Chapitre 6.

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Quand je me sentis prête à rentrer, Noé me raccompagna. Après tout ça, je ne pouvais nier qu’il était quelqu’un de très gentil. Il avait réussi à fissurer ces murs que j’avais érigé tout autour de moi. Cette discussion que nous avions eu m’avait fait un bien fou.

Je n’avais jamais pu parler de l’épisode de la piscine et, même si c’était très dur de le raconter à haute voix, c’était nécessaire. J’avais pu me décharger d’un poids que je portais depuis deux mois maintenant. Ceci cumulé au reste…La charge avait été trop lourde ces deux derniers mois. Je me rendais compte aujourd’hui que je n’aurais pas tenu encore bien longtemps.

Il m’accompagna jusqu’à la porte d’entrée. Je l’ouvris et entrai avant de me retourner pour le saluer.

— Merci d’avoir été là et de m’avoir écou…

— Bon sens, Al’ ! Tu étais où ? (Je fis volte-face.) Je me suis fait un sang d’encre, débita-t-il en débarquant dans l’entrée.

Il fût surpris en apercevant Noé derrière moi. Il ne s’attendait visiblement pas à ce que je sois accompagnée de quelqu’un.

— J’avais besoin de prendre l’air, répondis-je d’un ton neutre.

— Pourquoi tu t’es enfuie ? Tu étais si paniquée…j’ai eu peur qu’il ne t’arrive quelque chose.

Il attendait une réponse de ma part, mais je n’avais rien à répondre à ça. J’étais tout simplement vidée et je n’avais pas la force d’entamer une nouvelle discussion sur le sujet.

Jaeden ne voyait cependant pas les choses de la même façon.

— Arrête de rester seule, surtout dans des moments comme ça !

Ma sensation d’être vidée se transformait petit à petit en exaspération, et ce n’était pas bon signe du tout. J’allais finir par exploser, mais pas de la bonne des façons, et ça allait faire mal. Je me connaissais. J’allais repartir dans mes travers et lui balançait en pleine face des vérités qui faisaient mal.

Une vraie cocotte-minute.

— Elle n’était pas toute seule. J’étais avec elle.

Jaeden porta toute son attention sur lui et son expression n’avait rien de chaleureuse.

— C’est entre elle et moi, donc j’aimerais bien que tu ne t’en mêles pas.

Son ton était sec ce qui augmenta un peu plus ma colère.

Noé ne se laissa pas démonter.

— Je ne penses pas que ce soit le moment approprié pour avoir cette conversation.

— Mais tu es qui toi au juste ? Je…

— Stop ! explosai-je.

Hébété, Jaeden se tût et m’observa.

— Ne t’en prends pas à lui, tu n’en as pas le droit. Lui au moins ne me dit pas ce que je dois faire, contrairement à toi. (Je le désignai du doigt.) Tu n’arrêtes pas de me dire comment je devrais me comporter alors que tu ne sais pas de quoi tu parles !

J’adorais mon cousin. Je ne pourrais jamais assez le remercier pour tout ce qu’il avait fait pour moi. Il avait été le seul à être au courant de l’enfer que je vivais, même si ce n’était qu’une partie. Mais, il ne savait pas de quoi il parlait.

— Tu crois tout savoir, mais ce n’est pas le cas. Tu ne savais que ce que je voulais bien te dire.

Ses traits se durcirent davantage face à cette révélation.

— Tu aurais dû tout me dire, affirma-t-il simplement toujours avec un ton sévère.

S’il était blessé par ma révélation, il ne le montra pas. Ou du moins, j’étais tellement aveuglée par cette colère grandissante que je ne le vis pas.

— Pour cela, il aurait fallu que tu puisses supporter l’intégralité de la vérité.

— Ne te cache pas derrière cette excuse ! Tu as fait le choix de garder le silence pour je ne sais quelle raison stupide, s’emporta-t-il.

S’en était trop pour moi. Je laissai échapper un rire sans joie ce qui était le signe que j’allais voler en éclat.

— Tu veux savoir la vérité ? Très bien, je vais te la dire.

— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, essaya Noé en m’attrapant le bras.

— Tant pis, dis-je en me dégageant doucement.

Je soulevais le t-shirt de Noé que j’avais toujours sur le dos pour dévoiler l’énorme hématome que j’avais sur l’abdomen.

— La veille de l’accident de voiture, Karson est rentré complètement bourré. Il m’a traîné par les cheveux de ma chambre au salon avant de me jeter au sol et de m’envoyer deux coups de pied dans le ventre. (Je relâchai le t-shirt qui dissimula à nouveau mon corps et ses marques.) Et ce n’est qu’un exemple car toutes les autres marques ne sont pas dû à l’accident de voiture, contrairement à ce que tout le monde a pu croire.

Il avait toujours les bras croisés, mais son regard s’était déjà légèrement adouci. Je commençais à y avoir de la stupéfaction.

Ensuite, j’attrapais la manche pour la soulever et lui remontrer une cicatrice qui partait du haut de l’épaule et qui descendait jusqu’au début du bras.

