11 - Manqués de peu 1

7 minutes de lecture

Elliot se réveilla à plusieurs reprises. L'adrénaline, revenue après tant d'années de vie paisible, faisait bouillir son sang et le mettait dans un tel état qu'il devait se forcer à se recoucher. Suite à ses réflexions, il avait préféré attendre que le soleil monte assez pour défavoriser la plupart des vampires, quitte à sacrifier une heure ou deux. La chance l'avait accompagné, il put vérifier, à travers une fenêtre naturelle, que le ciel était encore assez dégagé. Des nuages un peu plus compacts s'amoncelaient à l'est.

Les quelques heures de sommeil, aussi agitées fussent-elles, avaient lavé la lassitude pour la remplacer par une détermination sans faille. Il laissait de son passage dans la cavité un cadavre d'ours des collines de petite taille, auquel il manquait la moitié des entrailles.

Le grand tunnel, qui traversait le bras de mer, servait de voie principale d'entrée dans les territoires vampires. Par conséquent, ses parois étaient parsemées de sentinelles, des artefacts magiques de technologie humaine, qui détectaient tout passage d'être vivant entre deux bornes et déterminaient sa nature. Elles avaient été programmées pour envoyer un signal spécifique dès qu'elles repéraient un hominidé non-vampire. Elliot avait donc l'avantage de pouvoir traverser sans déclencher la vigilance des Esprits. Il fallait juste éviter les patrouilles.

Le couloir formait un arc-de-cercle vers le bas. Son seul éclairage consistait en quelques plantes faiblement phosphorescentes nichées dans la roche. La faible luminosité suffisait amplement pour les nyctalopes. Comme estimé, il accéda à une première plaine sans affoler les sentinelles. Dans cet endroit, la lumière naturelle provenait exclusivement de réflecteurs, dont la surface était teinte d'une substance magique amplificatrice.

Une profonde nostalgie l'envahit alors qu'Elliot reconnaissait le paysage s'offrant à ses yeux. De la vraie terre tapissait le sol, permettant des cultures en profusion similaire à celles de la surface. Elliot retraça en mémoire le chemin qui le menait à la demeure De La Lune, en bordure du grand lac Raviance – qui n'était en fait qu'une avancée de la mer dans les sous-sols. Il refréna avec regret l'envie de s'y rendre. L'ancien héritier du maître n'aurait jamais cru être la proie de cette émotion. Ce à quoi il avait renoncé avec son mariage lui revenait en mémoire.

– Je n'aurais jamais pensé revenir ici.

Son murmure se perdit dans un souffle de vent, marquant la fin de sa méditation.

Il prévoyait d'utiliser la propulsion magique, le temps de parcourir les terres non habitées, en prenant soin d'éviter les lieux de vie, sans attirer trop l'attention. Puis, de reprendre son souffle et son énergie en traversant les zones plus peuplées. Un mouvement furtif, dans l'extrémité de son champ de vision, lui fit changer de plan. Une silhouette encagoulée avait surgi d'un bosquet. À la couleur de son enseigne, il reconnut un Esprit Rouge. Soit la dernière personne qu'Elliot aurait voulu croiser aussi tôt.

L'infiltré ralentit sa course pour aller au pas, se préparant à prendre l'initiative de l'attaque. Mieux valait faire taire celui-là le plus vite possible.

Cependant, le garde s'arrêta et le salua, la main au cou. Éberlué, Elliot envisagea d'abord un piège. Il inspira profondément par les narines, pour percevoir le moindre effluve trahissant la présence d'un autre ennemi, tout en balayant l'horizon de ses yeux. Nulle menace visible, aussi il décida de rendre la politesse, tout en gardant son corps en alerte.

– Sire Elliot, je suis rassurée de vous voir avant tout autre, fit l'inconnu d'une voix féminine. Puis-je m'approcher pour vous parler à voix basse  ?

– Approchez toujours, gare aux mouvements suspects.

L'Esprit Rouge ne se formalisa pas de la menace. Elle prit même le soin d'avancer sans précipitation jusqu'à parvenir à distance suffisante pour se faire entendre de son seul interlocuteur.

– Nous n'avons guère de temps à perdre en palabres, alors j'irais droit au but  : je suis là pour vous aider à récupérer votre fils. En échange, nous avons une requête à vous soumettre.

– Qui nous et quelle requête.

La voix de la femme lui évoquait quelques vieux souvenirs qu'il tentait de récupérer.

– Nous sommes ceux qui s'opposent aux maîtres, ou plutôt qui considèrent que leurs exactions, depuis une dizaine d'années, doivent cesser.

Elle hésita un instant avant de reprendre.

– Votre père en fait partie, vous avez dû recevoir son message. La requête est votre assistance dans la guerre que votre intervention va déclencher.

Elle haussa la voix tout en levant la main pour l'empêcher de répliquer.

– Je ne peux vous en dire plus pur l'instant. Je pense qu'il est préférable que je laisse votre père vous expliquer la situation  ; j'imagine que vous avez de nombreuses questions à lui poser.

Elliot ne manqua pas de relever le sous-entendu amusé dans son ton à la fin de sa phrase. Point de raillerie, plutôt un clin d’œil amical, de ceux que l'on pouvait faire à ses connaissances.

– Je vous connais, conclut Elliot comme une évidence. Ce que vous m'apprenez est dur à croire. Quelle garantie avez-vous à me donner que vous ne me tendez pas un piège  ?

– Aucune, évidemment. Il faudra vous fier à mes paroles et mes actes. Et oui, nous nous sommes connus avant votre mariage.

Ce disant, elle abaissa sa capuche pour révéler un visage proche en âge d'Elliot, aux traits familiers.

– Dame Ezilith, je n'ai jamais douté que vous intégreriez les Esprits Rouges.

