7 - Incursions illégales 1

8 minutes de lecture

Le soleil du crépuscule était masqué par des nuages gris. La bruine avait enfin cessé et Rodyle éclaboussait les herbes déjà trempées en courant dans la campagne. Il avait regardé passer les heures en attendant impatiemment l'instant béni où il pourrait mener son projet à bien sans éveiller les soupçons.

Ses devoirs expédiés, le troisième enfant d'Elliot et Alicia disposait d'une bonne heure et demi de liberté totale avant le coucher. C'était un peu juste pour ce qu'il prévoyait de faire. Malheureusement, il ne pouvait se permettre de bâcler les exercices scolaires – une horreur  ! – car Alicia se montrait intraitable à ce sujet.

Rodyle s'arrêta un instant pour scruter les alentours. Il n'était pas facile d'utiliser les repères de nuit, le jour. Tout était plus éblouissant  ! Il se concentra sur ses sensations, si le portail n'était pas loin, il devrait le sentir. Le petit vampire eut un sourire excité quand il le repéra.

Le portail interdimensionnel…

Rodyle en rêvait depuis la nuit précédente. La Junsîl l'étouffait. Il ne s'y sentait pas à sa place. Il avait bien conscience du danger, de l'interdit. Cependant, il fallait qu'il y aille, qu'il le voie, ce monde dont il était originaire.

Nonobstant la boue qui giclait sur son pantalon, il courut vers l'objet de son désir. Le portail était invisible, à l'exception d'une légère distorsion du paysage, quand on regardait à travers. Excité comme une puce, Rodyle se força à inspirer profondément, pour se contrôler, et fit un pas.

La plaine vallonnée l'accueillit avec l'île volcanique qui se dressait plus loin, les bruissements de la natures libérés du vrombissement des avions et des voitures. Le paradis  !

Ici, pas de nuages qui masquaient le crépuscule, et le soleil couchant teintait de sa douce lueur rouge orangée la plaine.

Rodyle allait faire un tour. Il irait du côté opposé à l'île. Là-bas, une immense forêt lui tendait les bras, l'invitant à découvrir les merveilles qu'elle renfermait.

À peine s'approcha-t-il de son orée qu'il entendit un fourmillement de pattes de petits rongeurs s'éloignant à toute vitesse du petit prédateur. Rodyle sourit, les yeux brillants. Il n'avait prévu de faire qu'une petite balade, mais l'instinct le poussait à chasser par jeu. Il avait déjà attrapé des lièvres, des renards et autres petits animaux forestiers.

Rodyle se faufila à pas de loups entre les arbustes et les buissons. Seules des créatures à l'ouïe fine pouvaient percevoir l'infime crissement que ses pieds faisaient sur le sol. Tous ses sens aux aguets, le petit vampire guetta ses proies.

Un écureuil sauta au-dessus de lui. Trop haut.

Un ragondin s'aventura entre les racines d'un hêtre, Rodyle s'en approcha lentement. Le rongeur, inconscient du danger qui le guettait, poussa l'exploration un peu plus loin, en quête d'une faîne précoce. Le chasseur bondit et d'un geste vif attrapa sa proie.

Le ragondin gigota pour s'échapper, mais les mains expertes de Rodyle le maintinrent, se délectant de sa peur, puis le laissèrent s'échapper. Tuer pour tuer ne l'intéressait pas, il chassait pour l'excitation du jeu.

Déjà, il guettait la proie suivante. Quelque chose de plus gros, cette fois.

La forêt s'assombrissait, tandis que le soleil disparaissait sous le faîte des arbres. La vision de Rodyle n'en fut qu'améliorée, la nuit se couvrait pour lui de milliers de couleurs chatoyantes, que la lumière du jour affadissait. Une chouette hulula, signalant son entrée en chasse.

Le petit vampire s'avança un peu plus dans la forêt. Il repéra le glapissement d'un renard, provenant de derrière les fourrées. Souriant d'extase, Rodyle s'élança. L'instinct de l'animal l'avertit à temps pour glisser entre les bras du vampire. Le garçon le poursuivit de toutes ses forces, sautant par-dessus un roncier, se baissant pour éviter des branches basses. Il se jeta enfin sur le renard, l'enserrant de ses bras.

