10 - L'étincelle qui met le feu aux poudres 1

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Tandis qu'Elliot réussissait son évasion, Sephenn se réveillait dans sa cage. Il avait le sentiment de ne pas avoir dormi du tout, entre ses quelques rêves, occupés par les dernières nuits d'Aldor, la faim, la soif et tous les désagréments qui accompagnaient son emprisonnement. D'ailleurs, il avait complètement perdu le compte du temps. Était-on le jour ou la nuit ? Avait-il dormi plusieurs heures ou juste quelques minutes ? Ne pas le savoir était en soi une torture.

L'un dans l'autre, les souvenirs du vampire étranger étaient une source d'information quelque peu rassurante, dans le sens où l'adolescent n'aurait pas à s'imaginer avec angoisse ce qui l'attendait. En revanche, il appréhendait de se confronter à ce qu'il avait déjà vécu dans les souvenirs d'un autre.

Il se demanda ce qui l'avait réveillé. Était-ce un cri, plus fort que les autres, des prisonniers  ? La chaude humidité qui lui coulait le long des jambes lui donna une réponse. Alors qu'il avait réussi l'exploit de se retenir jusque-là, la nature l'avait rattrapé dans son sommeil. Pour le jeune homme, c'était le pire : cette privation d'humanité, dans laquelle les prisonniers allaient immanquablement jusqu'à se faire dessus. Les souvenirs d'Aldor étaient clairs, à aucun moment on avait proposé à l'étranger de se soulager ailleurs que dans sa cage ou dans l'arène devant les spectateurs. De nouveau, un sanglot lui monta à la gorge. Combien de fois avait-il pleuré depuis qu'il était là  ? Au moins plus qu'au cours des dix dernières années.

Dégoûté, Sephenn tenta de changer de position, pour balayer l'urine sous lui et la faire tomber entre les barreaux. Une chance qu'il n'ait pas envie d'aller à la selle. Pas encore.

Il entendit un bruit de pas étouffé approcher de derrière la porte et les sons de la pierre que l'on déplaçait. La lumière des torches du couloir s'infiltra d'abord à travers la fine ouverture, puis envahit l'oubliette quand la porte s'ouvrit, aveuglant provisoirement les prisonniers. Sephenn, qui avait anticipé son ouverture, s'était protégé les yeux. Quatre Esprits Rouges entrèrent derrière le gardien. Ce dernier alla activer les cages par le biais des chaînes, le son du métal grinçant contre la poulie agressa les oreilles du demi-elfe. Une nouvelle fois, il sentit sa cage vaciller et descendre par à-coups désagréables. Une idée passa dans sa tête, quand il vit le gardien s'approcher de lui. Il se ramassa sur lui-même, autant que les barreaux le lui permettaient, en essayant de se déplacer sans le montrer.

Quand le gardien ouvrit la porte de la cage, Sephenn lui bondit dessus de toutes les forces. Sous la surprise, l'homme bascula en arrière, provoquant les rires et les acclamations des prisonniers encore en état de suivre la scène et de la comprendre. Malgré l'envie de planter ses crocs dans son cou, l'adolescent se releva brutalement pour filer vers la sortie. Peine perdue, puisque les gardes sormas le saisirent immédiatement et le plaquèrent sur le sol sans la moindre difficulté.

– Inutile de te démener, grogna l'un d'eux.

L'énergie de la fureur ne lui suffit pas à se libérer de leurs poignes d'acier et ils le relevèrent sans trop de difficulté. Sa tentative échouée, Sephenn se laissa faire, préférant garder ses forces pour survivre à la nuit à venir. Deux Esprits Rouges le traînèrent dans le couloir, tandis que les deux suivants allaient emporter un autre prisonnier.

Délivré de l'odeur infecte de l'oubliette, le jeune homme aspira une grande bouffée d'air, renfermé certes, mais toujours plus frais que celui de la pièce qu'il venait de quitter. Le métis décida de se laisser mener sans dire un mot et ses gardes ne dirent pas grand-chose de plus, l'emmenant le long des couloirs dans une autre direction que l'entrée. Ils le poussèrent dans un recoin non éclairé et le plaquèrent contre le mur. L’adolescent eut tout juste le temps de voir un reflet d'acier, avant de sentir une vive douleur dans l'épaule gauche, qui lui tira un cri. L'un des gardes l'avait poignardé.

– Les jeux sont trop doux pour toi, vermine, susurra-t-il.

Il retira la lame et colla ses lèvres sur la plaie, avant de se mettre à sucer le sang qui en coulait. L'autre vampire raffermit sa prise sur le jeune métis, qui ne parvenait pas à se défendre. Puis, il lui planta les crocs dans le muscle entre l'épaule et le cou et aspira à son tour.

