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Après quelques pas dans l’allée centrale, Sylvie avait une bonne vue du chœur. Pif n’était pas là, couché à sa place habituelle. Où était ce chien étrange ?

Sylvie fit un tour sur elle-même pour embrasser tout l’édifice du regard. Dans une nef annexe, celle dédiée à la vierge elle entendit sangloter. Elle se précipita.

Le père Pain se trouvait adossé à la muraille à la droite de la statue mariale monumentale, entièrement nu, le sgeg pendouillant et les couilles talquées. Dans un geste trognon et pudique, Sylvie se cacha les yeux dans un mouvement vif. Malheureusement, elle en avait déjà trop vu et était marquée.

— Mon père ! Que vous arrive-t-il ?

— Il est revenu ! Il est revenu ! C’est le doigt de Dieu pointé sur mes fautes et ma concupiscence.

Écartant deux doigts, Sylvie s’autorisa un rapide coup d’œil. Pif était là sagement à sa gratter la couenne avec sa patte arrière, paisible comme à son habitude.

— Mais enfin Père Pain, pourquoi êtes-vous ?

— Pourquoi ? Oui, tout est là ma fille, tout ! Pourquoi ?

— Mais ce n’est qu’une pauvre bête perdue qui s’enfuie du chenil…

— Non, c’est plus que cela ! Et d’ailleurs je comprends, oui, je comprends… La question véritable, la seule question est pourquoi Dieu tente-il autant les hommes ? Pourquoi ?

— Mais enfin…

— Regardez-moi ! Regardez ce que je suis devenu !

— Je ne préfère pas, si vous permettez. J’en ai déjà trop vu malgré la pénombre.

— Regardez la déchéance humaine !

— Relevez-vous et habillez-vous ! C’est indigne !

Le père soupira longuement. Puis dans un effort visible de tout son être, se leva et se rhabilla.

— Mais enfin mon père, allez-vous m’expliquer ?

— Que je me branle devant la statue de la vierge ? Je suis un damné ! Un pervers ! Une immondice humaine !

— OMG ! s’écria la Suissesse, choquée.

Sylvie regarda l’innocent symbole, mains jointes, yeux baissés. Rien qui ne puisse susciter la moindre idée scabreuse dans cette pierre sculptée et un tantinet puérile aux yeux d’une austère protestante. Elle se dit qu’il y avait vraiment des types en manque de…

— Mais enfin père Pain, vous rendez-vous compte ? s’indigna la brunette.Il y a des putes pour ça.

— Hélas… non… C’est impossible… Trop connu, ici on jase… On jase…

— Mais c’est… Mais c’est…

— Dégueulasse !

— Le mot est faible.

— Et les couilles talquées ?

— Vous avez remarqué ?

— Bah, c’est… On ne voit que ça aussi ! Ne me dites pas que vous… Avec des enfants…

— Ciel ! Non ! C’est une question de confort.

— Ouais… fit Sylvie avec une moue dubitative.

Le père Pain fut soudain saisi d’une émotion intense.

— Je suis perdu ma fille ! Je brûlerai en enfer… Un bon mouvement… pour un homme condamné…

Le père saisit Sylvie par les épaules. Elle se débattit avec énergie.

— Mais il est malade ce mec ! Tu vas me lâcher oui ?!

— Soyez compatissante ! Pour vous ce n’est rien… Pour moi tout ! J’y ai droit, moi aussi… Je le vaut bien.

— Espèce de malade ! Je vous préviens que je fais du Yoga, troisième dan, tapis violet !

— Mmm, c’est que vous êtes très souple alors. Encore mieux.

— Père Pain, vous n’avez pas le droit !

— Je m’en fous !

— C’est harcèlement ! C’est puni par la loi !

— Harcèlement ? Vraiment ?

— Oh oui ! Physique et moral par personne détentrice de l’autorité, et même intentionnel ce qui est pire et circonstance aggravante, prémédité.

— Ah ! C’est fâcheux… Je le reconnais.

— Enfin. Vous pouvez retirer vos mains pleines de doigts ?