– Je te tiens  ! triompha-t-il.

Rodyle plaqua la tête du renard contre sa poitrine et la maintint en serrant son cou. L'animal se débattit, rageur. Soudain, le garçon eut la sensation d'être épié, il tendit l'oreille pour le confirmer, à la recherche de respiration ou de bruits de pas.

– Aïe  !

Perplexe, Rodyle avait relâché la pression de ses bras et le renard en avait profité pour le mordre et s'échapper. Le garçon se mit la main sur le poignet et releva les yeux sur une lance, dont la pointe était dirigée sur sa tête.

L'homme qui tenait l'arme était un elfe, aux cheveux bleu-indigo. Son visage pâle s'ornait de peintures noires, serpentant en arabesques le long de ses traits. Ses habits ajustés se nuançaient de couleurs entre le vert et le brun.

– D'où viens-tu  ? interrogea l'elfe sans aménité, sa lance toujours pointée vers Rodyle.

– De la Junsîl, répondit Rodyle trop impressionné pour penser à mentir.

L'elfe parut surpris.

– Que fais-tu ici  ?

– Je voulais juste me promener un peu, se justifia Rodyle penaud.

L'elfe le détailla du regard pensif.

– Un portail est apparu dans les environs, c'est bien cela  ?

– Oui, confirma Rodyle.

– Tu n'es pas du clan De La Lune  ? insista l'elfe.

– Non, protesta Rodyle, mon père en a été chassé quand il s'est marié avec ma mère ! J'ai pas le droit d'aller chez eux, d'ailleurs mon frère y est et on n'a plus de nouvelles de lui, depuis.

L'elfe baissa releva la pointe de sa lance pour l'appuyer sur son épaule.

– Je suis désolé pour ton frère, dit l'elfe. Je vais te ramener au portail.

– Pourquoi  ? S'il-vous-plaît, j'aimerais me promener encore un peu. Je promets que je vous dérangerais pas  !

– Te promener ou chasser  ?

– Je chassais pas, je m'amusais juste un peu, se défendit Rodyle.

– Hé bien, il vaudrait mieux pour toi que tu rentres avant qu'une créature ne décide de s'amuser avec toi, rétorqua l'elfe d'une voix douce.

– Je sais me défendre.

– Ah vraiment  ? dit l'elfe avec un petit sourire amusé. Tu saignes.

Rodyle retira son bras d'une moue boudeuse. Il se concentra et les plaies cicatrisèrent.

– La régénération n'est pas imparable. Maintenant, suis-moi.

L'elfe se releva et tourna les talons. Rodyle tâta son poignet guéri, puis se releva et suivit l'inconnu. Le pas agile de l'elfe faisait passer celui de Rodyle pour lourdaud et bruyant.

– Comment vous appelez-vous  ? demanda-t-il.

– Sallyadel Blanchelune, répondit l'elfe.

– Moi, c'est Rodyle Bore. Ma mère aussi est une elfe.

– Je m'en étais rendu-compte, de quel peuple est-elle issue  ?

– Ben, c'est une elfe diurne… elle vient de Vallynä je crois… comment vous avez fait pour me surprendre  ?

Sallyadel tourna son visage amusé vers Rodyle.

– Les vampires sont de grands chasseurs mais ils ne savent pas écouter.

– Moi j'entends bien  !

– Tu n'entends que ce que tu veux écouter, rétorqua l'elfe. Tu ne m'as pas entendu arriver, car tu n'écoutais plus, tout dans ta joie d'avoir attrapé ce renard.

Rodye fit la moue et dû admettre qu'il y avait du vrai là-dedans.

– Pourquoi vous m'avez attaqué  ? demanda ensuite le garçon.

– J'ai pris mes précautions, rectifia Sallyadel, le temps d'avoir ton identité.

– Oui, mais pourquoi  ?

– Parce que tu es un vampire et que tu es sur notre territoire.

– Comment s'appelle votre clan  ?

Ils atteignaient déjà l'orée de la forêt. Sallyadel n'avait touché aucune branche avec sa lance et circulé dans la végétation broussailleuse, au pied des arbres, sans laisser des traces visibles de son passage.

– J'appartiens au clan Sylphida.

