Chapitre 8.

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J’étais tétanisée. Ma peur venait soudain de se transformer en remord et amertume. Je m’en voulais d’être – probablement – la cause de cet air maussade sur le visage de mon oncle et des larmes de ma tante. Je ne supportais pas l’idée d’être la source de la désolation d’une personne, surtout si elle était une personne à laquelle je tenais.

Je les fixai sans vaciller. Ma gorge était complètement nouée. Ma main resserra davantage la prise de celle de Jae’. C’est à ce moment même que Mikaela détourna son regard et qu’elle repéra notre présence. Elle ne mit pas plus d’une minute avant de se précipiter sur nous. Elle m’enlaça aussitôt. Je n’eus aucune réaction les premières secondes – faut dire que je ne m’y attendais pas du tout. Quand j’eus compris enfin la nature de son geste, j’encerclai à mon tour sa taille de mes bras pour lui rendre son étreinte. Sa réaction me soulageait et atténuait un peu ma peur, mais rien n’était encore gagné.

Elle s’écarta de moi et me prit la main après avoir essuyé une larme sur sa joue.

Nous rejoignîmes ensuite mon oncle pour s’installer dans le salon et discuter. À l’inverse de ma tante, celui-ci avait les traits tirés et semblait très en colère.

— Nous sommes tellement désolés, ma chérie. Nous aurions dû nous rendre compte de ce qu’il se passait et te sortir de là bien plus tôt.

Mikaela se tenait à côté de moi alors que Jae’ et son père s’étaient installés dans les fauteuils. Elle me tenait la main comme si elle craignait que je m’enfuie à nouveau. Mon cœur se serra.

— Comment auriez-vous pu ? Il travaillait tellement son image en public que personne n’aurait pu découvrir le pot aux roses.

D’un regard extérieur, nous apparaissions comme une famille parfaite même si nous n’étions que deux. Il y mettait un point d’honneur et si je n’avais ne serait-ce qu’oser penser entacher cette image, il m’aurait fait payer le prix fort. Il se serait vengé de la plus horrible des façons.

Dieu seul savait ce qu’il aurait bien pu me faire, mais cela n’aurait pas été une partie de plaisir. Et j’aurais perdu le soutien de ma famille, ce que je refusais.

— Pourquoi… (Sa voix semblait hésitante, mais elle finit par poser sa question.) Pourquoi n’en avoir jamais parlé ?

— C’était impossible.

Ma voix n’était plus qu’un murmure. J’avais toujours été effrayée par la possibilité qu’il puisse me rejeter si je venais à évoquer ce que Karson me faisait subir. Je ne voulais pas les perdre, jamais.

— Pourquoi cela ? Tu ne nous faisais pas assez confiance ? m’interrogea mon oncle dont le ton de voix était dur.

— Non, loin de là. m’empressais-je de répondre. (Je me tortillais sur place, mal à l’aise. J’avais l’impression qu’il m’en voulait à moi.) Il paraissait si parfait à vos yeux et je craignais que cette image soit plus forte, que personne ne puisse voir à travers. Si j’avais pris le risque de parler et qu’il avait réussi à retourner la situation contre moi, les choses seraient devenues…bien pires. (Je pris une grande inspiration, sans grand succès.) J’avais la trouille.

Kristopher se leva d’un bond, comme si mes propos l’avaient contrarié.

— C’était mon frère, Alyna.

Nous y étions.

C’était le moment où il allait me dire qu’il ne me croyait pas et que je n’étais qu’une sale petite menteuse.

Mes poumons s’atrophièrent et l’air n’arriva plus jusqu’à eux. Je restai pétrifiée face à lui, comme un accusé attendant son jugement.

— Il était ma famille et je l’aimais. (Sa voix était emplie de colère. Il pivota dans ma direction et son regard me transperça.) Mais cela ne voulait pas dire que je n’aurais pas été capable d’entendre ce que tu avais à me dire.