— Tu te souviens de ça ? J’avais dû porter une écharpe pendant plusieurs semaines après l’opération. (Il opina du chef.) Ce jour-là, Karson était rentré très énervé pour une raison qui m’est toujours inconnue d’ailleurs. Il avait eu envie de se défouler et j’étais là, j’ai servi de punchingball. (J’affichai un sourire mauvais.) Il m’avait tellement frappé que j’en avais mal aux côtes le lendemain. Bref, dis-je en agitant la main, il a fini par me pousser et je suis passée à travers la table en verre du salon. Un énorme morceau s’était logé dans mon épaule.

Des frissons me parcoururent l’échine rien qu’à me remémorer la douleur vive que j’avais ressenti.

— Et je peux te dire que ça fait un mal de chien.

Jaeden décroisa les bras et arbora une attitude tout autre. La dureté de son regard avait disparu complètement et il se sentait mal. Je le percevais dans ses yeux. Il tenta une approche mais je l’arrêtai d’une main et secouai la tête.

— Attends, je n’ai pas fini.

— Il a compris, Alyna.

— Non, Noé. Il n’a pas compris. (Je lui lançais un regard en biais.) Si c’était le cas, on n’aurait pas cette discussion aujourd’hui, ni comme ça.

Je rapatriai mon attention sur mon cousin.

Il fallait que je lui raconte pour l’épisode de la piscine. Il devait savoir. Il devait comprendre à quel point c’était dur de vivre avec un tel fardeau.

— Maintenant, je vais te raconter pourquoi je suis terrifiée dès que je m’approche de l’eau. (Une boule remonta le long de ma gorge. Les souvenirs étaient toujours aussi durs, même après les avoir déjà racontés une fois.) Après qu’il m’a eu fait trébuchée, je suis tombée dans la piscine et Karson a sauté pour me maintenir la tête sous l’eau. Il l’a fait à plusieurs reprises, et plus je paniquais, plus il jubilait. (Du dégoût et de l’horreur vinrent déformer les traits de Jaeden. Sous le coup du choc, il en ouvrit même la bouche.) J’ai bien cru mourir ce jour-là, et quelquefois, je me dis même qu’il aurait mieux fallu.

À en croire son expression, je venais de lui porter le coup de grâce. Mais il avait été fatal pour moi aussi. Des années de souffrance refirent surface et mon corps en trembla comme une feuille. La honte, la haine et la peur que j’avais gardé enfoui toutes ces années ressurgirent et me prirent d’assaut.

— Je vis constamment dans la peur. Une peur que tu ne connaîtras jamais et que je ne souhaite à personne, même pas à mon pire ennemi.

Une douleur aiguë me lassera le cœur et une larme perla. Je la réceptionnai d’un revers de la main.

— Tu n’as jamais connu le sentiment d’être rejetée par tes propres parents. Tu n’as jamais connu cette boule qui te comprime l’estomac au point de t’en rendre malade rien qu’à l’idée de devoir rentrer chez toi, dis-je en serrant le point contre mon ventre. Tu n’as pas non plus connu la douleur déchirante causée par l’abandon de ta propre mère ou encore la fureur grandissante de ton père dans les coups qu’il t’infligeait à longueur de temps pour, justement, te faire payer le départ de celle qu’il aimait. Je ne te le souhaite pas, loin de là, mais moi je l’ai connu. (J’inspirai fortement.) C’était mon quotidien. Alors, tu vois, me comporter comme une personne normale, c’est difficile. Je ne dis pas que je suis blanche neige, j’ai fait et je ferais des erreurs mais je n’attribuerai plus ma confiance aussi facilement.

Mon ton de voix était acerbe. Sans doute trop. Mais il fallait bien que cela sorte un jour ou l’autre. Ces paroles étaient aussi bénéfiques que dévastatrices. Le fait de les dire à voix haute, de les lui dire rendait cette vérité encore plus vraie, encore plus réelle.

En d’autres circonstances, le regard horrifié et accablé de Jaeden m’aurait déchiré le cœur. Mais à ce moment-là, mon cœur était déjà en mille morceaux.

Il ne me quittait pas des yeux, pour autant aucun mot n’avait franchi sa bouche. Il restait là, les bras pantelants, et l’air abasourdi.

Il était temps pour moi de mettre fin à cette discussion, de quitter cette pièce. Je me retournai vers Noé qui n’avait pas bougé. Son expression n’avait pas tellement changé, même s’il avait l’air un peu plus en colère que tout à l’heure. Quand nos yeux se rencontrèrent, je vis aussitôt qu’il ne me jugeait pas. Bien au contraire. Au bout d’à peine trente secondes, il comprit ma demande muette et acquiesça de la tête.

D’un pas actif, je passai à côté de mon cousin sans le regarder pour monter dans ma chambre. Je pris quelques affaires dans mon sac à dos et redescendis aussi vite que possible. J’eus l’impression de vivre la scène au ralenti. Mon oncle et ma tante étaient sortis de la cuisine. Ils arboraient tous les deux la même expression que leur fils. En détournant le regard, j’aperçus également les amis de Jaeden dans le salon. Il était peu probable qu’aucune de ces personnes n’ait entendu notre conversation.

Super ! J’avais fait un « sans faute ».

Cela me donna une raison supplémentaire de fuir ses lieux au plus vite. J’avais l’impression d’étouffer.

Je rejoignis Noé et nous partîmes.

Je ne me retournai pas.

Personne ne me courût après.

Et c’était mieux comme ça. Tout le monde avait besoin de digérer ce qui venait de se passer, y compris moi.

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