La commissure des lèvres d'Ezilith s'étira, alors qu'elle haussait un sourcil en appréciant le compliment. Elle ôta son manteau et le lui tendit.

– Enfilez ça et je vous accompagnerais au champ de Hanneau.

Elliot se saisit de la tenue, qui lui pouvait lui rendre plus de service qu'escompté. Il avait prévu de dérober un habit, pour masquer à la fois son apparence et son odeur. Le manteau lui offrirait, en plus, la confiance de l'uniforme auprès des civils. Pour peu que la probité de la femme soit reconnue au sein de sa corporation, l'opération de sauvetage s'annonçait sous les meilleurs augures. À condition qu'Ezilith fût sincère avec lui.

Les manteaux des Esprits étaient ajustés à leurs propriétaires aux épaules, à la poitrine et aux hanches. La musculature et la poitrine opulente d'Ezilith firent qu'Elliot se sentit à l'aise dans l'habit. Une fois sa capuche rabattue sur ses yeux, et l'écharpe de tissu intégrée remontée jusqu'au nez, nul n'aurait pu le reconnaître.

– Vous l'avez tué vous-même  ? demanda-t-il en faisant référence aux plaques de cuir marbré vert qui servait d'armure à la femme.

– Si seulement  ! Non, ce cuir-là vient d'un mange-écume que vous aviez tué autrefois.

Les manges-écumes étaient considérés comme le pire fléau animalier sur le territoire vampire, à raison. En parvenant à en tuer une dizaine – l'un après l'autre – à lui tout seul, Elliot avait contribué à forger sa renommée de grand chasseur. D'ailleurs, c'était en affrontant l'un d'entre eux qu'il avait fait la connaissance d'Alicia.

– Qui gardera les frontières en votre absence  ?

– Les sentinelles s'en chargeront très bien.

Sur le chemin, Ezilith se révéla totalement conforme aux souvenirs d'Elliot, à prendre les commandes sans sourciller lorsque sa décision était prise. Elle était le genre de femme qu'il aurait tout à fait envisagé d'épouser, autrefois, et qu'il souhaiterait avoir pour amie aujourd'hui. D'ailleurs, elle était dotée de la même efficacité pratique qu'Alicia et la même force de caractère. Combien de fois ne s'étaient-ils pas disputés, autrefois, parce qu'elle s'obstinait à soutenir une idée opposée à celle d'Elliot  ?

Se rappelant leur passé commun, l'exilé se demanda pourquoi elle n'avait provoqué en lui que du désir, et jamais de l'amour, malgré ses ressemblances avec Alicia. La réponse lui vint aussitôt, en étudiant sa gestuelle tout en puissance  ; la douceur de l'elfe avait éveillé en lui des sentiments comme la tendresse, au même titre que la passion. Cette alchimie inédite en lui, déroutante à ses débuts, était ce qu'il avait nommé Amour. Et au bout de vingt années à s'en nourrir, il s'estimait dans le vrai.

Elliot ne put s'empêcher de désirer toucher de nouveau la peau ferme de la chasseresse, pour raviver les souvenirs d'autrefois. Déjà son odeur, imprégnée dans son manteau, venait lui promettre des délices oubliés. Hélas, pour sa femme la relation charnelle était exclusivement liée à l'amour, et son vampire de mari ne voulait pas la blesser pour ce prétexte. Heureusement, il lui suffit d'invoquer l'image de son fils dans une cage suspendue pour chasser tout en sentiment non chaste.

Insensible à ses luttes morales, Ezilith menait d'un train d'enfer son xenour. Non contente d'avoir guetté Elliot, l'Esprit Rouge avait planifié le chemin, incluant la préparation des deux lézards à pattes effilées pour les porter, n'hésitant pas un instant à emprunter des souterrains à moitié inondés, ou écroulés, inutilisés depuis des siècles.

Elliot, qui ne connaissait pas la plupart de ses passages, devait prendre plusieurs secondes à chaque fois qu'ils rattrapaient une zone plus connue pour se repérer. Il éprouva une grande reconnaissance envers sa guide, qui lui faisait gagner un temps précieux et une bonne économie d'énergie. Qu'avaient enduré les vampires pour faire appel à lui  ?

Pour être exact, ses sentiments étaient partagés quant à sa rencontre possible avec son père, l'homme qui avait occupé une place prépondérante dans sa vie d'enfant et de jeune adulte. Et, il le réalisait avec le recul, celui-ci avait motivé la plupart de ses décisions, avant son mariage.

Si les choses changeaient à ce point dans les territoires, il entendait bien en tirer parti au mieux.

Ils ralentirent l'allure à l'approche de la ville, pas seulement pour des raisons de discrétion. Une bonne partie de la population vampirique vivait en nomade, transportant ses tentes au gré de ses pérégrinations. De même, cette partie se souciait peu de l'organisation des cités élaborées. Il en résultait, que de grands monuments, comme le champ de Hanneau, qui était structurellement bien construit et magnifique, côtoyaient des forêts de bric et de broc, anarchiquement montés.

S'attendant à un tel spectacle, Elliot fut abasourdi de voir, en lieu de toiles, des maisonnettes, dignes d'un ghetto, qui empiétaient sans gêne sur les allées. Ne résidait plus, à la périphérie de la ville, une bande de voyageurs prêts au départ, mais plutôt des habitants trop pauvres ou fainéants pour bâtir une habitation mieux conçue. Et encore… L'ancienne cité de Rasth était gangrenée d'un amoncellement chaotique d'habitations de fortune, en torchis fait à la va-vite et matériaux de récupération, entassées les unes sur les autres et débordant n'importe où.

(suite du chapitre dans la partie 2)

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Cléo Didée ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0