13 - Est-ce une révolte ? 1

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Le manoir De La Lune était une haute bâtisse solide et magnifique de trois étages en pierre blanche. Un grand parc l'entourait, avec une pelouse bien entretenue et des magnifiques parterres de fleurs qui s'éveillaient à lueur des étoiles. Les hauts murs d'enceinte avaient été renforcés par un bouclier magique, le franchir créa une sensation de picotement sur la peau d'Elliot. Des sormas franchissaient le grillage d'entrée pour rejoindre le manoir.

La caverne de cette région disposait de la plus grande source lumineuse du territoire, car une faille conséquente s'ouvrait dans la croûte terrestre. Cette béance permit également la formation d'un immense lac. Le manoir De La Lune se tenait sur sa rive ouest. Une profusion de plantes délivrant leur propre lumière ajoutaient à l'ambiance. Pour l'heure, le caractère légèrement doré de la lumière indiquait un soleil masqué.

La voiture avançait le long d'une allée bordée par des buissons de roses rouges. Elliot fut impressionné par la vision des familles qui s'empressaient dans la demeure et ses jardins. Le contraste entre l'époque de son enfance et celle actuelle était saisissante. La disparition du passé le frappa de plein fouet. Ce qui avait été ne serait plus jamais. Il souhaita que le présent ressemblât, ne serait-ce qu'un peu, au faste et à la paix qu'il avait connus.

Cette mise en place d'une guerre civile l'interrogeait tout de même. Avec l'influence des familles De La Lune et Des Lunes, unies par le mariage de Dylan et Nysciane, pourquoi son père en arrivait à une telle extrémité ? Connaissant la fragilité géographique des Territoires et les récents troubles, une action plus politique aurait offert plus de sécurité.

Conscient que bien des réponses à ses questions lui seraient apportées dans peu de temps, Elliot se détendit, le regard toujours dirigé vers le manoir.

La porte majestueuse, à double battants ferrés, s'ouvrait en grand pour laisser entrer les fugitifs. Au centre de l'ouverture trônait une élégante silhouette, la tête orienté vers les arrivants. En bonne maîtresse des lieux, Nysciane De La Lune patienta jusqu'à l'arrêt du fiacre devant le perron de quatre marches, les yeux dardés sur son aîné avec un petit sourire aux lèvres. Le soleil finement voilé dorait légèrement sa chevelure argenté et sa peau laiteuse. Elle plissa toutefois les yeux, renforçant les rides de son front, en apercevant le banni ouvrir la voiture sur un moribond inconnu et non sur Sephenn.

Elliot s'empressa de le sortir, en prenant soin de le ménager. Il passa son bras autour de ses épaules, pour le porter plus que le soutenir vers le manoir. Des serviteurs, appelés par Nysciane, vinrent à sa rencontre pour emmener le blessé. Quand l'un d'entre eux voulut le prendre, Elliot l'arrêta un instant.

– Requinque-le, soigne-le, mais ne le laisse pas s'endormir. J'ai une discussion à avoir avec lui, avant.

Le jeune homme, de l'âge de Sephenn, tiqua un peu en devinant l'identité de son interlocuteur. Néanmoins, il obtempéra. Elliot s'approcha de sa mère. Parvenu à portée de voix basse, elle lui posa la question qui lui brulait les lèvres :

– Où est ton fils ?

Très bonne question, pensa Elliot, qui s'en préoccupait davantage qu'il ne le montrait.

– Je donnerais cher pour le savoir. Il n'était plus dans l'oubliette à mon arrivée.

L'incompréhension se peignit sur les traits de la mevale, elle entama un nouveau mot, se retint, puis pivota avec fougue pour repartir dans le manoir. Le parfum qui se dégageait de ses mouvements planta une forte nostalgie dans le cœur d'Elliot. Dans un premier temps, il réprima une envie subite de l'enlacer, dans un second, il s'étonna d'une telle émotion. Ses élans spontanés de tendresse n'étaient pas son habitude. Il réalisa qu'il avait développé une sensibilité émotionnelle au contact d'Alicia. Cela ne le dérangea pas, tant qu'il conservait sa capacité à réagir rationnellement.

Un visage attira son attention dans la foule, il était apparu à l'extrémité de son champ de vision et il eut sur le coup l'impression qu'il s'agissait de son frère. Il se tourna vivement pour mieux distinguer la personne et vit un garçon dans la douzaine, au corps longiligne et aux traits familiers. Ce dernier le fixait avec une certaine circonspection, avant de se reculer dans l'ombre d'une colonnade, lorsqu'il fut découvert.

Nysciane s'éloignait sans remarquer son arrêt, forçant Elliot à reprendre sa route en jetant un dernier regard au garçon intimidé. Elle le mena à l'étage, dans un couloir moins fréquenté. Le manoir De La Lune, à l'instar des grandes demeures de la civilisation vampirique, était une grande maison faisant office de bâtiment public pour les habitants aux alentours. De ce fait, une partie des pièces était accessible à tous, en respectant les règles du maître des lieux, tandis que le reste était réservé à la famille propriétaire.

Le petit salon dans lequel Nysciane le fit entrer en faisait partie, il était relativement sobre dans la forme et décoré par un tableau familial, sur lequel Elliot avait quatorze ans. Tatian, dessus, avait été contraint à porter un ensemble classique ; adieu les bijoux aux motifs contestables et aux vêtements surchargés de dentelles et fanfreluches. En guise de rébellion, le garçon s'était enfui dans la nature, Dylan avait menacé de le déshériter s'il ne rentrait pas avant une semaine et Elliot s'était empressé de chercher son frère, pour éviter de vérifier si son père allait tenir promesse.

