Chapitre 4. 

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À ma prise de poste le lendemain, je croisai Cameron qui ne m’adressa pas un mot. Toutefois, son regard en disait long.

Je me sentais à la fois honteuse pour ce qui c’était passé et en colère. Après avoir passé une partie de la matinée à réfléchir, j’en avais conclu que je devrais aller m’excuser auprès de lui. Il ne méritait pas que je lui parle comme ça, même si je craignais qu’il ne me porte de l’intérêt que parce que j’étais de la même famille que son meilleur pote. Ce n’était pas très sympa de ma part, et je savais reconnaître mes torts. D’autant plus que je détestais l’injustice et mon comportement vis-à-vis de lui hier l’était. Je n’avais pas à le faire payer pour le comportement que d’autres avaient eu avant lui alors qu’il s’était montré plutôt gentil.

En revanche, en ce qui concernait mon cousin, c’était une autre affaire. Nous n’avions pas échangé un mot depuis l’incident d’hier soir. Le fait de devoir aller au travail m’avait sauvé de cette atmosphère tendue qui régnait à la maison, et ce n’était pas pour me déplaire.

Cet après-midi, je me retrouvais avec un certain Noé. Nous n’avions pas encore eu l’occasion de discuter puisque la queue ne désemplissait pas depuis deux bonnes heures. Et d’un côté, c’était tant mieux car j’avais été légèrement perturbée en le voyant. Je ne saurais dire quoi mais quelque chose chez lui m’avait rappelé quelqu’un qui avait compté pour moi et cela m’avait chamboulé. Les souvenirs avaient afflué aussitôt et ils étaient assez incontrôlables.

Pour autant, une partie de moi mourrait d’envie d’en savoir plus sur lui. C’était très étrange. Et inhabituel.

Vers 16h, nous pouvions enfin souffler un peu. Sauf que cette accalmie me donnait l’occasion de poser cette question qui me taraudait. Je n’étais pas sûre que c’était une bonne chose.

— Vas-y. (Son intervention soudaine m’étonna. Je l’examinai sans comprendre où il voulait en venir.) Ça se voit que tu meurs d’envie de dire quelque chose mais que tu te retiens.

Son regard était chaleureux et plein d’assurance.

Je me demandai sérieusement comment il avait réussi à analyser ça sur mon visage. Je pensais être plus impassible que ça.

— Quel est ton nom de famille ? l’interrogeais-je sans passer par quatre chemins.

— Jensen.

Je m’étais trompée. Il n’était pas possible qu’il ait un lien quelconque avec lui. Je ne pus m’empêcher de ressentir une certaine déception.

— Ne soit pas si déçue, se marra-t-il. Je suis sûre que ton nom de famille n’est pas aussi cool que le mien.

— Cours toujours, répondis-je sur le même ton léger. Y a pas plus cool que « Adams ».

Ma réaction si instinctive me troubla légèrement. J’étais plutôt habituée à être plus renfermée.

Sa tête bascula en arrière et il se mit à rire à gorge déployée.

— Quoi ? (Un sourire commençait à m’étirer les lèvres face à son air désinvolte.) C’est vrai !

— Adams comme dans « La famille Addams » ?

— Non, ça s’écrit avec un seul d.

Il souleva un sourcil avec un air de défi.

— Tu as conscience que c’est pareil ?

— Non.

— Si.

La conversation continua comme ça un petit moment. Je n’étais pas prête à renoncer, question de fierté.

Pendant un instant, j’avais l’impression d’avoir réussi à soulever mes barrières. Je retrouvais ma véritable personnalité et c’était assez déroutant. Pourquoi cela arrivait-il avec lui ? Ma remise en question de cette nuit aurait-elle joué un rôle ? Ou était-ce son caractère si familier qui me mettait à l’aise ?

— Bref ! J’ai une blague.

J’étais assez déroutée par ce changement de sujet aussi soudain, et en même temps, pas tellement. Il me faisait tellement penser à James que j’en oubliais presque que je ne le connaissais pas.

— C’est quoi un petit pois avec une épée face à une carotte avec une épée ?

