20 - L'intriguant 2

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Sethore se pencha négligemment vers une corbeille de fruits d'été, qu'il présenta à son invitée, puis il se resservit du liquide bordeaux à l'odeur cuivrée.

S'emporter était vain avec cet être-là. Alicia accepta de jouer son jeu en se détendant. Elle opta pour une sorte de grenade, juteuse et sucrée à souhait, tandis qu'une consœur nocturne se servait d'une grappe de baies jaunes.

Son verre savouré, le maître des lieux claqua sa langue de satisfaction et bourra une pipe allongée en bois laqué qu'il alluma. S'éleva alors une senteur sirupeuse.

– À défaut d'ingérer du sucre, je l'inhale. Tout aussi délectable et moins nocif… pour mon entourage  !

Nouveau gloussement amusé, dont le sérieux ne faisait aucun doute. Elliot avait commis l'erreur un jour de manger un peu trop d'un gâteau plus sucré qu'il ne le pensait, il s'était montré d'une allégresse peu coutumière et d'un sadisme plutôt exacerbé. Il avait fallu à Alicia toute son intelligence pour lui détourner l'attention des corps humains gorgés de sang, le temps qu'il se reprenne.

– Alors, vous disiez qu'il se passait quelque chose dans les Territoires vampires ? répéta Alicia sur le ton du badinage.

– La paix ne dure jamais dans une nation, reprit Sethore sur le même air. Il s'y trame dans les ombres un tas de manigances sans répit. Les alliés d'hier deviennent les ennemis de demain.

– Quels manigances actuelles concernent mon mari et mes enfants ? insista l'elfe diurne, avec une légèreté affichée.

– Une lassitude, un agacement. Ou plutôt une tolérance consommée. Vous qui vivez avec l'un de mes frères d'espèce, devez savoir que nous sommes peu scrupuleux d'autrui, tant que nous ne portons pas de responsabilité envers eux. Nous nous aimons en premier et recherchons nos plaisirs avant tout, sans nous travestir derrière des morales absconses. Pourtant, nous aussi avons notre fierté en tant qu'entité intelligence et sensible. Nous aimons évoluer dans une nation qui nous reconnaît et valorise comme telle.

Il tira quelques bouffées de sa pipe.

– Un vent nécrosant soufflait dans les veines des maîtres. Les Territoires vampires sombrent dans la barbarie, lentement, mais sûrement. Cela convient aux plus idiots d'entre nous, les faibles d'esprits qui se complaisent dans la brutalité et la sauvagerie. Les plus éveillés, en revanche, n'ont manqué d'en souffrir. Certains firent l'erreur de se révolter ouvertement, ils le payèrent dans un si bel exemple, que les suivants eurent l'intelligence de se préparer en silence. Vote beau-père en est l'unes des têtes. Voilà la fourmilière qu'a déclenché cette andouille de Mafarion. Il faudra que je l'en remercie.

– Si je comprends bien, résuma Alicia livide, une guerre civile couvait dans les Territoires, que Sephenn et Elliot ont probablement déclenché en arrivant.

– Faites vos paris ! s'égailla Sethore. Quelle faction l'emportera ?

Puis il éclata de rire accompagné de quelques uns de ses amis, les autres se contentant de sourire.

– Espérons pour l'Alliance ragguîenne que le nouveau gouvernement vampirique ne la quittera pas, conclut l'elfe nocturne.

– Les Territoires sont déjà sur le point d'en être expulsés, avoua un lycan à la voix rauque. Les services de police ont déjà bien assez à faire avec les quelques vampires hors-la-loi, une guerre avec leur entière nation réduirait en cendre les efforts de paix produits ce dernier siècle.

– Ce n'est pas le royaume de Vallynä qui s'en plaindra, railla une lycante, dont l'épaisse chevelure presque noire n'avait rien à envier à celle de l'elfe nocturne. Le Consul Näyael manque rarement une occasion de critiquer le train de vie de la Consulesse Ckryssia, mais jamais ouvertement bien sûr  ! ajouta-t-elle sur le ton de l'évidence.

Quelques sourires entendus accueillirent sa remarque. Sethore souffla doucement sa fumée odorante avant de reprendre la parole.

– Les risques d'exclusions qu'encourent les Territoires ne sont le fruits que de la politique actuelle des Maîtres, et non l'action concrète du gouvernement ragguîen. Un changement dans le bon sens rectifiera ce danger, qui n'arrange pas davantage la Vallynä, bien qu'ils ne rechigneraient pas devant une excuse pour venger leurs « morts accidentelles » près des failles.