C'était une blague  ? Les Esprits Rouges étaient censés l'emmener dans l'arène, pas le vider de son sang maintenant  ! Mais à bien y réfléchir, pourquoi un vampire serait-il généreux avec lui  ? Affolé, Sephenn se débattit comme un diable et parvint enfin à les forcer à arrêter leur horrible succion. Un appel venant de leur collègue leur signala de revenir.

– J'ai hâte de te voir te débattre dans l'arène maintenant, ricana celui qui l'avait poignardé.

Ils entreprirent ensuite de le tirer vers un escalier exigu, qui menait vers un couloir à l'air plus pur. L'angoisse du garçon croissait à vitesse folle en sentant la douleur vive lui lancer l'épaule et le sang dégouliner. Malgré sa résolution d'économiser son énergie, Sephenn se résigna à régénérer la plaie assez pour faire cesser l'écoulement de sang. Cet effort réveilla son estomac, qui gargouilla sous le regard méprisant de ses tourmenteurs. Sephenn se jura qu'il sortirait des jeux vivants et le leur ferait payer.

Sephenn vit l'arcade au bout du couloir, close par une grille abaissée. Dehors, il le savait grâce aux souvenirs d'Aldor, se trouvait l'arène et les gradins à l'air libre. Un brouhaha témoignait du monde présent. Étrangement, Sephenn ressentit une forme de trac à l'idée d'être jeté sous le regard de cette foule moqueuse et cruelle. Il était sale, affaibli et était un métis vampire elfe, ce qui était à leurs yeux la pire des tares. Adossée au mur près de la grille, une femme au corps tonique, dans une tenue souple et tenant un fouet, le dévisageait avec morgue.

– C'est donc la première nuit du petit bâtard, dit-elle en se passant la langue sur les lèvres, excitée par avance du spectacle. J'espère que tu tiendras un peu pour nous amuser.

Elle abaissa son regard sur la traînée rouge sur le t-shirt en se léchant les lèvres d'excitation.

– Si vous voulez vous amuser, allez-y vous-même, cracha Sephenn dont la fureur, momentanément apaisée par la sortie de l'oubliette, revenait.

La femme éclata de rire, comme s'il avait dit quelque chose d'amusant.

– Ne sois pas si prompt à m'inviter au jeu, répondit-elle d'un grand sourire carnassier. Je doute que tu préfères te retrouver face à moi, que face à mes chers petits. J'espère que tu sauras te soigner pour durer plus longtemps.

Ses petits… des fauves selon les souvenirs d'Aldor, voilà par quoi il allait commencer. Le sentiment de se retrouver dans l'antiquité romaine en plein Colisée s'exacerba d'un coup. Derrière lui, les deux autres Esprits Rouges traînèrent un humain musclé, au regard noir. Son état physique et ses haillons manifestaient qu'il était là depuis longtemps et n'en était pas à sa première nuit. Se dire qu'il parvenait à survivre à ces jeux animés par des vampires, sans armes, impressionna l'adolescent – même si l'humain n'avait pas eu droit à une blessure de handicap. Il cracha à l'intention de la dompteresse qui lui sourit sans ambiguïté  ; elle s'en moquait comme d'une guigne de ce qu'il pensait, après tout, n'était-elle pas la maîtresse des jeux ici  ?

Ils firent patienter les deux prisonniers encore quelque temps, des sons de chants et de rires venaient de l'arène. Sephenn se demanda s'il y avait un petit divertissement non cruel avant les jeux eux-mêmes. Enfin, et c'était encore trop tôt à son goût, la grille s'ouvrit. Sur un ordre de la dompteresse, les Esprits Rouges le poussèrent dans l'arène.

Un spectacle mêlant le macabre et le technologique s'offrit à lui. La surface du sol était clairsemée d'os en divers états et, par endroits, le sable avait pris une teinte rougeâtre dont émanait un parfum de sang mort. L'enceinte était formée par une barrière, haute d'au moins trois mètres, et au-delà s'élevaient les gradins. Au-dessus, une faille dans la croûte terrestre, permettait à la lune de caresser la caverne. Le jeu de miroirs reflétait sa lumière sur une multitude de pigments étoilés.

L'adolescent se rappela en les regardant que les constellations n'étaient pas les mêmes qu'en Junsîl. Il reconnut tout de même la voie lactée, à travers la faille, et de la voir lui fit un bien fou, comme la présence rassurante d'un élément familier. La lune était à une nuit de sa phase pleine et, après ces nombreuses heures, enfermé dans le noir, Sephenn ressentit plus que jamais sa lueur le gonfler d'énergie et d'espoir.