L’intensité de son regard et le poids de ses mots s’abattirent sur moi, faisant s’écrouler cette carapace que j’avais construite.

Je baissai la tête vers mes mains dont je triturai les doigts – encore une fois.

— Hé ! non. (Je l’entendis s’approcher avant qu’il ne s’agenouille devant moi. Il posa deux doigts sous mon menton et le releva. Quand il aperçut l’humidité qui s’était accumulée dans mes yeux, son expression s’adoucit un peu plus.) Pardonne-moi, souffla-t-il en réceptionnant de son pouce une larme. Je ne suis pas énervé contre toi. Bien évidemment que je comprends ta position, je comprends que tu es réfléchie de cette façon.

La pression dans ma poitrine s’atténua largement.

Cette colère qu’il ressentait, qui émanait par tous ses pores n’était pas dirigée contre moi.

— Je m’en veux d’avoir été si aveugle. Il était peut-être mon frère, mais tu n’en restes pas moins ma nièce. J’aurais dû voir que quelque chose clochait, et j’aurais dû y remédier.

Je voulais nier ses paroles, mais ma gorge était trop nouée pour que je ne puisse articuler quoi que ce soit. Je ne réussis qu’à secouer la tête en signe de négation.

— Si, Alyna. C’était mon rôle en tant qu’adulte et en tant qu’oncle de te protéger, même de ton propre père. Et j’ai échoué, avoua-t-il en fermant les yeux.

Au fin fond de cette colère qui émanait de lui, je ressentis sa souffrance. Cela me toucha en plein cœur et sans m’en rendre compte, je franchis la distance qui nous séparait et entourai ses épaules de mes bras. Je resserrais l’étreinte du plus fort que je le pouvais et je ne pus retenir le flot de larmes. Je me sentais à la fois soulagée et honteuse.

Soulagée qu’ils connaissent la vérité.

Honteuse car je ne voulais pas qu’ils se sentent coupables.

— Vous n’avez pas à vous sentir coupable, tentais-je avant de me redresser pour le regarder dans les yeux. Ce n’est pas vous qui m’avez infligé ces tortures physiques et morales.

Il pinça les lèvres et je compris qu’il n’était pas totalement d’accord. Il se redressa sur ses jambes et s’éloigna. Il se posta devant la fenêtre et appuya son avant-bras contre le mur.

Je portais mes mains à mon visage pour frotter mes joues et mes yeux.

— Je n’arrive pas à croire que…que tu aies pu vivre…

Il ne continua pas sa phrase. Les mots semblaient trop compliqués à prononcer, et la réalité trop dure à encaisser.

Sa femme se leva pour venir le réconforter. De sa main, elle lui caressa le dos comme pour lui signifier sa présence et son soutien. Et cette vue me lacéra un peu plus le cœur.

Je sentis alors le besoin irrépressible de me justifier, de leur prouver que je ne mentais pas et que mon calvaire avait bien été réel.

À mon tour, je me redressai sur mes jambes et baissai la manche de mon t-shirt pour laisser apparaître une cicatrice. Elle commençait sur le haut de mon épaule pour continuer sa course jusqu’au début du bras. J’allais ouvrir la bouche pour leur raconter l’histoire qui se cachait derrière cette cicatrice mais ma tante ne m’en laissa pas le temps.

— Non, ma chérie. (En quelques secondes, elle se trouva à mes côtés et remonta la manche de mon t-shirt.) Tu n’as pas besoin de te justifier ou de nous montrer ce qu’ils t’ont fait subir. On te croit.

Ces simples mots avaient un pouvoir immense. Et jusqu’à ce qu’elle les prononce, je ne m’étais pas rendue compte à quel point j’avais eu besoin de les entendre.

— Et je n’ai pas envie de connaître tous les détails. Ce que je sais alimente déjà suffisamment mon imagination.

