11 - Manqués de peu 2

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Les xenours durent contourner un coin de mur, empiétant sur l'artère d'entrée de la ville. Elliot grinça les dents en voyant cet amas annonciateur de la fin d'une civilisation, et pinça les narines en sentant les immondices qui en ressortaient.

Ezilith ne le laissa pas s'arrêter et louvoya entre les obstructions incommodantes de la chaussée, pour remonter, ce qui était dans les souvenirs du banni, une allée grandiose, bordée de statues imposantes, symbolisant des hommes et des femmes, dans lesquels se mêlaient personnages  mythiques et réelles personnalités défuntes. Là, un malappris avait attaché l'extrémité d'une corde, pour stabiliser sa maison, au torse d'Araphellis la chevaucheresse  de lune  !

– Hâtons-nous, les ordres du maître n'attendent pas.

Détourné de son envie de couper l'insolente corde, Elliot serra les poings sur les rênes de sa monture.

Ils abandonnèrent les lézards près d’une écurie, lorsqu'il fut évident qu'ils iraient plus rapidement sans eux. L'Esprit Rouge en patrouille autour du champ de Hanneau les salua au passage et poursuivit son chemin. Elliot n'aurait pas rêvé mieux. Il se laissa envahir du calme, par lequel il aimait se faire guider lors de l'action, tout en parcourant les couloirs, vides à cette heure, du monument. Bientôt, il retrouverait son fils et le sortirait de cet enfer.

Il abandonna Ezilith à un tournant et s'avança tout seul vers le gardien des cages. Son manteau lui donnait toute l'autorité nécessaire.

– Le maître demande à voir le bâtard.

– Encore  ? grogna le vampire.

– Maintenant  !

Le ton sec d'Elliot le fit cesser de maugréer et obtempérer immédiatement. C'était bon de constater qu'il avait toujours de l'autorité à revendre, non pas qu'il en doutât.

La lourde porte de pierre pivota sur une obscurité opaque, si dense qu'elle serra le cœur du nocturne, suivie immédiatement d'une infection malsaine qui lui retourna l'estomac.

Mon pauvre Sephenn, élevé dans le confort et la sécurité. J'aurais dû savoir que les clans ne nous laisseraient jamais en paix et mieux vous préparer.

Il tenta de scruter les ténèbres pour deviner la cage qui suspendait son aîné, tout en tendant l'oreille pour entendre sa voix, parmi les gémissements et les plaintes. Le grincement des chaînes s'éleva tandis que le gardien faisait descendre la cage de Sephenn. Le bruit réveilla quelques prisonniers pour lesquels Elliot n'éprouva aucune miséricorde.

– Encore  ? Laissez-nous dormir, pesta l'un d'entre eux encore en état de protester.

Cette phrase attira aussitôt sa suspicion.

– Quelqu'un d'autre est entré après la fin des jeux  ? Qui donc  ?

Des sifflements lui répondirent.

– Il le sait, lui, soupira une voix éraillée en désignant le gardien.

– La ferme, pauvre larve menteuse  ! Personne n'est entré depuis que j'ai fermé la porte.

– Et à quand remonte cette fermeture  ? insista Elliot dans un bruit de gorge méprisant.

Le pathétique homme plissa le front dans ses efforts de remémoration.

– Après avoir ramené les derniers prisonniers, suite aux jeux.

– Vraiment  ? Et le prisonnier destiné à cette cage était-il dedans lorsque vous avez fermé  ?

Nouveau froncement de sourcils.

– Elle l'était, oui je me souviens bien remettre le bâtard dedans.

Elliot lui empoigna le col et abaissa sa propre capuche.

– Maintenant, je suppose que vous allez m'affirmer que mon fils a disparu par enchantement de sa cage  ?

– Comment, mais qui, mais… vous  ? bafouilla le gardien.

Elliot resserra sa prise sans retirer grand-chose de plus du vampire à la mémoire vacillante. Il renifla et se retourna vers le prisonnier bavard.

– Toi là-haut, qu'as-tu vu  ? Réponds et je te sortirais de ta cage.

Le gardien tenta de protester, Elliot pressa sur sa trachée et ses propos se perdirent en gargouillis. Le prisonnier plaqua son visage contre les barreaux pour le dévisager.

– Par mes crocs, si j'en crois mes yeux… Elliot. Je me demandais si vous viendriez.

– Mon fils, asséna l'infiltré.

– Ce gardien l'a sorti de sa cage, après les jeux, et votre fils est parti de son gré avec un inconnu. Ne me demandez pas quand, car je n'ai plus la notion du temps.

Sans savoir ce qui l'agaçait le plus, Elliot desserra sa prise et retroussa les lèvres.

– Dernière chance de sauver ta peau: qui est parti  avec Sephenn.

Malgré la menace explicite, le gardien ne put que protester, accuser le prisonnier de menteur et certifier avec force qu'il ne savait comment l'adolescent avait disparu. Le tout arrosé d'une bonne dose d'incertitude dans le regard, comme s'il cherchait vainement ses souvenirs. Elliot reporta son attention sur le prisonnier.

– À quoi ressemble l'inconnu  ?

– Je suis incapable de le dire. Je sais que je l'ai discerné, et pourtant, ses traits ne veulent pas s'inscrire dans ma mémoire.

– Une illusion  ?

La question était rhétorique. Couplée à l'amnésie sélective du gardien, ainsi qu'à l'accord de son fils, elle témoignait de l'action d'un mage ou d'une créature illusionniste. Elliot optait plutôt pour la première solution, ne parvenant pas à trouver de justificatifs à l'action du second. Une nouvelle énigme s'offrait à lui, et celle-là était bien la dernière à laquelle il aurait aimé se confronter.