Une guerre entre vampires et Vallynayas n'était désirable pour personne. Les précédentes avaient déjà causé des dégâts terribles chez les deux peuples. Alicia acheva son fruit dans un silence méditatif, tentant vainement d'imaginer qu'elles pouvaient être les conséquences des troubles vampiriques pour sa famille.

– Vous parliez d'un certain Mafarion, qui est-ce ? questionna-t-elle de nouveau.

– L'un de mes cousins peu réfléchi, pouffa Sethore, en affichant un rictus méprisant. Pour preuve, c'est celui-là même qui mit votre famille dans l'embarras et provoqua indirectement le déclenchement des hostilités.

Alicia serra les poings. C'est le vampire que Sephenn avait imprudemment poursuivit.

– Sethore, ton invitée a les traits fatigués, intervint aimablement l'elfe nocturne, il serait bon de lui permettre de se retirer pour la nuit.

– Si Madame Alicia Bore estime pouvoir se fier à moi.

Il se tourna vers elle.

L'esprit renforcé par une gaine souple et solide, un piège conçu pour empoisonner tout intrus prétentieux, les pensées et émotions de Sethore étaient impénétrables pour l'exilée. Elle n'avait que son apparente sincérité et les quelques éléments de sa bonne arrivée pour juger de sa fiabilité.

– Je décide de me fier à vous. J'aimerais, toutefois, que vous me garantissiez que je puisse quitter ce domicile si bon me chante.

– Cela va de soi, tant que vous respecterez mes consignes de sécurité et serez accompagnée de mes gens. Ma demeure est une prison pour mes ennemis, tout autre y est libre d'entrée et de sortie.

Belles paroles, mais une prison pouvait se trouver en la personne de gardiens. Néanmoins, l'optimisme l'invitait à se fier à celui qui se montrait serviable et en expliquait sans honte, ni détour, la raison. Elle releva délicatement du divan son benjamin, qui protesta en ronchonnant du dérangement, entrebâilla ses yeux gonflés de sommeil et gémit.

– Chut, dors mon cœur.

Elle déversa une berceuse d'image et de mélodie dans sa tête, en l'ajustant dans ses bras.

Pendant ce temps, le maître des lieux avait fait mander une domestique humaine, qu'il chargea de mener Alicia et son fils à leur chambre.

La petite pièce qu'on lui offrait était aménagée avec goût, dans une ambiance inspirée des clans Iluans, des elfes nocturnes vivants à l'ouest d'Arranë, qu'Alicia ne connaissait qu'à travers les livres et les objets importés. L'atmosphère y était des plus confortable et elle remercia mentalement son hôte de l'attention. Un petit lit avait été rajouté au pied du plus grand pour le bambin et des habits, mis à leurs dispositions.

– Tu vas être bien ici, Tatian, souffla-t-elle à son garçonnet en l'embrassant.

Un paravent dans un coin masquait une vasque d'eau, accompagnée de serviettes parfumées et d'un petit pot de chambre charmant, recouvert d'un couvercle à fleurs. Sethore Thamia était vampire à aimer la beauté et les bonnes odeurs. De fait, les couloirs dégageaient une douce fragrance florale, apaisante par sa légèreté.

Installée, en chemise de nuit à la mode ragguîenne, sur le lit, Alicia lança son esprit vers son frère et eut la joie de le joindre sans peine. Elle lui conta son trajet et la discussion, confirma les soupçons du magistrat.

Tu es au Lamia, lui apprit-il, une taverne que la plupart des gens connaissent pour sa qualité et sa diversité. Un public plus restreint s'intéressent à son propriétaire au bras long. Il se dit bien des choses au sujet de Sethore Thamia, à commencer par le rang de sa famille d'origine qui doit être la deuxième ou la troisième plus puissante des De La Lune, mais dont il a renoncé au nom. J'ignore dans quelle mesure tu peux lui faire confiance, j'imagine qu'il doit avoir un intérêt à se faire apprécier d'Elliot.

C'est l'impression qu'il m'a laissée, confirma Alicia. Peux-tu me rejoindre ici demain ? Je veux agir dès la première heure avec ton soutien.

– J'arriverais avant, ton nouveau protecteur semble avoir envoyé ses sbires chez moi…

Il coupla sa déclaration d'une image de sa femme et son fils, probablement tirés du lit, venant dans sa direction entourés de deux elfes nocturnes et d'une lycante sous forme lupine.

Tu me confirmes que ses chambres sont confortables ?

– Espérons qu'elles ne deviennent pas des prisons.

Si l'intriguant propriétaire du Lamia s'avérait fiable, il pouvait devenir des plus précieux. Sinon…

– Elliot, mon amour, je ferais ce qui est à ma mesure pour protéger nos enfants. Veille sur ceux qui sont avec toi et reviens moi vite.

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