Un dôme, à peine perceptible, surplombait la partie sableuse de l'arène, constitué de magie pure. D'après les dires d'Elliot, il était généré par des artefacts, disposés le long de la barrière. Cette structure avait la double utilité de protéger les spectateurs des attaques potentielles des condamnés et de les empêcher de fuir. Hélas pour ceux-là, le bouclier était imperméable de l'intérieur et perméable de l'extérieur, autrement dit, les spectateurs pouvaient, à tout moment, intervenir dans les jeux pour aider ou mettre des bâtons dans les roues des condamnés. D'après son père, il n'était encore jamais arrivé qu'une aide vienne par ce biais.

Face à la sortie des prisonniers se tenait le gradin du maître. De sa position, Sephenn ne parvenait pas à distinguer avec précision les visages des personnes présentes, en revanche, il lui sembla reconnaître les cheveux verts de Niisrath et la silhouette, si semblable à son père, de Dylan De La Lune. Les Esprits Rouges l'avaient lâché et la grille s'était refermée. La dompteresse était du côté de l'arène, confiante dans le fait qu'elle ne craignait rien de Sephenn. Une voix amplifiée résonna au cœur des gradins.

– Mes dames et mes sires, maîtres bien aimés. Pour votre bon plaisir, voici le bâtard elfique  !

Sephenn grinça des dents. Il y était et n'avait pas l'intention de se laisser faire. Il avança, nonobstant autant que faire se peut les railleries du public, vers les gradins du maître. Son épaule lui faisait atrocement mal et il sentait que la perte de sang imprévue lui avait causé énormément de tort. Il mit à profit les bavardages insultants du commentateur, pour refermer les chairs sous l'épiderme, il sacrifiait ainsi encore un peu plus de son énergie avant l'épreuve, en retour il s'assurait de disposer de ses deux bras.

– Cette nuit, pour votre plaisir, nous allons mesurer le degré de débilité que le sang elfe inflige au sang vampire.

Sephenn ne releva pas plus. Il devait prendre sur sa volonté pour ne pas chanceler. En approchant du gradin réservé, il put voir plus précisément ses occupants. S'il se fiait aux propos du présentateur, les deux maîtres vampires étaient présents. Il vit un sorma âgé, dont la crinière blanche et le dos voûté faisaient paraître Dylan De La Lune, et ses soixante ans passés, pour un homme d'âge mûr. Le maître mevale devait être l'autre personne âgée, à la posture raide, à côté de Niisrath. Plutôt de la génération de Dylan, il était pratiquement chauve et arborait une longue moustache tombante autour de ses lèvres fines.

Au bras de Sire Dylan, se trouvait une femme à la longue chevelure argentée qui devait être sa femme, Nysciane De La Lune, la mère d'Elliot. C'était une femme âgée qui avait conservé un port digne et une élégance adaptés à son âge. Niisrath Drakel, lui, le regardait avec excitation.

– Hé là, qu'est-ce qu'il compte faire, le petit bâtard  ? rit le présentateur, déclenchant l'hilarité de la foule. Veut-il admirer nos vénérés maîtres avant de crever  ?

Lui-même ne savait pas trop ce qu'il voulait faire, pas plus que ce qu'il avait envie de dire, tout ce qu'il savait, était qu'il était furieux et mourait d'envie de déverser sa bile sur l'origine de ses malheurs  : les maîtres. Il voulait encourager sa fureur, car elle lui permettait de rejeter son angoisse et sa faiblesse. Le gradin était suffisamment bas pour que Sephenn puisse espérer qu'ils l'entendent.

– Alors c'est vous les maîtres  ? Je suis déçu, je pensais que vous seriez plus impressionnants. Tout ce que je vois, sont des vieillards lâches, qui restent bien à l'abri derrière leur protection.

L'insulte fit grimacer de fureur les maîtres, Sephenn glissa un regard vers son grand-père et vit avec surprise le masque de neutralité du vampire esquisser un indéfinissable rictus d'approbation. Niisrath, quant à lui, était de plus en plus enthousiaste, pour ne pas dire excité, il se pencha vers l'un de ses voisins et lui demanda quelque chose que le bruit ambiant masqua.

– À maîtres lâches, peuples lâches, rajouta-t-il pour accentuer leur fureur. Ça m'étonne qu'un seul vampire ait fui devant le demi-elfe que je suis  !

Les maîtres rougirent de colère.

– Une telle impolitesse doit être punie sans traîner. Commencez les jeux  !

Le présentateur annonça le lancement des réjouissances, Sephenn vit un des Esprits Rouges, près du maître De La Lune effectuer un mouvement de jet et recula prestement pour éviter le projectile qui promettait de suivre. Une petite bille s'enfonça dans le sol, en laissant planer derrière elle une odeur de brûlé. L'adolescent se plaça le plus au centre possible, par prudence.

(suite du chapitre dans la partie 2)

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