Je lui pris la main et la remerciai silencieusement. Le fait de ne pas avoir à raconter une fois de plus ce que j’avais traversé, même si j’avais ressenti le besoin de me justifier, me déchargea d’un poids.

— Tu le savais ?

Cette intervention soudaine de mon oncle me fit tourner la tête dans sa direction. Il regardait son fils qui n’avait pas pipé mot depuis le début de la conversation. Ce dernier pinça les lèvres. Il semblait dubitatif et ne savait visiblement pas quoi lui répondre.

— Oui, mais je…

— Et tu n’as pas jugé bon de m’en parler ? le coupa-t-il. À moi ou à ta mère ?

Jaeden serra les accoudoirs de son fauteuil.

— Et prendre le risque que Karson s’en prenne à elle ensuite ? (Il secoua la tête.) Je ne pouvais pas.

— On aurait pu la protéger si…

— Non, le coupai-je fermement. Non, vous n’auriez pas pu. (Je me déplaçais de façon à me mettre non loin de mon cousin et dans le champ de vision de mon oncle.) Et tu ne peux pas le blâmer pour une décision que j’ai prise.

Mon oncle afficha des yeux ronds sous le coup de la surprise.

— C’est moi qui lui ai demandé de ne rien dire. J’étais terrifiée à l’idée qu’il puisse s’en prendre à lui ou qu’il puisse se venger sur moi. (Je serrai le poing contre mon flanc.) Je ne voulais pas que d’autres personnes souffrent à cause de moi.

Le silence retomba entre nous. Le poids de cette vérité se faisait ressentir dans l’air.

Je sentis Jae’ bouger derrière moi. D’un geste de la main, il me tourna dans sa direction.

— Tu craignais vraiment qu’il s’en prenne à moi ?

J’opinai du chef la gorge serrée. Je n’étais pas capable de lui avouer le fond de ma pensée.

Son expression changea à plusieurs reprises. J’y vis autant de colère que de peine et de frustration.

— Tu as préféré te sacrifier pour me protéger. Je…je n’arrive pas à croire que tu aies fait ça, souffla-t-il.

Sans prévenir, il m’attira contre son torse. J’enfouis ma tête dans ses bras pour profiter de cette sensation de sécurité qu’ils me procuraient.

— Je m’en veux, confia mon oncle. (Jae’ et moi nous détachâmes pour le regarder. Jae’ garda malgré tout un bras autour de moi.) Je m’en veux tellement de n’avoir rien vu.

— Je n’avais rien vu non plus. Si je n’avais pas entraperçu des bleus sur son abdomen un jour où son t-shirt était resté coincé dans son pull, je n’aurais jamais découvert la vérité.

Son père ne semblait pas convaincu.

— Sans ça, je n’aurais sans doute jamais eu le courage de lui dire la vérité. Et personne n’aurait jamais su ce que je vivais. Il était un manipulateur hors pair, même moi je ne pouvais pas lutter.

Je pris une grande inspiration pour ravaler la boule qui se logeait petit à petit dans ma gorge. Je m’éclaircis la voix avant de reprendre :

— Vous n’avez pas à vous en vouloir. Je…je ne vous en veux pas. (Je pivotai la tête vers Jaeden et lui adressai un petit sourire en coin.) Tout ce que je désire maintenant est de construire une nouvelle vie avec vous et votre entourage.

Jaeden eût l’air de comprendre le sens caché de ma phrase et il afficha un sourire à son tour avant de m’embrasser le sommet du crâne.

Bien évidemment, il me faudrait du temps pour que j’apprenne à délaisser ces barrières et ces murs que j’ai érigés tout autour de moi. Je n’étais pas encore prête à laisser derrière moi certains souvenirs du passé – et je ne pourrais jamais les oublier. Pour autant, je savais que laisser une chance à ses amis était la meilleure chose à faire. Je ne pourrais pas être complètement ouverte au début. Il me faudra du temps pour apprendre à les connaître et à les laisser entrer dans ma vie.