Je haussai les épaules.

— Un bon duel.

Je tentai, tant bien que mal, d’étouffer un rire pour ne pas lui donner satisfaction mais face à son expression enfantine, je ne pus résister très longtemps.

J’étais très bon public, et j’étais particulièrement adepte des blagues nulles. Je trouvais que c’était les plus drôles.

Heureusement qu’il n’y avait aucun client à cet instant.

— Attends, j’en ai une autre ! (Il accentua le suspense en marquant une pause.) Pourquoi les pêcheurs ne sont pas gros ?

Ça pue.

— Parce qu’ils surveillent leur ligne.

Je m’esclaffai et manquai de m’étouffer tellement je ne m’y attendais pas. Elles étaient nulles, mais je trouvais ça très drôle.

Son enthousiasme était digne d’un enfant, et j’aimais ça. Il ne se prenait pas la tête alors que son apparence pourrait laisser penser le contraire. Avec son mètre quatre-vingt et ses bras dessinés, on dirait les sportifs du lycée. Pourtant, son sourire enfantin qui donnait un éclat particulier à ses yeux verts démontrait tout le contraire.

— Toi, tu sais ce qu’est une bonne blague !

— J’apprécie le compliment.

Un couple avec deux enfants se présenta à son guichet. Pendant qu’il s’afféra à les servir, j’en profitais pour l’observer plus en détail.

Mes yeux s’attardèrent alors sur son tatouage qui se dessinait sur l’intérieur de son avant-bras droit. Une magnifique tête de loup prenait naissance sur le début du poignet et était entourée de sapins et d’ombres. Ils avaient l’air de se décliner sur le côté. Puis, derrière le loup plus au-dessus, une horloge avec des chiffres romains et des ombres terminait le tatouage.

L’ensemble dégageait quelque chose de très beau et semblait plutôt lourd de sens. J’aimais beaucoup.

— Fais gaffe, tu baves.

Prise au dépourvu, je relevais les yeux vers son visage et vis qu’il me regardait en rigolant.

Sans m’en rendre compte, je le fixai depuis maintenant plusieurs minutes alors qu’il avait terminé avec ses clients.Quelle cruche.

Je sentis le rouge me monter aux joues.

— Gné.

J’avais rapatrié mon regard devant moi pour tenter de dissimuler ma rougeur. J’entendis alors les roulettes de sa chaise, sans m’attendre à ce qu’il retrouve si près de moi. Mon corps tout entier se crispa face à cette proximité inattendue.

— Tu rougis, murmura-t-il.

L’amusement était parfaitement audible dans sa voix.

— Dans tes rêves, contrais-je en le poussant de ma main.

— Tu mens très mal.

Il me fixa quelques instants sans rien dire avec un sourire béat collé au visage.

— Tu es particulièrement agaçant comme garçon.

— Moi ? s’offusqua-t-il en se pointant du doigt. Pas possible, tu fais erreur.

Je roulai des yeux en secouant légèrement la tête.

— C’est mal poli de rouler des yeux.

Je fis exprès de me mettre face à lui et roulai des yeux de manière exagérée.

— On dirait une enfant de deux ans.

Je pouffai de rire.

— Tu connais l’expression : « l’hôpital qui se fout de la charité » ?

Il me répondit par une grimace ce qui me fit rire à nouveau. Cela faisait longtemps que je n’avais pas rencontré une personne aussi enfantine que moi. Cette frivolité était plaisante et, en même temps, j’en oubliais presque le contexte et avec qui je me trouvais.

Ceci m’avait même permis de me sortir de la tête la dispute que j’avais eu avec Jaeden hier soir, et tous les sentiments qui l’accompagnaient. Malheureusement, rien n’était éternel. Mon esprit finit par être ravagé par les regrets. Bien évidemment que je n’étais pas totalement blanche dans cette histoire, d’autant plus qu’il ne pouvait pas vraiment comprendre ma réaction. J’avais volontairement éludé plusieurs sujets ce qui expliquait son incompréhension par moment et son manque de délicatesse. Néanmoins, je ne méritais pas ce qu’il m’avait balancé en pleine face. C’était méchant et ça m’avait touché.

