9 - Retour en terre natale 1

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Le temps s'écoula rapidement tandis qu'Elliot se perdait en conjectures. Dans sa cellule sans fenêtre, il ne pouvait voir la luminosité diminuer. Sa montre, en revanche, lui indiquait l'approche de la nuit.

– Ils pensent sérieusement me transférer pendant la nuit ? murmura-t-il. J'ai beau m'être habitué à la luminosité du soleil, je reste amoindri le jour.

Imaginaient-ils vraiment qu'il ne tenterait pas de fuir ?

Enfin, la porte au bout du couloir finit par s'ouvrir et trois hommes entrèrent. Il y avait là le jeune inspecteur Manaa et deux êtres de la Ragguî. Ils étaient assez simple à reconnaître, la coupe des vêtements ragguîens différait de celle des humains de la Junsîl. L'un d'eux était un iijka  : de taille inférieure aux humains, la peau pâle de ceux qui vivent la nuit, les cheveux noirs en bataille et les yeux violets. Mais surtout la caractéristique de ces créatures étaient leurs grandes oreilles pointues semblables à ceux des chats et une longue queue revêtue d'une fine fourrure.

L'autre homme pouvait être humain ou lycanthrope, difficile à dire à la vue, il devait sentir son odeur. Elliot se leva à leur approche, les muscles tendus, prêt à l'action, tout en affichant une expression calme, pour tromper leur vigilance. Il ne prit pas la peine d'afficher une mine neutre, la situation justifiait bien son visage tiré et sombre.

– Reste loin de la porte, lança l'iijka à l'attention d'Elliot.

L'inspecteur Manaa ouvrit avec son passe et s'éclipsa pour laisser la place à ses collègues de l'autre-monde. L'iijka resta dans l'encadrement tandis que l'homme entra, une paire de menotte absorbante de magie à la main. L'effluve qui émanait de lui disait son identité  : un lycanthrope.

Deux solides carnassiers pour emmener un vampire.

Elliot tendit docilement les mains comme pour le laisser le menotter.

– Tu as raison, sois gentil et tout se passera bien, opina le Lycan d'un air patibulaire.

Elliot esquissa un sourire froid, et d'un vif mouvement, saisit ses poignets, récupéra les menottes et les lui passa. Ensuite, il le bouscula sans ménagement contre le mur.

– Je vais devoir vous fausser compagnie, vous me croyez si je vous dis que je suis navré  ? se permit-il de railler.

Il se baissa pour éviter l'iijka, qui lui bondissait dessus, et se glissa sous ses jambes, pour filer vers la porte. Elliot ne s'arrêta pas pour assommer ses gardes, car il doutait qu'ils ne soient que deux. Parvenu au bout du couloir, il s'écrasa de tout son poids contre la porte, l'arrachant du mur, en emportant avec elle un autre garde caché derrière.

– Navré, dit Elliot sans se retourner.

S'il n'était pas assez altruiste pour culpabiliser de blesser les gardes qui voulaient l'emmener en prison, aussi innocents soient-ils, il ne cherchait pas délibérément à leur faire du mal – après tout ils ne faisaient que leur boulot. Ainsi, il s'appliquait à la politesse de s'excuser de leur faire subir les conséquences de sa fuite nécessaire.

Déjà, d'autres gardes rappliquaient, notamment un ou deux vampires, qui devaient être suffisamment détachés des clans vampires pour pouvoir le traiter comme n'importe quel prisonnier… en cavale.

Au vu de la rapidité de la transmission d'information, il devait y avoir un elfe dans l'équipe, qui assurait le lien par télépathie. Les talkie-walkies et les téléphones portables n'existaient pas en Ragguî.