Bon, c’était déjà une grande avancée pour moi d’envisager de les laisser entrer.

Je ne vis pas ma tante se détachait de son mari et s’approcher de nous. Elle porta une main à mon visage et le contact de sa peau douce contre ma joue me fit sursauter sous l’effet de la surprise. Fallait dire aussi que les marques de tendresse n’étaient pas quelque chose de réputées chez moi.

En tous les cas, elle ne s’en offusqua pas.

— Tu es si forte, Alyna, que j’en suis admirative, confia-t-elle. Tu es la fille que nous aurions rêvé d’avoir.

Ils avaient essayé d’avoir un autre enfant – une petite fille – après mon cousin, sans succès.

Ces mots me soulevèrent le cœur. Ceci était beaucoup plus que bouleversant. Je savais à quel point ils auraient désiré avoir une fille après Jae’. J’avais très envie de lui répondre qu’ils étaient les parents qui habitaient mes rêves les plus fous mais les mots ne purent franchir mes lèvres.

Une autre fois, peut-être.

J’essuyai du revers du pouce la larme qui perla sur la joue de Mikaela, et pris l’initiative de la prendre dans mes bras. Son mari et Jae’ se joignirent à nous en nous entourant de leurs gros bras.

— Hé ! ne m’abandonne pas, m’écriais-je en tentant de le rattraper sur la map du jeu. On est en équipe, tonto.

— Ah bon ?

J’appuyai sur le bouton adéquat pour mettre le jeu en pause, et lui lançai un regard choqué.

— Rassure-moi, tu le fais exprès ?

Il fit la moue tout en m’évitant du regard.

— No’ t’abuse !

— C’est pas ma faute, d’abord. J’ai toujours joué seul à Mario Bros.

Je pouffai tout en secouant la tête.

— Je ne suis pas aidée.

— Oh, s’exclama-t-il en me donnant une bourrade, je ne te permets pas.

En guise de réponse, je lui jetai à la figure le coussin qui se trouvait à ma gauche. Il se figea en fermant les yeux.

— Tu n’as pas osé faire ça ? (Il me lança un regard en biais. Il fallut que je prenne énormément sur moi pour rester un tant soi peu sérieuse.) Tu vas le regretter, m’informa-t-il en s’emparant du coussin que je lui avais jeté.

Une bataille de coussin s’en suivit. Nous nous amusions comme des enfants et cela faisait un bien fou.

La dizaine de jours qui venait de s’écouler avait été un peu…particulière. Mon oncle et ma tante avaient eu besoin de quelques jours pour bien digérer ce qu’ils venaient d’apprendre, et je ne pouvais pas les en blâmer. Mais après deux ou trois jours, les choses avaient commencé à changer et leur comportement à mon égard était différent. Les réglages de notre nouvelle vie prenaient ainsi forme petit à petit.

Pour ce qui était du reste, j’avais passé le plus clair de mon temps avec Noé. Il m’aidait à penser à autre chose et cette sensation étrange que j’avais en sa présence ne me quittait jamais. C’était réconfortant de se sentir bien et en sécurité avec une personne autre que Jaeden. Je n’étais pas capable d’expliquer pourquoi les choses étaient aussi faciles avec lui, et en même temps je n’avais pas vraiment envie de le savoir. Tout ce qui comptait pour moi était que j’étais capable de m’ouvrir à quelqu’un d’autre, même si j’étais tout aussi effrayée à l’idée que les choses puissent mal tourner. Je n’étais pas à l’abri de le perdre lui aussi.

Pour le coup, je n’avais pas revu les amis de Jaeden. Enfin, sauf Cameron vu que l’on travaillait au même endroit et que l’on était en binôme deux fois par semaine. Je n’avais pas encore réussi à franchir le cap, à passer du temps avec eux après ce qui s’était passé l’autre fois chez Noah. Je n’avais pas non plus réussi à prendre mon courage à deux mains pour m’excuser auprès de Cameron pour mon comportement de l’autre fois. Il devait vraiment me prendre pour une personne détestable alors qu’au fond je n’étais pas vraiment comme ça.