— Hé ! Tu es partie où ?

Cet imbécile agitait une main devant mes yeux.

— Achète-toi une paire de lunettes. Je suis toujours devant toi.

Je tentai une diversion par l’humour.

— Tu as mangé un clown au petit-dej’, dis donc. (Il simula un éclat de rire avant de redevenir sérieux.) Ton visage s’est fermé d’un seul coup et tu étais partie dans tes pensées.

Je m’avachis dans ma chaise contrariée. La légèreté de cette conversation venait de s’envoler.

— Je n’ai pas franchement envie d’en parler.

— D’en parler tout court ou d’en parler avec moi ?

— Les deux, répondis-je sans réfléchir.

Il apporta sa main jusqu’à son menton et me scruta d’une façon étrange. Sa façon de faire me stressait. J’avais énormément de mal avec le fait que l’on me fixe de cette manière, surtout sans dire un mot. Cela me donnait l’impression d’être jugée ou d’être examinée, comme si j’étais une chose mystérieuse qu’il fallait analyser.

— Arrête.

— Quoi ?

— De me fixer comme ça, dis-je en agitant la main.

Encore une fois, il resta dans le silence.

J’allais finir par craquer, par lui dire ce qu’il voulait entendre simplement pour qu’il cesse son petit jeu.

Et puis merde.

— Je me suis disputée avec mon cousin, ça te va ?

— C’est un début, attesta-t-il avec un air satisfait.

Je coinçai derrière mon oreille une mèche qui s’était échappée de mon chignon qui, en raison d’un manque de longueur, ne ressemblait à rien.

— Je ne vois pas à quoi ça t’avance.

Il se rapprocha un peu de moi, avec un air de défi sur le visage.

— Il faut que tu saches un truc. (Il s’humecta les lèvres.) À la fin de l’été, j’aurais tellement égayé ta vie que tu ne pourras plus te passer de moi.

Son assurance était si flagrante que je ne pus m’empêcher d’en rire.

— Tu veux parier ?

— Quand tu veux !

Il fit mine de réfléchir avant de faire sa proposition.

— Je me fais teindre les cheveux en bleu, si jamais j’ai tort, mais je sais très bien que ça n’arrivera pas.

— Tu es un peu trop confiant, raillai-je, pour quelqu’un qui ne me connaît pas.

Il haussa les épaules.

— Mon instinct ne me trompe jamais. (Je roulai des yeux.) Aurais-tu peur de perdre ?

J’étais piquée dans mon égo. Peur de perdre ? Moi ? Il ne me connaissait définitivement pas.

Une risette étira le coin de ma lèvre.

— Je prends le pari. Et comme je sais très bien que cela est impossible, je promets de me faire percer le nez.

— Deal.

Il me tendit son petit doigt ce qui me serra le cœur. C’était une habitude que j’avais avant, et que je ne pratiquais qu’avec très peu de personnes.

Toutefois, je tendis mon petit doigt dans sa direction pour encercler le sien.

— Deal.

Sur le trajet du retour, je repensai à cet après-midi de travail passé avec Noé et, notamment, le pari que nous avions fait. Quelqu’un m’aurait raconté cette journée hier, je lui aurais littéralement ris au nez. Pourtant, cela était bien arrivé. Aussi surprenant soit-il.

Je ne savais pas trop quoi en penser. Autant d’un côté c’était une très bonne chose car mes barrières s’étaient fragilisaient mais, de l’autre, cela était très perturbant.

Pourquoi cela arrivait-il avec lui, que je ne connaissais pas, alors que ce n’était pas arrivé avec Cameron qui est l’ami de Jaeden et pour lequel il devrait être plus facile d’accorder ma confiance ? Était-ce lié à ce sentiment familier que j’avais ressenti en la présence de Noé ?