Elliot n'avait pas l'intention de rentrer dans le tas, ni de prendre la porte d'entrée – ou de sortie dans le cas présent – et bifurqua au premier couloir adjacent venu. Ses poursuivants sur les talons, il déboula dans des escaliers qu'il gravit en trois enjambées, sautant plus qu'il ne courrait. Il put apprécier les résultats de ses efforts, toutes ces années, pour se maintenir physiquement à niveau, quand le plus rapide de ses poursuivants ne parvenait pas à gagner du terrain sur lui. Capable d'établir une carte mentale fidèle des lieux, Elliot avait une très bonne orientation spatiale. Ce qui lui permit de savoir qu'en tournant au prochain croisement à droite, il arriverait du côté opposé à la porte d'entrée, son objectif.

Visiblement informés des lieux, et aidés des membres de l'Inexistante travaillant de nuit, les gardes ragguîens avaient fait un détour pour arriver devant Elliot, à l'autre bout du couloir. Par chance, ledit couloir donnait sur l'extérieur par des fenêtres… closes par un alliage translucide, originaire de la Rasîl pour garantir toute intrusion, car on était au rez-de-chaussée. Enfin, si les fenêtres étaient dotées de cette protection, ce n'était pas le cas des murs, dont les constructeurs avaient estimés que le renforcement structurel suffisait à lui seul. Ils ignoraient, alors, la puissance que pouvaient avoir certains vampires.

Vitesse égale force. Une vérité qu'Elliot aurait été incapable d'expliquer scientifiquement, mais qu'il connaissait depuis longtemps. Il se tourna vers le mur et condensa les muscles de ses jambes autant que faire se peut. Ayant renforcé la résistance du haut de son corps, il détendit ses jambes, percuta le mur et laissa un trou étroit dans la structure épaisse et renforcée, alors qu'il filait dans les airs, un peu endolori tout de même.

La protection magique qui entourait le parc privé, derrière l'immeuble, se défit sans trop de peine. Il chercha du regard quelques secondes une des balises, indispensables à l'uniformité de la protection, et la détruisit. Ce faisant, il obtint une faille, dans laquelle il fila. Les autres gardes restés à l'extérieur l'attendaient, avec notamment l'elfe nocturne.

Il se propulsa en l'air, le long d'un immeuble de vingt étages, en esquivant les attaques magiques des gardes. Un éclair le frappa à l'épaule. Sans le renforcement épidermique, la foudre se serait répandue jusqu'au cœur. Ainsi, l'attaque se contenta de meurtrir son articulation, sans le ralentir. Derrière lui, le lycanthrope s'était mis à le poursuivre, en utilisant la même technique de course que lui, avec une coordination somarythmique digne du vampire. Elliot fut flatté qu'on lui ait envoyé un garde aussi habile  ; en un sens, cela signifiait qu'on le considérait encore comme un puissant sorma.

Il avait déjà dépassé le quartier des affaires, et s'était propulsé suffisamment haut pour pouvoir rebondir sur les habitations de type petits immeubles ou HLM, sans avoir à serpenter entre eux, ni à être trop vu. Aussi étrange que cela puisse paraître, il tenait à respecter le contrat d'installation en Junsîl pris des années plus tôt, interdisant de trahir la vérité aux sujets du monde parallèle et de la magie. Son poursuivant paraissait être lié au même contrat et se contentait, jusque-là, de tenter de le rattraper, sans autres attaques qui auraient pu toucher un bâtiment.

L'épaule d'Elliot le lançait, mais il n'avait pas le temps de ralentir. À cette vitesse, ses bras étaient nécessaires pour maintenir son équilibre, et contrebalancer ses mouvements de jambes, car il s'agissait bien d'une course dans le vide. La détente prodigieuse, octroyée par le renforcement musculaire permettait de rebondir au moindre contact avec une surface solide.

Ils atteignirent et dépassèrent rapidement la zone industrielle, de l'autre côté de la ville. Il se rendait à un endroit précis. Le portail non référencé dont Alicia lui avait transmis l'emplacement.

