7 - Incursions illégales 2

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Sephenn se pelotonna du mieux qu'il put, lorsqu'il perçut de l'activité derrière la porte de pierre. La roche se souleva, déversant un flot de lumière provenant du couloir dans la cellule. Ébloui, il plissa les yeux, tandis qu'il écoutait le gardien maugréer et un autre homme lui enjoindre d'obéir.

Trois inconnus entrèrent. Sephenn ouvrit doucement les yeux et s'approcha des barreaux de la cage pour les apercevoir. Deux silhouettes portaient le manteau encapuchonné des Esprits Rouges, à la différence de la teinte de la petite enseigne sur leur torse, qui était bleu plutôt que rouge. Le troisième était un jeune homme androgyne, aux cheveux vert qui lui tombaient sur les épaules.

Le gardien actionna le mécanisme de déplacement des cages. Dans un brusque tressaillement, celle de Sephenn s'abaissa. Les à-coups faisaient un mal de chien aux courbatures du jeune homme, qui grinça les dents pour ne pas pousser de cri de douleur, aussi faible soit-il, en présence de ses geôliers.

– N'ouvrez pas sa cage, prévint le gardien résigné. J'insiste, Sire Niisrath, s'il s'échappe je serais responsable.

– S'il s'échappe, c'est que vous êtes un incapable, répliqua distraitement l'homme. Vous pouvez partir, maintenant.

Le gardien grimaça en lui jetant un regard noir, avant de s'éloigner dans le couloir à la suite des deux autres hommes, qui râlaient contre l'infection des lieux.

Le jeune homme était à peine plus âgé que Sephenn. De taille moyenne, une démarche féline, une mèche tressée qui lui glissait le long de son visage fin et des yeux vairons bleu et vert. Il portait une veste cintrée, ornée de dentelles, sur un pantalon moulant, le tout dans des nuances de vert. Il avait le regard de ceux qui vivent l'esprit dans un autre monde.

Un prisonnier le siffla. Une fois. D'un geste fluide le jeune vampire le perfora d'un rayon argenté sorti de ses doigts tendus, sans daigner le regarder.

Le mevale entreprit ensuite de tourner autour de la cage de Sephenn pour le détailler, comme un animal au zoo.

– Alors, voilà à quoi ressemble un demi-elfe, fit-il pensif.

– À quoi voulez-vous que ressemble un demi-elfe ? se vexa Sephenn.

– La souillure suprême, l'avilissement de notre sang devrait se traduire par des traits dégénérés.

Il s'exprimait dans un souffle, Sephenn ne parvenait pas à savoir s'il lui répondait ou s'il réfléchissait à voix haute.

– Un être plein de bassesse et débile, mais ce que je vois est beau... un mevale aux oreilles démesurées.

Sephenn se mit la main sur l'oreille par réflexe.

– On ne vous a jamais appris à ne pas se fier aux apparences  ? répliqua-t-il méfiant, mais perplexe.

– Mais, les apparences sont une source d'information sur nous, répondit le mevale sincèrement étonné.

D'un geste vif, il passa la main entre les barreaux et saisit une mèche de cheveux de Sephenn, qu'il porta à son nez.

– Tes cheveux sont imprégnés de l'infection de cette salle, pourtant, ils ne dégagent pas encore une odeur de saleté. Je vois que les racines commencent seulement à se graisser, alors que tu es là depuis une nuit et un jour et les pointes sont bien coupées.

Stupéfait, Sephenn le regarda lâcher ses cheveux, et n'eut pas le temps de réagir quand il lui attrapa la main, qu'il sortit de la cage pour l'examiner.

– Tes ongles sont bien coupés, la peau de ta paume est douce et sur les jointures de tes doigts, elle est un peu plus épaisse et abîmée.

Le vampire lâcha la main de Sephenn, qui la ramena promptement près de lui.

– Je peux dire que tu prends soin de ton apparence et que tu te soucies d'hygiène, affirma l'homme. Tu ne pratiques aucune activité manuelle quotidienne, ni maniement d'armes, ni artisanat, ni travail physique. En revanche, tu passes des heures à t'entraîner aux coups de poing, tu en as certainement déjà donné suffisamment pour t'égratigner les jointures des phalanges. Tu as mené une vie facile, où tu ne manquais de rien, il te suffisait d'étudier.

  »Est-ce que je me trompe ?

– Non, admit Sephenn. Je reconnais que l'apparence physique peut apporter des informations sur notre caractère ou notre mode de vie, mais pas sur nos idéologies ou notre personnalité profonde. La beauté n'est pas indissociable de la grandeur d'âme.

Le vampire eut un sourire ravi. Ses yeux bleu et vert exprimaient une certaine excitation.

– Une bonne élocution, un bon raisonnement, j'ai hâte de voir tes talents à l’œuvre ! Mais…

Une idée venait de la frapper subitement.

– Es-tu un chasseur ? demanda-t-il avec un sérieux intense. Te nourris-tu de sang ?