Il plongea ses crocs dans la gorge du gardien, lui écrasant la trachée et aspira une bonne gorgée de sang avant de libérer le corps encore chaud de son étreinte. L'absence de Sephenn, l'incertitude de sa sécurité façonnaient une boule d'angoisse sourde au fond de son âme. Tel était le contrepoids de la fierté paternelle. En attendant de pouvoir l'apaiser, Elliot avait d'autres considérations à prendre. Il se saisit du trousseau de clefs du défunt avant de s'approcher des leviers.

– Lequel  ?

– Bonne question, je suis bien incapable de le dire. Au premier tiers sur la droite.

Très précis… Et peu économique en temps, de surcroît. Le déplacement de chaque chaîne entraînait des secousses désagréables pour les occupants des cages et Elliot ne souhaitait pas prendre le risque de blesser un innocent emprisonné à tort. De l'extérieur, la scène devait ressembler à un instrument de musique macabre, entre les grincements du métal et les voix plaintives des prisonniers. Après un court concert de cris de douleurs et de crissement, Elliot distingua la bonne cage et entreprit de l'abaisser le plus doucement possible, afin d'épargner le prisonnier.

Il ouvrit la cage à l'aide du trousseau de clef du gardien, ce fut également une occasion de scruter le visage émacié et borgne de son occupant, masqué en partie par une masse roux terne. Le vampire s'extirpa de sa cage exiguë avec peine, son corps amaigri portait les traces et les mutilations des jeux. Pourtant une flamme bleue brillait dans son seul œil intact. Il se plaça la main sous le cou, pour saluer Elliot.

– Je n'aurais jamais envisagé de bénéficier de votre aide. J'en suis ravi à bien y réfléchir, à vous, je pourrais le dire.

– Me dire quoi  ?

– Mon esprit est embrouillé, trop d'années se sont passées dans le silence et le secret. Et ma faiblesse est telle, que je ne saurais clarifier mes souvenirs pour vous l'expliquer correctement. Emmenez-moi, soignez-moi. Vous y gagnerez, car mon intuition me souffle que nos problèmes sont liés.

– Blessé comme vous l'êtes, vous serez un poids mort, objecta Elliot.

– Boire un peu de sang me revigorera.

Autant Elliot en doutait, autant son allégation au sujet du ravisseur de Sephenn l'intéressait. Tandis que le moribond se jetait sur la dépouille du gardien, pour en aspirer un reste sanguin liquide, Elliot s'assura du calme dans les couloirs.

– Pourrez-vous tenir une évasion  ? interrogea-t-il avec doute.

– Je suis pugnace, n'en doutez pas. Par quelle mise en œuvre escomptez-vous nous extraire de cette oubliette  ?

– J'ai conclu un marché avec des opposants aux maîtres.

– Une opposition dites-vous  ? Ce mot instille quelques souvenirs dans mon esprit, nos routes durent se croiser.

– Revenons à mon fils, avez-vous une idée de l'endroit où cet inconnu peut l'avoir emmené  ?

L'homme secoua la tête.

– La faim occulte toute construction mémorielle, je ne pourrais vous apporter une réponse viable et pertinente sans repos.

– Dans ce cas ne perdez pas de temps et suivez-moi.

Elliot rabattit sa capuche sur la tête et s'engagea dans le couloir à pas vifs. Ezilith tressaillit en le voyant suivi du moribond.

– Votre fils a bien changé en quelques heures, ironisa-t-elle.

– Il a disparu des oubliettes. Pressons, je veux soigner cet homme pour qu'il me raconte ce qu'il sait.

Ezilith leur enjoignit de rester dans l'ombre pour l'instant et fit un signe à un fiacre garé au coin d'une rue. Lorsqu'il fut devant l'entrée, Elliot et elle aidèrent l'évadé à s'y installer. La voiture était un petit modèle, et le vampire borgne occupait la seule banquette. Elliot s'accrocha à l'arrière, à l'emplacement prévu pour les bagages, tandis que l'Esprit Rouge allait prendre place près du cocher. L'attelage, équipé de deux xenours solides, se mit en branle en un rien de temps. Il dévala les rues encombrées dans de grandes secousses, pour éviter les obstacles.

Une telle cavalcade ne passa pas inaperçue et, bien vite, l'instinct d'Elliot l'avertit de la présence de poursuivants. Il le signala à Ezilith, qui sauta au sol pour les arrêter. Le fiacre continua sa course sans ralentir, abandonnant derrière l'Esprit Rouge.

Le sorma se laissa porter sur la route si familière, tout en guettant les environs. Il s'inquiétait tout particulièrement des ornières, que les roues creusaient dans le sol tout au long de leur chevauchée, traçant une piste aisée à suivre. Quant à savoir ce qui était advenu d'Ezilith, il n'en avait aucune idée, toujours était-il qu'ils n'étaient plus poursuivis de près pour l'heure.

Il entendait des gémissements provenir de l'intérieur du fiacre à chaque cahot, lui confirmant l'état de santé correct du passager. Pour l'heure, il n'éprouvait pour lui qu'un intérêt dénué de compassion. Il ignorait la raison de son emprisonnement et ne se souciait que de ce qu'il pouvait lui dire sur l'inconnu. Dès qu'ils seraient arrivés au manoir, Elliot s'empresserait de le faire manger pour l'interroger, le reste attendrait. La route que la voiture prenait ne laissait aucun doute sur la destination.

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