1 - Le passé nous rattrape 1

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Une voiture aux vitres teintées manœuvra pour quitter les embouteillages. À son volant conduisait un père de famille au calme apparent. À l'intérieur, il bouillait du fait de son précédent entretien et celui à venir n'arrangeait rien.

– Je ne vois pas ce qui t'amuse, Rodyle, lança-t-il en jetant un coup d'œil dans le rétroviseur.

Le garçon sur le siège arrière lui ressemblait, de sa peau de lait à ses cheveux d'encre. À l'exception de l'extrémité de ses oreilles, longues et effilées pour l'enfant, vaguement pointues pour le père.

– La tête de la maîtresse, gloussa le garçon. C'était trop drôle comment elle avait peur de toi ! Elle faisait moins sa supérieure.

– C'est mesquin, lâcha durement le père.

Elliot expira lentement par les narines, il ne souhaitait pas être aussi sec avec son fils. Encore moins lorsqu'il sentait que le garçon faisait réellement des efforts pour s'attirer moins d'ennuis. Il craignait que Rodyle finisse par renoncer.

– Écoute, nous avons admis que l'institution scolaire ne sera jamais impartiale à ton égard, en tout cas pas durant le primaire. Néanmoins, j'insiste encore que tu ne dois pas mordre, ce n'est pas une réponse adaptée.

– J'avais rentré mes canines, marmonna pour la énième fois Rodyle.

– Ce qui ne fait que réduire les points de suture, commenta Elliot. Chez les humains, seuls les enfants qui ont des problèmes mordent, surtout jusqu'au sang. Qu'est-ce qu'il s'est passé, cette fois ?

– Il m'a traité de vampire.

L'espace d'un instant, Elliot crut que les enfants avaient percé Rodyle à jour avant de se rappeler que la peau très pâle et les préférences nocturnes de son fils pouvaient très bien le rapprocher des créatures mythologiques des humains.

– Et ? Au final, c'est ce que tu es.

Rodyle afficha une mine dégoûtée.

– Pas ce vampire-là, lui, il parlait de monstres morts-vivants. Il me parle toujours de cercueil, de pieux et d'ail.

Une envie de meurtre traversa le père qui sut ne rien en montrer.

– La prochaine fois, au lieu de mordre, frappe-le où je t'ai montré.

– Mais, t'as dit que cela pouvait faire très mal ! s'étonna Rodyle.

Elliot lui lança un regard entendu à travers le rétroviseur. La mine morose du garçon se métamorphosa en exaltation sadique. Il se mit à glousser.

– Ce n'est pas pareil et on me prendra moins pour un vampire, n'est-ce pas ?

– Bien entendu, je ne t'ai rien dit.

– Rien du tout !

La voiture s'inséra dans un quartier plus résidentiel et boisé. Quoique n'appréciant pas l'odeur de l'essence, Elliot aimait conduire son propre véhicule. Ne serait-ce que pour le sentiment de solitude dans l'habitacle.

– Pas un mot de cet événement à Schillig, avertit-il son fils en s'arrêtant pour laisser passer des enfants rentrant de l'école. Ce crétin ne fera qu'envenimer la situation.

Elliot craignait que l'enquêteur sous-entende l'idée d'une délinquance juvénile.

Un chatouillement caractéristique se manifesta dans la tête d'Elliot, sa femme le contactait mentalement. Le message prit la forme d'une image de deux hommes qui passaient le portail de sa maison.

– Déjà là ? soupira-t-il mentalement. Merci Alicia, nous arrivons.

L'image s'estompa, brièvement remplacée par une émotion réconfortante. Il sourit dans le vide. Il n'aurait jamais supporté ce monde sans sa femme.

– Ça doit être leur voiture, dit Rodyle qui avait certainement communiqué avec sa mère.

Non télépathe, Elliot s'était habitué à cette méthode de communication mêlant images, sensations et sons à distance. Son esprit demeurait ouvert à sa famille, prêt à les écouter, à défaut de pouvoir initialiser lui-même une conversation par ce mode.

Il jeta à peine un coup d'œil à une voiture passe-partout garée devant sa haie. Les portes automatiques de la clôture de son jardin s'ouvrirent et il se gara en prenant son temps. Il ne voyait pas l'utilité de se presser pour une rencontre déplaisante. Les deux enquêteurs poseraient leurs questions et partiraient dans le temps qu'il leur faudrait.

Sa maison comprenait un jardin assez grand et arboré pour garantir une certaine isolation avec la rue et le reste du quartier. Le portail électrique fermé, Elliot et son fils se permettaient de quitter la voiture sans veiller à cacher leurs oreilles ou leurs canines.