Bien qu'un seul garde ne l'ait suivi jusque là, l'éventualité qu'il puisse continuer à communiquer via l'elfe nocturne, et tenter d'anticiper ses mouvements, existait toujours. Il était trop prévisible qu'il tentât de se rapprocher de sa famille, à un moment ou l'autre de sa fuite. En revanche, rien de permettait de prévoir la destination qu'il prenait. Son idée était de semer ses poursuivants avant de bifurquer en toute discrétion.

Dans sa course folle, seul le lycanthrope le suivait encore et, maintenant qu'ils avaient dépassé les zones habitables, il se mit à attaquer, à défaut de le rattraper.

– Attaque-moi donc, se dit Elliot. Maintenant que tu es seul, je vais pouvoir me débarrasser de toi sans trop de danger.

Il ralentit et pivota pour bloquer une onde de choc, envoyée par le lycanthrope, à laquelle il riposta d'un disque de d'énergie lunaire coupant. Comme espéré, il rata sa cible et força le garde à perdre de la distance en l'évitant. Elliot se retourna à temps pour se recevoir sur le sol et acheva sa chute d'une roulade. Il poussa un faible cri de douleur en se ramassant sur son épaule blessée. À la vitesse à laquelle il avait atterri, il n'avait pas été quitte de l'absence de douleur. Il se releva toutefois sans tarder pour faire face au garde – qui se réceptionna à peu près aussi doucement qu'Elliot.

– Cessez de résister, vous êtes recherché par tous les vampires des clans. La prison de la Ragguî est un sort plus enviable et votre famille pourra vous rendre visite  ! tenta-t-il, en parvenant à conserver son souffle.

– Et bien sûr, ma femme me fera envoyer des oranges par le portail qu'elle n'aura pas le droit de traverser, rétorqua Elliot.

– Ils auront des nouvelles par votre beau-frère, répliqua le garde.

Elliot sourit et se prépara doucement à attaquer.

– Vous avez au moins le mérite de savoir le minimum de ma situation. Au risque de me répéter, veuillez croire que je suis navré de ce que je vais vous faire.

Il se baissa avec vivacité, le lycanthrope répondit avec la même réactivité en lui bondissant dessus. Il s'arrêta net en recevant une motte de terre dans le visage, le temps qu'il se nettoie les yeux, Elliot avait repris sa course effrénée et se trouvait hors de sa vue.

Il fila entre deux hangars et contourna un entrepôt.

Puis, il se glissa dans un camion qui perdait un peu d'huile, afin de masquer son odeur au loup, et attendit patiemment que sa diversion éloigne le garde dans la mauvaise direction. Comme prévu, son poursuivant changé en animal ne distingua pas l'odeur du sorma dans la puanteur de pétrole, à laquelle l'être de la Rasîl n'était pas habitué.

Elliot n'attendit pas longtemps, il lui suffisait de partir sans être vu. Il contourna de nouveau l'entrepôt et revint vers la ville pour la longer et la contourner. De là, s'il rasait le sol de près, au risque de percuter quelque chose ou quelqu'un, il ne serait pas vu par le loup tant qu'il n'aurait pas retrouvé sa piste. Fins limiers, les lycanthropes avaient un odorat plus sensible encore que celui des vampires, et Elliot ne doutait pas un instant que celui-là saurait retrouver sa piste jusqu'au portail. Mais il n'en avait cure  ; une fois dans le territoire De La Lune, nul ne pourrait le suivre.

Il parvint enfin, et sans personne à ses trousses, à trouver le passage entre les mondes non répertorié. Elliot reprit rapidement son souffle, il voulait attendre d'être de l'autre côté pour se soigner, puisque, d'après Elias, il débouchait sur un territoire neutre. Cependant, la prudence l'incitait à ne pas se risquer hors d'haleine dans un lieu inconnu.

– Sephenn, tu vas voir ce que je te réserve si nous nous en sortons vivant, bougonna-t-il, pour tromper son inquiétude sur la santé de son fils.

Après avoir vérifié une nouvelle fois que personne n'était sur ses talons, il traversa le portail.

(suite du chapitre dans la partie 2)

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