Soit. Rire et jouer comme des enfants me faisaient du bien. Je ne pensais plus aux derniers événements ni aux questions qui me tourmentaient au point de me réveiller la nuit…

Après lui avoir mis un gros coup de coussin, Noé me coursa dans le salon pour me rendre l’appareil. Il lança son arme de fortune qui me percuta dans le dos. Je perdis l’équilibre et tombai à la renverse. La scène en elle-même était déjà drôle à voir, mais elle ne s’arrêta pas là. Cet abruti ne se rendit pas compte que son attaque m’avait fait tomber. Il trébucha sur mes pieds et s’étala comme une crêpe sur moi, déclenchant ainsi un fou rire commun.

— C’est dans la boîte !

Surpris, on se stoppa pour observer Jaeden. Il se trouvait derrière le canapé avec Noah et Cameron. Les trois étaient visiblement amusés par la situation.

— Pire que des gosses, se moqua Jae’.

— C’est pas moi qui ait commencé, clamai-je en chœur avec Noé.

Notre réponse synchronisée fit rire tout le monde.

Des enfants ? Nous ? Pas du tout.

D’ailleurs, il n’avait toujours pas bougé de sur moi. J’étais allongée sur le ventre avec l’autre étalé sur moi. Comment dire que ce n’était pas du tout la position la plus confortable au monde.

— No’ ? tentai-je en remuant sous lui.

— Ouais ?

Ce n’était pas assez clair pour lui apparemment.

— Tu ne veux pas lever tes grosses fesses ? Car c’est pas qu’elle pèse la bête, mais elle pèse.

— Oups.

Il se redressa et m’aida ensuite à faire de même.

J’étais assez mal à l’aise de me retrouver dans cette pièce avec eux, Cameron et Noah, mais pas pour les mêmes raisons. À l’un, je devais encore des excuses pour l’autre jour. Fallait dire que quinze jours, ça commençait à faire long. Et pour l’autre, l’idée de me remettre à rougir à la simple vue de ses iris incroyablement bleus m’enchantait moyennement.

— On se fait une soirée pizza et jeux ce soir, intervînt le beau brun aux yeux bleus.

Chiotte.

Je reportai mon attention sur lui.

— Si ça vous dit de nous rejoindre, poursuivit-il en vissant ses prunelles aux miennes.

Je me perdis dans l’intensité de son regard, me distrayant suffisamment longtemps pour que Noé réponde à ma place.

— On sera là.

Quand l’information se faufila jusqu’à mon cerveau, je coupai le contact avec Noah pour dévisager Noé.

— Pas vrai ? me demanda-t-il en jetant son bras sur mes épaules.

Il me regardait en arborant un sourire narquois que je mourrai d’envie de lui faire avaler. Il venait de me piéger, et il le savait. C’était bel et bien son intention.

Grrrr.

Je lui rendis son sourire de façon sarcastique en plissant les yeux.

— Parfait ! s’enthousiasma Noah, réattirant mon intérêt. Venez pour 20h.

On acquiesça de la tête. Ils allaient partir, mais j’appelai mon cousin pour lui réclamer mon bisou comme il me le faisait souvent. Quand il se retourna, je tapotai ma joue pour lui faire comprendre ma demande ce qui le fit rire. Il rebroussa chemin pour venir me claquer un bisou sur la joue, puis ils partirent tous les trois.

Quand j’entendis la porte d’entrée se refermer, je me retournai vers Noé avec un regard noir.

— Je sais, tu m’en veux.

— Je vais te tuer, oui.

— Mais ! (Il m’attrapa les épaules.) J’ai fait ça pour toi.

J’arquai un sourcil.