Le regard, auparavant mobile, du mevale se fixait désormais dans celui de Sephenn en une profonde inquisition.

– Vous verrez bien, se contenta de répondre Sephenn.

Il rit à la provocation, ravi.

– À quoi ressemblent les elfes ?

Accroupi, le nez collé aux barreaux de la cage, il scrutait ses moindres mouvements. Qui était donc cet homme dont la pensée passait du coq à l'âne ?

– Vous n'en avez jamais vu ?

Le vampire secoua la tête en dénégation.

– C'est la première fois que je mets les pieds en Rasîl, lui rappela Sephenn qui, déstabilisé, ne parvenait plus à garder un ton méfiant. Je ne connais que ma mère et la famille de mon oncle.

– À quoi ressemblent-ils, insista le vampire.

– Je peux vous les montrer, répondit lentement Sephenn. Si vous me laissez établir un contact mental avec vous, je vous montrerai leur image.

L'idée de Sephenn était d'accéder à son esprit pour en savoir plus, non seulement sur lui, mais aussi peut-être sur ses chances de s'enfuir. Malheureusement, les vampires savaient se protéger contre les intrusions mentales, et l'esprit du jeune homme était défendu par un mur inaccessible malgré les tentatives de l'adolescent.

Son regard, fixé sur celui du métis, s'était voilé. Visiblement, il envisageait sérieusement la question.

– Pourquoi pas. Montre-les-moi, intima-t-il alors que son sourire excité revenait.

Sephenn tendit son esprit vers lui et sentit que sa protection s'abaissait. S'abaissait sans s'effondrer. Le vampire ne lui donnait accès qu'à ses pensées supérieures, remplies pour l'heure de l'image de Sephenn. Résigné, il visualisa sa mère, son oncle, sa tante et son cousin et lui envoya leur image.

Dès qu'il les reçut, le vampire chassa Sephenn de son esprit.

– Ils sont moins laids que ce que je m'imaginais, commenta-t-il. En fait, ils seraient presque beaux.

– Qui êtes-vous  ? demanda enfin Sephenn, lassé de le laisser mener la danse.

– Niisrath Drakel, répondit-il sans hésiter.

Les gardes du corps, qui s'étaient éloignés dans le couloir, revinrent, ne laissant pas le temps à Sephenn de poser une autre question  : «  Qu'espérez-vous de moi  ?  »

– Sire Niisrath, nous devons repartir maintenant, le pressa l'un d'eux. Les Esprits Rouges ne vont pas être contents de nous trouver ici.

Le ton de sa voix était visiblement tendu. Niisrath Drakel était-il venu sans autorisation  ? Cela signifiait donc qu'il avait un titre assez élevé pour forcer le gardien à le faire entrer.

Le jeune noble afficha un air ennuyé, avant de hausser les épaules et de suivre ses gardes du corps. Il sortit sans un regard en arrière.

Le gardien grommelait, tout en se dirigeant vers le mécanisme d'actionnement des cages. De nouveau, Sephenn fut secoué dans tous les sens alors que sa cage s'élevait. Le gardien ne s'était même pas aperçu de la mort de l'un de ses prisonniers.

Les ténèbres de nouveau.

Les autres prisonniers, qui s'étaient tenus cois lors de la présence de Niisrath, lâchèrent des railleries et gouailleries à l'encontre de Sephenn. Comme si ces petites méchancetés les libéraient provisoirement de leur prison de souffrance et de désespoir.

La venue du jeune homme avait provoqué pour la première fois un semblant d'animation dans la pièce close.

– Ce gamin, c'était pas l'héritier Des Lunes ? demanda une prisonnière à la voix éraillée à l'un de ses voisins.

– Je crois. Il est quand même étrange celui-là.

L'héritier au titre de maître Des Lunes.

Sephenn était éberlué, la seule personne plus puissante que lui dans le clan mevale était le maître lui-même.

Avant d'être renié, Elliot avait été l'héritier du maître De La Lune. Avait-il été remplacé vingt ans après ?

Niisrath Drakel ne ressemblait en rien à Elliot. Sephenn se demanda sur quels critères on élisait les Maîtres.

D'ailleurs est-ce que le maître De La Lune était toujours celui qui avait exilé son père ?

Prisonnier autant de ses pensées que de sa cage, Sephenn se forçait à les contrôler, afin que les souvenirs d'Aldor ne reviennent pas le hanter.

Le maître.

Dylan De La Lune. Le grand-père de Sephenn, dont Elliot avait hérité du visage et de la prestance. Que pensait-il aujourd'hui de son fils, toujours de la haine ? Et de lui, Sephenn, son petit-fils, du mépris ?

Aldor considérait que la peine de l'arène était préférable à d'autres. Si son grand-père estimait que l'union avec une elfe était une souillure, pourquoi l'avait-il envoyé à une peine considérée comme douce ?

Le sommeil le prit enfin, alors qu'il songeait aux jeux qui l'attendaient le lendemain.

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