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Le dimanche arriva. Au moment de faire son entrée dans l’église pour la messe dominicale, le père Pain eut une appréhension. Il se morigéna et franchit la porte de la sacristie. Une journée grise et morne diffusait une lumière colorée à travers les vitraux, surtout celui représentant l’enlèvement de Frédégonde la Gironde par le chevalier Paillard le hardi, une allégorie de la bestialité masculine fort appréciée du groupe de suffragettes locales, peu nombreuses mais fort actives au demeurant, surtout madame Musquin, la préposée à la bibliothèque municipale et commère patentée.

Cependant, la tension du père fit un bond quand il aperçut, allongé devant l’autel, l’animal mystérieux. Il se trouvait encore là ! Cette fois, plus de doute, l’affaire était surnaturelle. Une telle ténacité n’était point d’ordre canin.

Le père tenta bien d’attirer le pauvre animal hors de l’église, mais rien n’y fit. Aussi se résigna-t-il et officia-t-il en compagnie de la pauvre bête. Cela amusa un peu les quelques ouailles courageuses qui firent le déplacement et la quête ramassa un peu plus de piécettes que d’habitude.

Le père, très perturbé, se demandait que faire avec cet animal dans l’église une fois la messe dite et cela perturba beaucoup son sermon qui dévia sur l’âme animale sans qu’il s’en rendît compte.

« Nous ne pouvons ignorer que les animaux sont doués de sentiments et d’émotions communes aux nôtres, qu’ils sont aussi les créatures du Tout Puissant… Un sang rouge comme le nôtre coule dans leurs veines et pécher n’est pas dans leur nature, contrairement à nous autres pauvres pécheurs... »

Le père était réellement ébranlé par toute cette affaire. Quant à Pifgadget, il était toujours aussi miteux et pitoyable, décharné et larmoyant.

Pourtant, quand les paroissiens eurent quitté l’église et que le silence retomba pesamment, plus de trace de l’animal. Sans qu’il en comprenne vraiment la signification psychologique et inconsciente, le père en fut soulagé.

Sa détermination à parler au Doc était encore plus forte.

Après son déjeuner dominical, une daube aux champignons, arrosée d’un gorgeon de rouge qui tâche « il a du corps ! » s’exclama la bonne Louise ravie et faisant claquer sa langue sur son palais, le père s’accorda 20 minutes de sieste méditative dans son rocking-chair.

À son réveil, il était en forme et chemina vers la salle des fêtes privatisée par le club d’échecs. Les habitués « poussiéreux » étaient là, retraités cadres sup, quelques ados collégiens.

Madame Lajoie, la présidente, fort ravie de le voir, vint à sa rencontre.

— Père Pain, quel plaisir ? Voulons-nous jouer ?

— Mais oui, mais oui. Le Doc est-il ici ?

— Le Doc ? C’est un affreux lâcheur ! On ne peut pas compter sur cet homme ! Nous ne sommes pas assez bien pour lui !

— Ah bon ?

— Monsieur est à la chasse à courre avec madame la Baronne ! Cet homme à tous les vices ! L’orgueil, la gourmandise, la luxure, la malice…

— La malice ? J’ignorai que cela fut un vice.

— Chez lui, oui ! Il a une manière de gagner… Ses yeux, tout est dans son regard. Cet homme voit tout ! C’est… Très anormal !

— Mais enfin…

— N’allez pas dire que je médis de lui ! Loin de moi cette idée. Je ne suis pas une de ces commères…

— On parle du Doc ? intervint madame Musquin qui vint les rejoindre. Il y aurait beaucoup à dire !

— Allons mesdames, tenta le père.

— Quand on songe qu’il n’est toujours pas marié. Il ne veut pas ! Il court la gueuse ! C’est un cavaleur !

— Madame Musquin ! fit le curé.

— Il ne vit pas comme nous autres. Il nous méprise en réalité, compléta madame Lajoie. De toute façon, c’est un Parisien !

— Mais enfin, vous n’avez pas honte ! intervint madame Truchot, la professeure de Math du Lycée La Boétie. C’est le seul médecin compétent du coin ! Comment pouvez-vous…

— Compétent, je ne dis pas. Mais enfin, on ne sort pas de chez lui sans une catastrophe ! dit madame Musquin. Depuis que je vais voir le docteur Lemou, je vais beaucoup mieux !

— C’est sûr ! Le docteur Tout-va-bien, persifla madame Truchot.

— Il écoute ses patients au moins lui ! dit madame Lajoie.

— Parce qu’il dort, dit madame Truchot.

— Non, il médite !

— Il dort et même il ronfle !

— Mesdames, intervint le père. J’espérai lui demander une chose… Je reviendrai.

— Mon père, restez et jouez…

— Une autre fois peut-être.

— Vous êtes malade, père Pain, s’inquiéta madame Musquin, friande d’un nouveau commérage inédit.

— Non, non…

— Le docteur Lemou sera ravi… commença madame Lajoie.

— Ce n’est pas un problème médical ! s’impatienta le curé.

— Ah bon ? Mais quoi d’autre ?

— Mesdames, je vous salue, se déroba le père.

Tout en s’esquivant, le père Pain ne manqua pas d’entendre le moulin à parole des commères qui était lancé.

— Avec les curés, c’est toujours pareil. Pas moyen de savoir de quoi ils parlent.

— Toujours des faux-fuyants, approuva madame Lajoie.

— Vous n’en avez pas marre de bavasser sur les gens comme ça ? s’indigna madame Truchot.

— Ma pauvre, vous n’y comprenez rien…

Le Doc était au château de la Concherie avec la coterie des environs. C’était pourtant vrai qu’il était snob avec ses voitures de sport ostentatoires : le Doc était hors d’atteinte de la rédemption, c’était une évidence. Une âme perdue.

Ce n’était pas une mauvaise idée d’aller rendre une petite visite de politesse à madame la baronne pour lui rappeler dans quel état de vétusté se trouvait l’église.

Se hâtant vers sa vieille Renault, le père était résolu plus que jamais à voir le Doc.

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