20 - L'intriguant 1

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Un grognement de protestation les accueillit. Ils avaient atterri dans une pièce, doucement éclairée, en bousculant au passage un groupe de deux-trois personnes aux moustaches bien fournies, même pour la naine robuste. Le magicien – un humain âgé et grisonnant – commença à rouspéter à l'encontre de sa collègue, dans une langue similaire à de l'anglo-saxon. L'elfe invita Alicia à avancer en laissant la maicienne régler ce différent.

– J'ignore toujours vos noms.

– Je m'appelle Loon, ma consœur Gwennhifyr. Ne traînons pas, j'ai peur qu'ils envoient ton signalement jusqu'ici.

Alicia doutait que cela aille aussi vite, mais approuvait tout de même la hâte pour ses propres raisons. Même si la téléportation offrait une protection en terme de distance, non négligeable.

Le flux de passage était réduit et il n'y avait que trois personnes devant le comptoir chargé des autorisations de traversée. Un humain de la Junsîl discourait dans un anglais au fort accent écossais devant eux et, après un échange insistant avec la responsable de la validation des projets de traversée, il obtint son laisser-passer et se retira. Les deux requéreurs suivants furent plus rapides, puis se fut le tour d'Alicia. Loon prit l'initiative de la parole, son discours empressé, et un peu saccadé, donna l'impression à l'exilée qu'il répétait les mots que la magicienne lui glissait par télépathie.

Cela convint à l'employée, qui étudia soigneusement les passe-droits, en vérifiant l'empreinte via une sorte d'antenne. Elle ne discerna pas la production illégale des plaquettes et leur remit le laisser-passer, en leur souhaitant un bon retour en français.

L'attente devant le portail était très courte, le magicien en charge de la vérification se montra, tout de même, méfiant et vérifia les passe-droits, en plus des laisser-passer, avant de leur permettre de traverser. Alicia soupira intérieurement en constatant que l'employé s'était montré plus attentif aux documents d'identité et aux raisons du voyage, qu'à son identité propre. Soit il ignorait qui elle était – le plus probable, soit il ne connaissait pas son visage.

La petite gare sobre et épurée avait laissé place à une salle de pierre et de bois, aux murs peints, presque vide, à cette heure de sommeil pour les humains. Un employé acariâtre vint au-devant d'eux pour connaître les raisons de leur arrivée, évidemment trois elfes, Tatian compris, et une magicienne n'étaient pas une compagnie usuelle pour leur région. Gwennhifyr prit la relève de Loon et convainquit le scribe ; du moins en partie, puisqu'il semblait de ceux suspicieux en permanence.

La pièce faisait partie d'un complexe administratif et estudiantin, un couloir fléché les guida vers la porte de sortie, solidement gardée par des mage-lames.

– Gryn d'Alh ! C'est la première fois que j'y mets les pieds.

Même de nuit, l'exilée pouvait contempler les splendeurs architecturale de cette oligarchie, dirigée par un haut-conseil de mages, qui mettait l'art et le savoir en priorité.

– C'est une nation qui vaut l'intérêt qu'on y porte, confirma Gwennhifyr. Hélas ces dernières semaines virent des troubles internes, hmm. Rien de bien important pour nous. Allons trouver un espace de téléportation.

À croire que les civilisations ne savaient pas rester en paix. Tatian remua dans son sommeil, Alicia resserra sa prise avec peine, le bambin commençait à être lourd pour ses bras. Loon s'avisa de sa difficulté et se proposa de le porter à sa place. Ses solides bras prirent la relève, sans que le petit de remarque la transition. La mère garda tout de même un œil sur sa progéniture, avant de se rassurer sur les gestes précautionneux de l'elfe guerrier.

La magicienne filait en tête, ils accélérèrent le pas pour ne pas la perdre. Dans cette nation, des zones avaient été affectées aux téléportations, pour limiter certains inconvénients d'arrivée. Ils étaient accessibles par tous à toute heure.

La nouvelle téléportation s'effectua dans la vitesse de l'habitude, la maîtrise de Gwennhifyr ne faisant plus doute. Une fois encore, ils quittèrent un espace ouvert pour apparaître dans une pièce. Cette fois, en revanche, ils ne bousculèrent aucun autre usager ; la seule personne présente était une fillette aux cheveux noirs raides, coupés courts, portant une salopette et jouant avec un chat rétif. Elle releva ses iris carmins vers yeux, avant de dévoiler ses canines de lait par un sourire ravi. D'un bond agile, elle fut sur ses pieds, et d'un autre, dans le couloir à crier, accompagnée d'un miaulement plaintif  :

– Mon oncle, mon oncle ! Gwennhifyr et Loon sont de retour !

– Par ici, fit la magicienne, sans se soucier de la fillette.

Alicia était glacée de la vision de ses crocs.

– Nous sommes dans une maison de vampires, siffla-t-elle, à la fois apeurée et furieuse de s'être laissé mener ici.

– Le propriétaire en est un, admit sans gêne la sorcière, mais nous sommes indépendants des Territoires. Venez, je vous promets que vous ne risquez rien.

Il fallait bien la croire. Arrivée par téléportation dans une pièce sans fenêtres, Alicia n'avait aucune échappatoire. Tendue et méfiante, elle s'assura que son fils dormait toujours dans les bras du guerrier elfique avant de suivre sa guide. Une chance que celui-là ait hérité d'un sommeil de plomb.