Sentiment que je ne saurais décrire d’ailleurs. Sa façon d’être, sa façon de parler, son apparence physique, tout me rappelait James. Pourtant, ils n’avaient aucun lien. Devais-je interprété ça comme un signe ? Le signe qu’il était temps de changer de vie, temps de m’ouvrir à cette nouvelle opportunité même si cela m’effrayait au plus haut point ? J’étais terrifiée à l’idée de ressentir à nouveau cette souffrance – souffrance encore trop fraîche dans mon cœur.

Avais-je seulement envie de me poser autant de questions à ce sujet ? Cela faisait une éternité que je n’avais pas eu de discussion aussi légère sans craindre de faire une gaffe sur quoi que ce soit. J’en avais presque oublié tout le reste.

Une seule discussion avait suffi.

Et c’était totalement fou.

Tout ceci n’avait aucune putain de logique. Je n’avais aucune logique.

Que devais-je faire à présent ? Dans un monde parfait, je n’aurais pas toutes ces questions à me poser et nous deviendrons sans doute de bon amis. Mais nous n’étions pas dans un monde parfait, sinon ils seraient encore là et ces questions n’auraient pas lieu d’être. La chose la plus sensée serait sans doute de laisser les choses venir comme elles le devaient, mais mes blocages feraient forcément surface à un moment ou un autre. Je ne voyais pas comment les choses pouvaient se passer autrement. La question était plutôt de savoir si j’avais envie de contrer mes barrières pour donner la possibilité à cette…relation quelle qu’elle soit d’exister.

Par ailleurs, un point positif était à relever. Il n’était pas l’un des amis de Jaeden. Sans savoir pourquoi, cela me rassurait un peu. Je n’aurais pas besoin de me demander sans cesse si l’intérêt qu’il me porterait serait lié d’une façon ou d’une autre à sa relation avec mon cousin.

D’un autre côté, cette façon de penser me peinait quelque peu. Non seulement, je savais que cela ne ferait pas plaisir à Jaeden s’il l’apprenait, mais je pouvais également passer à côté de la chance de rencontrer des gens extras. Et cela ne me ressemblait tellement pas.

Cette volonté de me protéger coûte que coûte de la souffrance n’était pas ma meilleure résolution de l’année. Que devais-je faire d’autre ? Apprendre à connaître d’autres personnes, c’était le risque de les perdre aussi. Je n’étais pas prête pour ça.

Avec le temps, les choses évolueraient sans doute. Il me faudrait du temps pour que toutes ces craintes s’envolent, pour faire le deuil des douleurs du passé. Sauf qu’au fond de moi, une peur plus intense et plus profonde prenait place. Je ne voulais ni les remplacer, ni les oublier. Comment le pourrais-je de toute façon. Ils étaient irremplaçables.

L’admettre était dur, mais c’était la vérité. Je craignais qu’un jour puisse les oublier. La crainte de ne jamais avancer était aussi grande que celle.

Waouh. Mes réflexions m’avaient mené loin. Grâce à ma planche, il ne me fallait pas plus d’un quart d’heure pour rentrer et je n’avais même pas vu le trajet passer.

Une fois devant la façade, je me rendis compte que j’avais encore du mal à me sentir chez moi, même si la maison était bien plus chaleureuse. Il me faudrait également du temps pour faire disparaître cette panique qui me saisissait le ventre à chaque fois que je devais rentrer chez moi.

Aurais-je seulement assez de temps pour affronter tout ça ?

Après avoir soufflé un bon, je rapatriai ma planche sous mon bras et poussai le portillon pour pénétrer dans le jardin. À peine avais-je dépassé le pas de la porte que Jaeden me tomba dessus.

— On peut discuter ?

Je ne m’attendais absolument pas à ce qu’il cherche à avoir une discussion avec moi. J’acquiesçai d’un mouvement de tête, et le suivis ensuite jusqu’au salon. Je déposai mon sac et ma planche à côté du fauteuil avant de m’y avachir comme une baleine. Je calai mon dos contre l’un des accoudoirs et posai mes jambes sur l’autre pour qu’elles retombent dans le vide. Ainsi, je voyais mon cousin qui s’installa lui sur le canapé.

J’espérais seulement que cette discussion ne tournerait pas au vinaigre…

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