Il se retourna face à la forêt pour la désigner, d'un vaste balayement du bras.

– Cette forêt et ses alentours sont notre terre. Si nous sommes en bons termes avec nos voisins vampires, nous n'aimons pas plus qu'eux les intrusions. Où est le portail  ?

– Dans cette direction.

Sallyadel contempla le portail songeur.

– Il est récent celui-là, murmura-t-il.

– Qu'est-ce que vous faisiez dans la forêt  ? interrogea Rodyle, curieux. Vous chassiez  ?

L'elfe secoua la tête en dénégation tout en scrutant les alentours du portail.

– Je patrouillais, répondit-il simplement.

Rodyle s’apprêtait à poser une nouvelle question, quand il vit Sallyadel se raidir et tourner la tête. Rodyle suivit son mouvement et vit un individu se précipiter à grande vitesse vers eux, effrayé de ce que son instinct qualifia de menace, il s'agrippa par réflexe à l'elfe. Certes, il avait déjà vu son père courir ainsi, cependant, cette fois ce n'était pas son père, et aussi courageux qu'il était, Rodyle n'était encore qu'un enfant.

– Lâche-moi ! s’exclama Sallyadel.

D’un geste ferme, il repoussa Rodyle, qui le gênait pour manipuler sa lance, et frappa vivement en direction de l'individu. Celui-ci s'immobilisa aussitôt à une distance respective de la lame en pierre polie, sans manifester pour autant de crainte vis à vis de celle-ci. Son regard, étrangement inexpressif les ignora pour se porter sur le portail, avant de daigner étudier l'elfe et le métis. Il s'attarda un moment sur l'enfant, sans pourtant manifester davantage d'émotions.

– Tu es sur le territoire de mon clan, vampire, lâcha Sallyadel, en maintenant sa posture menaçante. Retourne sur tes pas.

La pointe large de la lance émettait un faible scintillement argenté, tandis qu'elle était toujours dirigée, sans frémir, vers le vampire. Ce dernier n'exprima rien, puis au bout d'une minute, recula d'un pas, pivota, avant de bondir en sens inverse.

Assuré qu'il ne reviendrait pas de sitôt, Sallyadel releva sa lance en se détendant physiquement.

– Qu'est-ce qu'il voulait  ? bafouilla Rodyle.

– Comment savoir  ? Son esprit était scellé, répondit Sallyadel d'un air sombre. Nos échanges avec les clans vampires se sont dégradés ses dernières années, les plus incontrôlables tentent parfois de chasser sur nos territoires. Maintenant, il faut que tu rentres en Junsîl.

Un peu secoué par sa première rencontre avec un autre vampire que son père, et son regard vide indéchiffrable, Rodyle ne protesta pas.

– Est-ce que je pourrais revenir  ?

– Si cela ne tenait qu'à moi, tu pourrais rester ici. Cependant, notre alliance avec la Ragguî nous engage à renvoyer chez lui tout visiteur de la Junsîl, ou les ramener dans la région commune. Je suppose que tu préfères rentrer chez toi.

Le garçon hocha la tête.

– D'ailleurs, il vaudrait mieux pour toi et ta fratrie de ne plus revenir aussi près des territoires vampires et vallynayas. Si ton frère s'est fait capturer, tu comprends pourquoi je dis cela.

Il désigna le portail en invitant le garçon à le traverser.

– Au revoir, Sallyadel, j'ai été ravi de vous rencontrer.

L'elfe lui sourit et lui ébouriffa les cheveux. Rodyle, qui n'aimait habituellement pas qu'on y touche, supporta sans broncher.

– Au revoir, petit bonhomme. J'espère qu'un jour ta famille sera autorisée à revenir, je serais ravi de rencontrer tes parents.

– On reviendra, j'en suis sûr  ! assura Rodyle les yeux brillants.

D'une pression dans le dos, Sallyadel l'invita à passer le portail. Une fois le petit vampire disparu, il prit place devant le passage. Autant pourtant protéger cet autre monde que pour protéger le sien. Bien que non dotés de magie, les humains de la Junsîl possédaient des armes dangereuses qu'il ne souhaitait pas rencontrer.

(suite du chapitre dans la partie 2)

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Cléo Didée ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0