L'intérieur montrait un lieu d'habitation riche et chargé, les murs recouverts de stuc étaient drapés de tentures, ornés de tableaux et décorés de peintures. Des bavardages, issus d'une multitude de gorges, couplés à des cliquetis métalliques et céramiques s'élevaient à l'étage du dessous, par le biais d'une cage d'escalier spacieuse, devant laquelle le petit groupe ne fit que passer.

Ils étaient dans un lieu de restauration collectif, bien loin de ce que s'était imaginé Alicia. Ceux qui devaient être les employés s'agitaient un peu autour, à cet étage et celui du dessous. Des pas arpentaient le bois d'un autre escalier, débouchant sur un couloir plus intimiste et moins cossu.

Gwennhifyr les dirigea vers une porte laissée entrouverte. La voix excitée de la fillette se déroulait derrière, entrecoupée de miaulements pathétiques. Une voix d'homme plutôt grave réprima la maltraitance que subissait l'animal, un autre homme à la tessiture doucereuse répliqua aimablement que ce n'était que la maladresse enfantine.

Suivant l'invitation de la magicienne, Alicia tira la porte de bois avec toute la fière détermination dont elle était capable, le dos droit, la démarche digne et gracieuse. Un comité de cinq adultes autour d'une table garnie, et de la fillette, l'accueillit  : humains, lycans et elfe nocturne. Un homme était debout à un bout de la table, il avait la main posée avec tendresse sur la tête de l'enfant et était le seul vampire. Son apparence se démarquait dans la pièce. Androgyne, il était de taille moyenne, ses longs cheveux fins coulaient dans le dos de son corps élancé, sur le tissu de soie de ses habits.

– Mes amis, notre invitée est arrivée, dit-il gaiement de sa voix douce.

Il se saisit délicatement d'un verre ouvragé, rempli d'un liquide couleur bordeaux, similaire à ses iris, et le leva, en guise de salutation pour Alicia.

Son air aimable et contrôlé montrait une satisfaction sincère à la vue de l'elfe diurne, sans qu'elle pusse discerner le vrai du faux.

– Je vois que Loon s'est trouvé une nouvelle vocation, ajouta-t-il avec humour, allonge-le sur le canapé et approche une chaise pour notre invitée. Alicia Bore, n'est-ce pas  ? Je vous souhaite la bienvenue dans mon humble demeure.

– Puis-je connaître l'identité de mon hôte ? La raison de cette invitation subite m'intéresse tout autant.

Le vampire pouffa. Les convives se déplacèrent autour de la table, pour faire place à la nouvelle chaise apportée par Loon. Alicia y prit place, de sorte à montrer sa bonne volonté, en remerciant le petit monde d'un signe de tête conservé de son héritage vallynaya. Elle concentra alors son attention sur le maître des lieux, dans l'attente de sa réponse.

Celui-ci fit signe à sa nièce d'aller jouer, avant de se rasseoir. Il fit ruisseler le breuvage dans sa gorge, avec volupté, et en apprécia toute la saveur.

Alicia patienta sans broncher, une partie de son esprit concentrée sur son benjamin, dont les rêves retraçaient ses journées, mêlées de fantaisies que seul le monde onirique peut concevoir. Tout désagréables qu'étaient certains passage, ils n'arboraient pas, en cet instant, l'aspect angoissant des cauchemars qui pouvaient l'éveiller en sursaut.

– Je me nomme Sethore Thamia, vampire des territoires qui établît son empire en Ragguî. Je me suis intéressé à votre époux, je craignais jusqu'à peu qu'il se soit amolli chez les humains de la Junsîl. Désormais, je sais qu'il n'en est rien et j'en suis des plus ravi.

– Qu'attendez-vous donc de mon époux ?

– Qu'il agisse selon ses intentions, naturellement. Si mon intuition est bonne, ce qu'il fera sera en faveur de sa famille, votre couple. Or c'est justement cela qui m'intéresse, votre couple. Si ce que je pressens se réalise, quelle qu'en soit la manière, cela sera profitable à mon commerce.

– Et que pressentez-vous exactement, qui puisse se réaliser à votre profit ?

Autant Sethore s'exprimait avec aisance dans une manière raffinée, qui masquait à merveille le fait qu'il ne délivrait qu'une infime partie de ses pensées, autant Alicia s'était imprégnée des manières de son aimé et questionnait de façon calme et rationnelle, sans se laisser guider par ses émotions.

– Si j'étais devin, je pourrais vous offrir une réponse précise. Toute la beauté de la vie réside justement dans son caractère imprédictible, le jeu consiste en en interpréter les événements. En l'occurrence, ce qui couvait dans les territoires vient d'éclater, laissant présager d'un gouvernement bien différent. De cet avenir se profile des alliances opposées, dont l'une ou l'autre peuvent m'être désirables. J'agis de sorte à entrer dans les grâces d'Elliot, dans l'idée que les choses s'arrangent comme je l'espère. Vous admettrez néanmoins que je vous ai fait venir avec assez de discrétion pour nier toute amitié à votre égard, dans le cas contraire.

Il désigna ses convives avec un gloussement.

– Mes amis ici présents se montreront les garants de votre liberté, quelle que soit l'issue du conflit.

– De quoi parlez-vous exactement, que se trame-t-il dans les Territoires vampires ? demanda Alicia avec gravité.

Elle ne semblait pas la seule autour de la table à se poser la même question.

(suite du chapitre dans la partie 2)

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