— Si je ne l’avais pas fait, tu ne te serais jamais lancée. Et je ne serais pas un ami génial si je ne l’avais pas fait.

— Va falloir te montrer un peu plus convaincant que ça.

Il fit mine de réfléchir à ce qu’il pouvait dire.

— Tu m’adores et je te manquerais trop si tu m’égorgeais.

Je secouai la tête et émis un petit gloussement.

Je m’extirpai de son étreinte pour retourner m’installer sur le canapé. Je m’enfonçais au maximum, puis je pliai mes genoux contre ma poitrine.

— Puis penses à toutes ces personnes qui seraient privées de faire ma connaissance.

— Quel drame se serait, me moquais-je en agitant les mains devant moi.

Il m’imita et s’installa à ma gauche, après m’avoir donné une légère tape sur la jambe pour mettre moquer de lui.

— Plus sérieusement, je suis persuadé que tu avais vraiment besoin de ce petit coup de pouce.

J’haussai les épaules pour seule réponse. En vérité, je ne savais pas trop quoi penser.

Une partie de moi était convaincue qu’il n’avait pas tort et que, dans tous les cas, il faisait ça pour m’aider.

Une autre part de moi était tout simplement terrifiée à l’idée de me retrouver avec eux ce soir, surtout après l’incident de la piscine.

— Et s’ils me voyaient comme une personne détestable ? soufflais-je. On ne peut pas dire que j’ai fait bonne impression.

— C’est sûr que tu n’as pas été très…ouverte. (La boule d’angoisse qui s’était formée dans mon estomac s’épaissit un peu plus.) Mais, tu as un très lourd passif et maintenant ils le savent. Et je suis sûr qu’ils ne te jugeront pas.

Perplexe, je fis reposer mon menton sur mes genoux.

— Et de ce que j’en sais, ils ont l’air très impatient de faire ta connaissance. Sinon, ils ne prendraient pas la peine de t’inviter encore à leurs soirées.

Je le sentis remuer sur le canapé ce qui me fit pivoter la tête dans sa direction pour voir ce qu’il trafiquait. Il était dorénavant assis en tailleur juste à côté de moi. Il était tellement proche que ses jambes étaient collées à mon pied et mon bassin.

— Écoute, je sais que je ne peux pas me mettre à ta place et prétendre imaginer ce que tu ressens. (Il recoiffa ses boucles châtains en arrière.) Refaire confiance signifie prendre un risque, j’en ai parfaitement conscience, tout comme s’attacher ou aimer quelqu’un. Pour autant, est-ce que l’on doit vraiment renoncer à toutes ces choses, l’amour, l’amitié, le bonheur parce que l’on craindrait d’être malheureux ensuite ? (Ses iris me scrutaient avec insistance.) La réponse est non, et je ne te laisserai pas commettre cette erreur. Même si je dois prendre le risque de me faire étrangler ensuite, ajouta-t-il avec un air amusé.

Le son rauque que je laissai échapper en guise de gloussement s’expliquait par la boule d’émotion qui m’obstruait la gorge.

Bien sûr que je n’avais pas envie de renoncer à l’amitié, pas après celle que j’avais pu partager avec Tomas et James. Nous avions rencontré des obstacles et des jours avaient été plus difficiles que d’autres, et pourtant je n’échangerais ces années de bonheur partagées avec eux pour rien au monde. Elles m’étaient très précieuses.

Ce qui m’effrayait à ce point, c’était de refaire confiance à la mauvaise personne. Pas parce que je craignais de souffrir à nouveau. L’idée qu’une nouvelle erreur puisse faire souffrir d’autres personnes que moi, comme ça avait pu être le cas par le passé, m’angoissait. Je n’avais pas envie de revivre ça.

— Tu veux te protéger et je le comprends. On veut tous se protéger de la douleur, mais pas au point de s’interdire de vivre. Et tu ne crois pas qu’il serait temps que tu vives ta vie ? Ils ne seront plus là pour t’empêcher de faire ce qui te plaît. Sois toi-même, et ceux qui ne sont pas d’accord n’auront qu’à aller se faire foutre.

