenne et magicienne.

Adonnée à la magie et aux étoiles.

Vous futes la cible de ces harcèlements.

On vous accusa d'avoir ensorcelé le préfet d'Egypte que vous conseilliez.

On vous accusa d'envenimer la situation entre le préfet et l'évêque.

On vous accusa des pires maux.

Parce que vous étiez une femme.

Et pas de la bonne religion.

Je me souviens.

Alexandrie.

Le temps du Carême en mars 415, c'était les jours de jeûne.

L'école était fermée et la ville se reposait.

Calme, calme, comme avant la tempête.

Et pourtant, on la ressentait déjà cette tempête.

On en sentait les prémices.

On n'en savait pas encore l'ampleur.

Puis, les parabolanes, ce groupe de dévots chrétiens placés sous l'autorité de Cyrille, passèrent lentement dans la ville.

En rang, le regard farouche et les mains déjà pleines de pierre à lancer.

Les portes se fermèrent devant leur passage.

La population se terrait.

Alexandrie devenait une cité vivant de terreur.

Et vous. Vous vous étiez chez vous.

Inconsciente et tranquille.

Ils vous insultèrent, vous frappèrent.

Ils vous attaquèrent, vous jetèrent à terre.

Ils vous traînèrent sur le sol jusqu'à l'église appelée Caesareum.

Une église ?! En temps de Carême ?!

Là, ils vous déshabillèrent de force.

Là, ils vous tuèrent.

A coups d'ostraka et de pierres coupantes, ils vous ont dépecée vive.

Hypatie. Sage et belle.

Hypatie. Philosophe et mathématicienne.

Hypatie. Tolérante et femme.

Vos restes mutilés furent trainés à-travers la ville puis brûlèrent au Cinarion.

Et ce fait fut accueilli avec joie par de nombreux chrétiens.

Fanatisés.

Aveuglés.

Manipulés.

Votre mort sous les coups des chrétiens choqua l'Empire dans son entier et fit de vous une « martyre de la philosophie ».

Annotations

Vous aimez lire Gabrielle du Plessis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0