— Je ne puis !

— Comment ?

— Je bande !

— Le con !

— Voyez-vous, j’ai une libido… comment dire… Je cherche le mot…

D’un mouvement leste et précis du genou, remontant dans l’entrejambe du prêtre, Sylvie lui asséna un coup dans les glaouis qui propulsa le pauvre homme dans les chaises où il s’affala dans un vacarme assourdissant.

— Je vous avais prévenu ! Non mais !

— Oh la salope ! Oh la salope ! gémissait le père, se tenant ses bijoux talqués en proie à une douleur intolérable.

— Comment ? s’indigna Sylvie.

— Pardon ma fille… Je ne sais pas ce que je dis… J’ai perdu la tête je crois. Un moment d’égarement. Je puis compter sur votre compréhension, n’est-ce pas ?

— C’est que… On était à deux doigts du viol, là, quand même.

— C’est très exagéré. N’avez-vous pas un peu fantasmé sur la personne du prêtre, comme toutes les pécheresses ?

— Mais personne ne fantasme sur toi, l’avorton ! se récria Sylvie.

— Ah…

Soudain, une pensée vint s’imposer à la conscience de Sylvie. Doc était la proie des malades-zombies. Il n’était peut-être pas trop tard.

— Mon père, vous pouvez vous racheter ! Aidez-moi à sauver Doc.

— Doc ? C’est une âme perdue. J’ai essayé… en vain.

— Les gens vont le tuer… Venez avec moi, vous ils vous écouteront.

— Moi ? Mais plus personne n’écoute la parole de Dieu…

— La parole de Dieu si, la votre… non… C’est vrai… Mais enfin, il faut tout tenter non ?

— La médecine a remplacé la religion… Qu’ils assument tous ces maudits médecins !

— Père Pain ! C’est votre devoir !

— Non !

— Je ne porterai pas plainte !

— Personne ne vous croira, pauvre folle ! Une Suisse écolo-illuminée, une écolo-minée en somme ! Pff !

Sylvie ne s’avoua pas vaincue pour autant. Désignant Pif de doigt :

— Lui, il a tout vu !

— Ah ! s’écria le père, se rappelant soudain de la présence de l’animal-reproche-divin…

Il fit quelques pas en arrière, épouvanté.

— Cette bête diabolique… Mais comment peut-elle entrer en ce lieu si ce n’est pas miraculeux ? Comment ?

— Oui, comment ? fit Sylvie perfidement. Mais vous pouvez vous racheter ! « IL » vous laisse une dernière chance !

— Comment ?!

— Adoptez Pif, prenez soin de lui et sauvez Doc !

— Ce salaud qui ne croit en rien… Qui baise à couille rabattue toutes les femmes…

— Ah bon ? C’est un chaud lapin ?

— Si vous saviez… Il fornique, il fornique comme un bouc en rut ! On l’a vu sortir du club libertin !

— On ?

— Je… de mes yeux ?

— Vous l’espionniez donc ?

— Taisez-vous !

Un silence pesant se fit. Le père méditait intensément. Sylvie quant à elle, se tenait à une distance respectable de ce dingue. Fouillant dans son sac à la recherche d’une arme, elle sortit son gobelet pliant et réutilisable en filtres de cigarette recyclés. C’était mieux que rien et cela donnait une utilisation supplémentaire à cet objet insolite moqué par certains Français acerbes.

N’y tenant plus, elle s’exclama :

— Père Pain, faut y aller, là !

— Oui, vous avez raison… Venez… Je leur parlerai. Ils n’écouteront pas… Mais ça pourra faire diversion. Venez… Il faut absolument changer le nom de ce chien… Pif… C’est trop ridicule.

— Vous savez, je crois qu’il s’en fiche.

— Alors je l’appellerai…

— On verra ça plus tard !

— Oui, oui…

— Venez !

— Oui ! Salaud de Doc ! Tu m’auras tout fait ! Tout !

Sylvie et le père Pain se précipitèrent hors de l’église.

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