Sa première impression fut la densité de l'air pur qui lui prit les narines et la campagne privée des vrombissements de véhicules de toutes sortes et d'électricités dans les fils à haute tension. La magie était ici plus forte car ce monde en était baigné au contraire de la Junsîl.

Sa seconde perception lui montra quatre elfes sur le qui-vive. Il n'eut guère le temps de prononcer un mot, ils se retournèrent vers lui, le tenant en respect avec leurs armes. Malgré sa hâte, le sorma leva les mains en signe pacifique, afin d'éviter toute effusion de sang inutile. Tandis qu'ils le jaugeaient du regard,il étudia les alentours et vit les corps morts de deux vampires.

– Vous ne venez pas des clans vampires, conclut un elfe aux cheveux verts. Seriez-vous Elliot Bore ?

– En chair et en os. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi vous défendez un portail hors de votre territoire ?

Bien qu'un peu surpris d'entendre son nom marital sortir de la bouche d'un inconnu rasîlien, il ne jugea pas pertinent de s'appesantir sur le moment  ; il se doutait bien que son existence ne devait plus être un secret depuis son mariage. Les elfes abaissèrent leurs armes et s'écartèrent pour lui laisser le passage.

– Nous considérons que notre alliance avec la Ragguî nous engage à veiller sur les portails qui apparaissent aux alentours. Fussent-ils hors de notre forêt, expliqua une femme d'un ton protocolaire.

Cette dernière affichait une mine froide et sans émotion de circonstance, plus que de méfiance vis à vis du vampire, au contraire de son pîjakil. L'animal était harnaché d'une selle en plantes tressées et son épaisse fourrure aux teintes brunes cachaient à peine sa puissante musculature. Ce n'était pas le genre de créature à prendre à la légère, même pour Elliot. Il estima que les trois elfes étaient des gardiens de leur clan, aux compétences similaires aux siennes. Il les dépassa sans se faire prier, pressé de mettre le plus de distances entre lui et le passage. Il s'arrêta au niveau des cadavres et les étudia pour savoir s'il les connaissait. L'un des deux était trop jeune pour cela et le second ne lui disait rien.

– Pourquoi me laisser vous passer  ? Qu'ont fait ces deux-là pour mériter ce sort  ?

Nulle accusation dans son ton, c'était une véritable interrogation curieuse. L'elfe aux cheveux vert prit la parole de nouveau, il paraissait le plus neutre à son encontre.

– Ils ont tenté de passer malgré notre barrage et l'ont payé de leur vie. Quant à vous, vous êtes là pour vous rendre dans les clans vampires. Au vu de ce qui se passe là-bas, nous ne nous y opposerons pas.

Cette réponse attisa la curiosité d'Elliot.

– Que se passe-t-il dans les clans  ?

L'elfe échangea un regard avec ses pairs, traduisant un échange mental, et s'en éloigna pour s'approcher du vampire.

– Depuis quelques années que les clans se referment sur eux-mêmes, nous avons de moins en moins d'échanges avec eux.

Il désigna les cadavres.

– Dans le même temps des vampires isolés se mirent à errer au-delà des territoires, que ce soit chez nous ou en Vallynä, ils nous attaquent sans discrimination.

– Cela arrivait déjà avant, des marginaux échappent toujours à la vigilance.

– C'est justement sur ce point que les choses ont changé. Ce qui était un phénomène exceptionnel est devenu plus fréquent, d'une à deux fois par an environ, et la réponse des maîtres est méprisante. Autrefois, comme vous le savez, les maîtres envoyaient des Esprits, dès qu'ils en étaient avertis, pour nous aider ou faire condamner le hors-la-loi. Dorénavant, ils se contentent de prétendre qu'il s'agissait d'un marginal non membre du clan, quand on vient leur réclamer des comptes.