Le coin gauche de ma bouche s’étira légèrement.

— Je veux t’entendre le dire, clama-t-il avec détermination. (J’arquai un sourcil en guise de question muette.) Allez ! je ne te laisse pas le choix de toute façon.

Je redressai la tête.

— Être moi-même et ceux qui ne sont pas d’accord n’auront qu’à aller se faire foutre, répétai-je sans grande conviction.

Il ferma les yeux tout en secouant la tête.

— Non, pas comme ça. Mets-y plus de foi quand même.

J’inspirai assez bruyamment en levant les yeux au ciel. Fallait dire que quand il avait une idée en tête, il ne l’avait pas ailleurs.

— Être moi-même et ceux qui ne sont pas d’accord n’auront qu’à aller se faire foutre, répétai-je une deuxième fois avec un peu plus de force.

— Voilà ! Là, je suis content.

Son visage était égayé par un grand sourire qui était, je devais l’avouer, très contagieux.

— N’aie jamais peur d’être toi-même, d’accord ? Puis, si tu dois paraître ridicule, dis-toi que je serais toujours à tes côtés pour paraître ridicule avec toi.

Cette simple phrase me mit du baume au cœur, et me touchait beaucoup. J’avais beaucoup de chance d’être tombée sur lui. Et dans ce cas précis, mon instinct ne s’était pas trompé.

— Bon ! s’exclama-t-il en me donnant une petite tape sur le bras. Passons à un autre sujet tout aussi sérieux.

Je pinçai les lèvres tout en fronçant les sourcils alors qu’il arbora un air malicieux qui ne m’inspirait pas du tout confiance. Il demeura silencieux quelques instants pour faire monter le suspense.

— Accouche, m’impatientai-je en le bousculant d’une main.

— Roh ! quelle personne aigrie tu fais, protesta-t-il faussement excédée ce qui me fit rouler des yeux.

Il me tapa l’épaule une deuxième fois.

— Je t’ai vu, hein.

Je me mordis la lèvre inférieure pour me retenir de rire.

— Bref. Je t’ai vu relooker le beau brun, lâcha-t-il en se levant pour récupérer les manettes de jeux.

Mon amusement fût aussitôt remplacé par de la surprise.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, répondis-je simplement ce qui le fit éclater de rire. Hé ! arrête de te foutre de moi.

Je croisai les bras et fis la moue, telle une petite fille de quatre ans qui se serait vu refuser sa sucette. Sauf que ça ne l’arrêta pas, au contraire. Quand il me vit, il s’immobilisa dans le salon et son rire redoubla au point qu’il dût s’en tenir le ventre.

Je pris un coussin qui restait sur le canapé et le jetai dans sa direction. Mon projectile atteignit sa cible en le touchant au torse. Son expression ahurie me donna envie de pouffer de rire, mais je me retins d’une main sur la bouche.

Il plissa les yeux et me pointa du doigt.

— Tu iras en enfer pour ça.

Tout en me mordant la lèvre pour m’empêcher de rire, je soulevai les épaules et inclinai la tête sur le côté pour accompagner le mouvement.

Il se déplaça jusqu’au canapé et me tendit une des manettes. Je la saisis mais il ne la lâcha pas.

— Je ne suis pas dupe, Na’. (Oui, on s’était attribué des surnoms un peu bizarres.) J’ai bien vu que quelque chose s’était passé entre vous. Et tu verras, plus tard tu me diras que j’avais raison.

Je fis une grimace et il abandonna sa prise sur la manette. Une fois assis, nous relançâmes notre partie de Mario Bros.

Je ne voyais pas comment il pouvait y avoir un truc entre Noah et moi. Nous ne nous connaissions même pas. Mais où allait-il chercher ça ?

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