Dès qu'il eut refermé la portière, une éruption de joie vive explosa dans sa tête immédiatement suivie d'un cri strident. Un bout de chou aux cheveux blonds touffus et aux grands yeux azur déboula de derrière le mur pour se jeter dans ses bras.

– Bonsoir fripouille, le salua Elliot en tentant de trier la myriade d'images que son benjamin lui envoyait mentalement.

Il l'embrassa et le remit à terre.

– Le goûter que tu m'as montré a l'air bien bon, assura-t-il.

Le bambin parlait très peu pour ses quatre ans. Il préférait de loin communiquer par la pensée. Il échangea un câlin serré avec son grand frère.

Elliot trouva sa femme et ses invités autour d'une table dresse sous la terrasse ombragée.

– Bonjour mon amour, dit la voix d'Alicia dans la tête de son mari.

Il échangea un regard avec l'elfe qui lui fit un demi-sourire. Il la trouva belle, comme chaque jour, avec ses grands yeux gris. Il se prit à rêver de l'embrasser langoureusement, là, sur la terrasse.

Le sourire d'Alicia s'étendit d'un air entendu. Il fallait d'abord se débarrasser de Schillig.

Elliot tourna son attention vers les deux humains. À côté de l'enquêteur grisonnant et bedonnant qui lui retournait un regard railleur, il vit un inconnu. Relativement jeune, la petite trentaine, un teint de miel et un nez légèrement busqué sur une barbe lisse.

– Que me vaut le déplaisir ? interrogea le vampire en prenant place à table.

De son côté Alicia versa un verre de sang à Rodyle et le renvoya dans sa chambre le déguster. Il repartit avec une moue indiquant qu'il venait de recevoir une punition.

– Tatian, ton frère a des devoirs à faire, dit Alicia au benjamin. Reste près de nous.

Elliot prit une carafe de vin et se servit du sang tiède contenu dedans. Devant le sourcil levé de l'enquêteur il précisa  :

– Sanglier, c'est ma réserve de la dernière période de chasse. Je ne vous en propose pas.

– Je préfère le jus de grenade, assura Schillig en levant son propre verre rempli d'un liquide d'un rouge sensiblement différent. Le petit Rodyle aurait pu rester avec nous  !

– Un écolier a mieux à faire que de vous écouter, répliqua Elliot. Que désire l'Inexistante ?

– Des fonds, mon cher, soupira Schillig. Nous en manquons cruellement. Pour un organisme secret, traquer les espions humains est plus glorieux que chasser la pie becqueteuse.

– Elles sont faciles à appâter avec un plat de blé soufflé, précisa Alicia. Si vous nous présentiez plutôt votre nouveau collaborateur ?

Schillig se tourna vers le jeune homme.

– Arthur Manaa. J'ai intégré l'Inexistante au poste d'enquêteur. Je débute aujourd'hui.

– Il y a mieux qu'un meurtre sanglant comme bizutage, commenta Alicia avant d'adresser un reproche à Schillig. En tant qu'enquêteur principal, comment pouvez-vous l'emmener rencontrer une elfe sans le protéger de la télépathie ?

– Je croyais que la décence elfique interdisait de violer l'intimité mentale de ses invités  ? remarqua Schillig sans se démonter.

– La décence de mon peuple implique de demeurer à la surface des esprits sans entrer plus avant, précisa Alicia. Les humains de Junsîl sont les seuls à ne pas savoir s'en défendre. Or, visiblement Monsieur Manaa ici présent ignorait mon talent.

– Vous avez lu dans mon esprit ? s'étonna Manaa avec surprise.

– Sans chercher à rien lire, j'en ai perçu vos pensées actives.

Il sursauta alors.

– J'ai entendu une voix dans ma tête !

Alicia répondit d'un air désabusé.

– Mon petit dernier ne sait pas que la télépathie est un talent elfique. Il a accès à votre esprit, alors il s'en sert pour communiquer. Je l'en retiens d'habitude, mais je pensais que vous étiez protégé comme Schillig.

Sentant le trouble, le bambin leur échangea de grands regards avant de faire un grand sourire à Manaa et de lui déposer une pomme de pin sur les genoux.

– C'est pour moi ? C'est gentil, merci.

Le garçonnet retourna jouer et l'enquêteur rangea la pomme de pin dans une poche.

– Je suis pour l'expérience du feu, avoua finalement Schillig. Comme ça, il s'en méfiera désormais.

– J'aurais tout de même apprécié un avertissement, répondit son collègue dont le teint miel avait rougi. J'aurais contrôlé un peu plus mes pensées en arrivant.

– Pas de souci, assura Alicia à mi-voix. J'ai l'habitude de connaître les sentiments des autres.

Schillig éclata de rire en imprimant une bourrade à Manaa. Un tintement sonore ramena l'attention sur Elliot qui avait achevé sa boisson.

(suite du chapitre dans la partie 2)

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