2 - Justice inadaptée 1

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Deux semaines plus tard, le week-end débutait sous un soleil radieux pour la famille Bore. Tandis que leurs cadets déjeunaient, les deux aînés échangeaient des passes avec des simulateurs en bois. Sephenn, le plus âgé, maniait avec circonspection sa fausse épée à deux mains avec un demi-sourire devant le regard sérieux de Luna, de deux ans sa cadette. Tous les deux avaient hérité d’une masse de cheveux argentée qui venait de leur grand-mère maternelle. Si l’adolescent l’arborait avec fierté en la faisant descendre jusqu’aux reins, l’adolescente avait décidé de les teindre en bleu vif. Au moins, elle ne mentait pas en affirmant que ce n’était pas sa couleur naturelle.

Avec leurs yeux gris, c’était tout ce qu’ils partageaient physiquement. Sephenn était moyen et large d’épaule, Luna grande et mince comme sa mère. Elle dépassait son frère de quelques centimètres et disposait d’une très bonne allonge avec ses longs bras. Et ça, elle en jouait énormément lors de sa pratique d’arts martiaux historiques.

Si Elliot avait enseigné l’art de la chasse à ses enfants, sa fille avait émis l’envie de manipuler des armes et ce matin, elle se préparait à un tournoi amical. Les métis rivalisaient de tonicité et de rapidité, mais petit à petit la technicité de Luna l’emportait.

De leurs côtés, Rodyle et Tatian encourageaient leur aîné par pure esprit de solidarité fraternelle. Alicia, quant à elle, sirotait son chocolat chaud à la noisette avec un demi-sourire. Elle admirait la vivacité de ses enfants.

Soudain, les cinq elfes et semi-elfes se redressèrent en entendant une voiture s’arrêter devant le portail.

– Qui cela peut bien être, murmura Alicia en tendant son esprit vers les nouveaux arrivants.

Elle pâlit aussitôt et, croisant le regard de ses enfants, conclut qu’ils avaient lus la même chose. Des policiers venaient arrêter Elliot.

– Mais ils n'ont pas le droit, papa n'a rien fait ! protesta Luna.

– N'importe quoi, je vais le prévenir ! s'énerva Sephenn.

– C'est pas juste, gémit Rodyle.

L'arrivée policière brisait l’asile protecteur de la maisonnée. Avec d’autant plus d’horreur qu’elle se faisait pour un crime inimaginable de la part du père de famille. Certes, les familles tombent souvent des nues lorsqu’un membre est accusé d’un crime mais de tous ceux qu’aurait pu commettre Elliot, le viol était le plus incongru.

Une fois le choc passé, Alicia s'activa. Elle s'empara de Tatian pour le mettre dans les bras de Luna.

– Vous deux, cachez ce qui doit l'être, je vais au-devant d'eux. Fermez vos esprits, Tatian peut lire en vous !

Les deux enfants laissèrent leurs petits-déjeuners en plan pour ranger les poches de sang – obtenues au marché noir – et cacher les quelques cadeaux miraculeusement passés sous la douane entre Rasîl et Junsîl.

La mère de famille se dirigea le cœur meurtri vers le portail tandis que des pas martelaient le macadam du trottoir. Elle ralentit et considéra qu'anticiper leur venue pourrait paraître suspect. Elle savait sa famille en règle avec les lois junsîliennes.

La sonnette tinta. Ne pas ouvrir tout de suite.

Dans la maison, ses enfants s'activaient à cacher les traces d'une vie rasîlienne. Heureusement, Luna se montrait déterminée à protéger psychologiquement ses petits frères et la mère put les entendre rire.

Lorsqu’elle le jugea convenable, Alicia franchit le dernier mètre qui lui restait à parcourir.

Vivre à la fois cachée et visible dans une société développait des capacités d'anticipation des attitudes à adopter. Alors Alicia dosa l'inquiétude qui se peignait sur son front tout en baissant la clenche.