Ce qui allait à l'encontre des clauses de l'alliance de Ragguî. Cette réaction prouvait à coup sûr le dédain des maîtres vampires vis à vis de leurs voisins elfiques, et sous-entendait un désintérêt de leur part pour les autres régions alliée et l'accord signé autrefois. Elliot n'aimait les implications d'un tel événement et encore moins les conséquences qui en découleront. Il se rappela qu'il était là pour retrouver Sephenn et le ramener à la maison, et non pour changer les choses dans les territoires.

Quoiqu'en y réfléchissant un peu plus, il doutait que les clans De La Lune et Des Lunes le laissent tranquille, maintenant qu'ils avaient un de ses enfants sous les yeux  ; leur vie quotidienne avait été changée et ne reviendrait plus. Si un vampire avait transgressé l'interdiction d'emprunter un portail sans autorisation, d'autres suivraient.

L'elfe étudiait l'expression du sorma attentivement, comme s'il devinait sa réflexion. Ses confrères et consœurs avaient repris leur garde implacable devant le passage invisible. Pour l'instant personne n'avait suivi Elliot.

– J'ai appris que votre fils aîné était emprisonné dans les clans. Votre intervention provoquera des remous sans précédent, puis-je vous demander d'en assumer les conséquences  ? On vantait à l'époque vos talents tactiques, j'espère qu'ils n'auront pas été surestimés.

Cette déclaration tira un rictus d'Elliot. Il ne prit même pas la peine de savoir comment l'elfe avait appris le sort de son fils, les Sylphidiens étaient réputés pour entendre ce qu'il se passait aux environs de leurs territoires.

– Je vous remercie de ces informations. J'agirais en fonction de ce qui me semblera le plus judicieux.

Il conclut sa réponse en levant sa main pour tracer un mouvement gracieux dans les airs, procurant de la joie à son interlocuteur. Les elfes nocturnes avaient développé un état taciturne naturel, en communiquant principalement par télépathie et par gestes. Celui que venait de produire le vampire était un remerciement sincère et respectueux. L'elfe fut davantage ravi d'être confronté à un étranger connaissant ce langage. Il le lui retourna, avec infiniment plus de souplesse dans le poignet, il ajouta ensuite le geste du salut pour un départ en voyage. Ne maîtrisant pas la réponse de ce dernier Elliot se contenta de d'incliner la tête, la main sous la gorge, paume vers le ciel, ce qui était un salut vampirique équivalent.

Il se retourna ensuite vers les autres elfes et réitéra sa révérence, tous le lui rendirent, tout en restant sur le qui-vive. Cette discussion avait réveillé les ambitions de l'héritier déchu et il élaborait plusieurs actions, ainsi que leurs conséquences, tandis qu'il reprenait sa course vers les souterrains.

L'esprit échaudé par ce remue-ménage de rêveries et de réalités potentielles, Elliot parvint à repousser la lassitude physique pour atteindre son objectif. Il remisa ensuite ses pensées pour se concentrer sur la suite des opérations. Il était très tenté d'aller le plus rapidement possible, en s'engageant immédiatement dans le territoire sorma. Néanmoins, son état ne lui permettrait plus de combattre une fois arrivé au champ d'Hanneau. Il lui restait la journée à venir, dont l'aube ne tarderait plus à percer, et le début de la nuit suivante.

Grâce à sa course rapide, il pouvait atteindre l'arène en trois heures, pour peu que rien ne se mette en travers de sa route. Ce qui ne serait pas le cas. Donc, plutôt estimer le double de temps, ce qui lui laissait une dizaine d'heures de marge. Elliot décida de jouer la prudence en allant dormir le temps pour le soleil de monter au zénith, de plus, avec la nuit étoilée, la journée à venir promettait d'être lumineuse.

Les souterrains offraient le choix en recoins. Elliot en choisit un, aussi éloigné que possible des sentinelles marquant la frontière, qui sentait l'odeur d'un ours. Il s'y faufila jusqu'au fond, en s'assurant de la présence de couloirs supplémentaires lui garantissant une fuite. Enfin, il se pelotonna dans un creux à peu près sec et se laissa prendre par le sommeil.