Tant de souvenirs l'envahissaient dans son foyer natal.

Le visage du garçon lui revint à l'esprit en contemplant celui de son frère au même âge, s'ils n'étaient pas identiques, il se ressemblaient beaucoup.

– Le peintre qui a réalisé ce portrait de famille est vraiment doué, il a parfaitement rendu la moue de Tatian, commenta Nysciane, avec un humour plein de tendresse.

Sa mère n'avait pas manqué l'attention que son fils portait au tableau. Elle lui mit la main sur l'épaule avec affection.

– Quelle odeur piquante ! Telle est donc la marque odorante de Junsîl ?

Elliot hocha la tête.

– J'ai vu un garçon dans le couloir qui lui ressemblait.

– Rin, son fils. Le pauvre garçon a grandi privé de ses parents. Je lui ai parlé de toi, tu l'intéresses beaucoup.

Un sourire amusé s'étira sur les lèvres d'Elliot.

– Je soupçonne que je ne suis pas seule, ajouta-t-elle. J'ai entendu Rin évoquer une de tes aventures, dont je suis certaine de ne pas lui avoir parlé.

Cela le fit rire.

– Je serais ravi de lui en raconter davantage moi-même.

Elle le tourna pour planter ses yeux gris dans son regard noir.

– Tu en auras le temps et le loisir, je te le promets. Raconte-moi maintenant ce qu'il s'est passé dans l'oubliette.

Ce retour au présent effaça aussi vite les effluves des souvenirs. Elliot redevint grave.

– Quelqu'un l'a fait sortir avant mon arrivée, quelqu'un capable d'effacer son passage dans la mémoire du gardien. L'homme que j'ai ramené pensait le connaître et j'ai besoin qu'il m'en dise plus. J'aimerais d'abord avoir des éclaircissement sur l'aide qu'on s'est proposé de m'offrir. Où est Sire Dylan ?

Il avait parlé sans agressivité, malgré cela, Nysciane se raidit lorsqu'il prononça le prénom de son père. Elle resserra sa prise brièvement avant de s'éloigner d'un pas.

– Il va arriver avec les réponses que tu recherches, ainsi que les nouvelles. Je te les donnerais bien moi-même, mais je tiens à ce que certaines choses te soient dites par ton père. Même s'il doit se faire violence pour ça. Pendant ce temps, j'assurerais l'accueil des réfugiés et la mise en place de la protection du domaine.

– Fort bien. Cependant, il n'est plus mon père depuis le reniement.

Le regard d'acier de la mevale se durcit, elle saisit brusquement le menton de l'homme accompli qui le dominait d'une demi-tête, comme s'il était encore un enfant.

– Que les choses soient clair, tu es et seras à jamais mon fils. Les lunes en sont témoins, notre filiation est établie depuis le jour où tu t'es formé dans mon ventre, jusqu'à la fin des temps. Car ton sang, tes os, ta chair et ta personnalité sont l'alchimie unique entre Dylan et moi. La vie que tu mènes s'est construite sur les bases de celle que nous t'avons bâtie. Ton père n'a pu que nier cette vérité implacable. Ne te laisse pas entrainer dans sa cécité imbécile.

Son ton sévère aurait eu de quoi intimider n'importe quelle personne. Pour Elliot, les propos qu'il entendait mettait du baume sur vingt années de souffrance, comme un pont jeté en travers de la déchirure de son passé.

– Je pense que tu apprécierais Alicia, vous avez la même vision des relations filiales.

La noble dame lui rendit un rictus mi-figue mi-raisin devant ce compliment relatif, ce qui fit rire Elliot.

– Je le maintiens, il fallait bien une force de caractère similaire à la tienne pour me conquérir.

Il ajouta ensuit à mi-voix, comme un secret intime.

– Merci.

Satisfaite, le regard d'acier étincela. Elle serra le visage de son grand garçon dans ses mains avant de le lâcher.

– Je vais voir ce que fais ton père.

Lorsque Dylan De La Lune passa la porte, il fut accueilli par un Elliot assis en maître des lieux, dans un fauteuil ancien. Il avait retiré la veste d'Esprit Rouge et ne portait plus que l'ensemble chemise blanche et pantalon noir sobre, qu'il portait lors de son emprisonnement. Pourtant une aura de puissance et d'assurance l'environnait. Son père, qui lui faisait face, le lui rendait bien, avec toutefois un soupçon de rides de fatigue, lui peignant un air plus las. Il s'installa dans un autre fauteuil, sans mot dire, et planta ses iris noirs dans celui de sa progéniture. Finalement, il ferma les yeux en expirant profondément, et fit signe à ceux qui le suivaient de prendre place à leur tour.

Malgré l'impressionnabilité qu'Elliot avait toujours éprouvé vis à vis de Dylan, il était partagé entre satisfaction profonde de l'emporter sur son père, et mal-être de constater les conséquences des affres du temps. Celui qui paraissait inébranlable ne l'était plus et le fils avait surpassé le père, aidé par la vieillesse du premier. Il se prit alors à rêver du temps où ses propres enfants feraient basculer le rapport de force et en fut pris d'une fierté anticipatrice qui le réconforta.

(suite du chapitre dans la partie 2)

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