Le portail pivota en dévoilant des policiers peu amènes. Papier tamponné en bouclier on lui annonça ce qu'elle savait déjà :

– Police criminelle, nous venons voir Elliot Bore.

Elle pâlit sans se forcer et d'une voix éteinte répondit :

– Il dormait tout à l'heure…

Le pas reconnaissable entre mille par son cœur lui épargna la peine de les mener jusqu’à son mari. Elle se décala, pour le laisser faire face aux policiers. Elliot portait un haut en coton léger à manches longues enfilé à la va-vite, le pantalon de la veille et ses chaussures.

– Que se passe-t-il ?

A son ton, il était impossible de déceler la moindre information sur ce qu’il savait ou pensait. Elliot faisait mine d’avoir vu l’agitation en se levant et être arrivé aussitôt.

_ La police pour toi, souffla Alicia en s’effaçant.

Elle ne voulait pas voir les policiers à l’œuvre. Dans son dos, les annonces d’arrestations la poignardaient. On accusait son mari de viol et de tortures sur sa stagiaire, Alicia trouva cela encore plus absurde. Cette attaque inattendue abasourdissait l’elfe à tel point qu’elle en perdait son sens de l’à-propos. Comment devait-elle réagir ?

Parvenue devant la porte, Alicia pivota pour faire face à la situation. Elliot haussait un sourcil à son intention. Elle dut se mordre l’intérieur des lèvres pour ne pas éclater d’un rire nerveux à la vision des fragiles menottes aux poignets de son vampire de mari.

– Pourrais-tu en parler à ton frère, Alicia ? demanda-t-il d’un ton dans lequel le cynisme perçait. Des viols, il a dû en juger quelques-uns, il pourra nous aider à trouver un bon avocat.

Alicia hocha la tête, les entrailles nouées. Elle n’avait plus ressenti une telle rage en Elliot depuis leur arrivée en Junsîl. Il lui avait fallu beaucoup de patience et d’abnégation à l’époque pour l’aider à faire son deuil et prendre son parti de la situation.

Elle répondit par télépathie :

Je préviendrai l'Inexistante du même coup.

– Précise bien à Schillig que je me soumets à l'arrestation sans opposer de résistance.

Tu mûris mon chéri, il y a vingt ans, tu les aurais écharpés…

Son trait d’humour tira un sourire tendu au vampire.

À peine rassurés par le calme apparent d'Elliot, les policiers l’entouraient de près. Ils avaient une main proche de leurs armes. Alicia vit sans peine dans leurs têtes le genre de monstre pour lequel ils le prenaient. Une lourde chape lui broya les épaules. Elle voyait dans les souvenirs de l'officier en charge une routine de dépôt de plainte, image et son compris.

Sentant le trouble de son épouse, Elliot croisa son regard de nuit, elle y lisait l’humiliation et la frustration.

– Nous avons un mandat de perquisition, précisa un autre officier demeuré en arrière en lui tendant le document officiel.

– Nous n’avons rien à cacher. N’inquiétez pas mes enfants.

Inutile de demander ce qu'il cherchait. Elle le voyait dans son esprit, des photos de la victime ou des traces de son ADN. Les policiers ne trouveraient rien. En revanche, si ses enfants fermaient mal la porte dérobée qui menait à leur cachette, ils se montreraient très curieux de la collection d’armes blanches de Luna à côté des pochettes de sang…

A l'écho d'un jingle de console de salon, elle comprit que ses enfants avaient fini de tout cacher et s’occupaient l’esprit comme ils pouvaient.

Un peu rassurée, Alicia surveilla attentivement la perquisition des policiers. Elle savait que c'était normal, la procédure, mais elle le voyait comme… un viol. Cette maison était le seul endroit où ses enfants, Elliot et elle pouvaient être eux-mêmes, loin des mascarades et des semi-mensonges. Une petite extension de la Rasîl, dans le monde des humains.

(suite du chapitre dans la partie 2)

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