Chapitre 2 : en quête de liberté [ Iris ]

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Comme chaque soir le dîner est d’une lenteur insupportable. Les adultes passent leurs temps à aborder des sujets chiants comme la politique. En bout de table, tel un seigneur, notre grand-mère laisse son regard jongler sur chacun d’entre nous.

Règle numéro un : ne jamais au grand JAMAIS soutenir le regard d’un de vos aînés et encore moins celui de Joséphine Hector, la doyenne.

Je fixe mon assiette vide depuis bien une demi-heure quand une discussion animée surpasse celle des grandes personnes. Je lèves les yeux pour fixer Thomas et Hélios, deux de mes cousins.

« Taisez-vous » les supplié-je mentalement. En face de moi Théodore place son index contre ses lèvres et pousse des petits « chut ! » dans l’espoir de les sauver. Sa mère lui donne un violent coup contre sa main pour qu’il arrête. Il retient de justesse un petit cri de douleur.

Ce n’est que quand le silence s’installe qu’ils remarquent que toute l’attention est tombé sur eux. Ils se taisent enfin. Mais c’est trop tard : le regard de vipère de Joséphine ne les lâche plus.

Règle numéro deux : tant que vous n’êtes pas considérée comme un adulte, ne prenez la parole que si on vous interroge directement. Répondez brièvement et si vous n’êtes plus sollicité, taisez-vous.

– N’avez-vous pas honte d’interrompre la conversation de vos aînés ? lâche sa voix aigrie.

Ils baissent les yeux. Se confondre en excuses ne ferait qu’aggraver la sentence.

– Eh bien vu que vous passez plus votre temps à papoter de sujets futiles…

C’est bien connu que les adultes ne parlent pas de choses inutiles.

– … qu’à manger…

Voilà une demi-heure que nous attendons le plat. Tout le monde a finit son entrée et les domestiques n’attendent que votre bénédiction pour emmener la suite du repas.

– … vous allez donc vous coucher. Albert, accompagnez-les.

Le majordome, planté à côté d’elle depuis le début du dîner, acquiesce et se dirige vers les deux rebelles. Ces deux-là se lèvent sous le regard noir de leurs géniteurs. Ils sont assurés d’avoir un sermon ce soir si ce n’est pas plus.
Les portes de la vaste salle à manger claquent et un long silence s’installe. Il faut bien attendre une ou deux minutes avant que les pipelettes ne se remettent à papoter.
Comme chaque soir le dîner est d’une lenteur insupportable. Les adultes passent leurs temps à aborder des sujets chiants comme la politique. En bout de table, tel un seigneur, notre grand-mère laisse son regard jongler sur chacun d’entre nous.
Le plat finit par arriver. Nous autres « enfants » le mangeons silencieusement sous le brouhaha de leur débat sur la tenue d’une chanteuse. L’envie de regarder l’heure sur mon portable me démange de plus en plus. Mais si je ne veux pas m’attirer les foudres du grand manitou, j’ai intérêt à ne rien faire.

Le plateau de fromage passe parmi nous quand Joséphine m’interpelle :

– Ma chère Iris, cela fait un moment que ta relation avec ce Tristan s’est finit.

Nathan. Il s’appelle Nathan.

Règle numéro trois : l’adulte à toujours raison même quand il a tort.

Je réponds d’un « Effectivement », attrape un bout de fromage de chèvre et passe le plateau à mon père à ma gauche.

– As-tu quelqu’un en vue ?

Traduction : « car si ce n’est pas le cas, nous te trouverons un gentil fiancé ». Je la rassure d’un « oui grand mère ».

– En espérant que celui-ci dure plus que deux semaines.

J’acquiesce et croise le regard de Théodore. Je sais alors qu’il viendra me voire après le repas.
Après vingt tours de table, le plateau de fromage est remplacé par de magnifiques déserts. Étant donné que j’ai déjà pris une part de gâteau ce midi, je décide de prendre une pomme. Il ne manquerait plus que la grande chef me gronde sur ma consommation de sucreries. Deux heures après le début du repas nous sommes enfin libérés. Les adultes nous rappellent que les lumières doivent être éteintes à vingt heure trente. Après tout c’est la rentrée demain.
Je suis entraînée dans le flots de mes cousins et cousine qui quitte la pièce sous le regard des domestiques. Nous remontons l’escalier et nous séparons sur le pallier pour rejoindre nos chambres respectives. Je n’ai pas à attendre longtemps avant que Théodore ne me rejoigne.

– Alors qui sera l’« heureux » élu ? me questionne-t-il avec un sourire.

Je lui renvoie. Je cache mon air mutin sous celui exagérée de la réflexion. Je traverse la pièce pour me diriger vers mon bureau tout lâchant :

– Hum… Je pense que je vais partir avec le nombre cinq aujourd’hui.

Je me dirige vers mon bureau et sors un petit carnet de mon tiroir. Il renferme une longue liste de garçon qui, à coup sûr, sauterait sur l’occasion de sortir avec moi sans problème.

– Début, milieu ou fin ? lui demandé-je en ouvrant sur une page au hasard.
– Fin.

Mon doigts défile sur la liste jusqu’à atteindre la fin de la page puis il remonte cinq prénoms. Le verdict tombe.

– Victor Tamara.

Théodore s’approche du bureau et retire les deux dès de sa poche. Il me tends les deux petits cubes tout en annonçant :

– Maintenant il ne reste plus qu’à déterminer combien de temps il gagne.

Je les lance contre le meuble.

– Cette fois, se sera en mois ! annoncé-je.

Ils roulent un instant sur le bois. Le premier affiche un « un ». Le deuxième ne tarde pas à imiter son résultat.

– Eh bien tu sortiras avec Victor Tamara pendant deux mois.
– Parfait.

Je me dirige vers mon lit placé à côté de mon bureau et m’y assois. Théodore m’imite et nous restons un moment silencieux.

– Hé Iris…

Je me tourne vers lui et remarque sans mal l’inquiétude dans ces yeux noisettes.

– Un problème ?

Il détourne le regard. « Je n’aurais jamais dû commencer cette phrase » pense-t-il, c’est évident. Il pousse un soupir et finit par répondre :

– N’y vas pas.

Je lui fais de gros yeux.

– Quoi ? Au lycée ? !

C’est à son tour d’être étonné. Puis il semble comprendre et s’empresse de répondre :

– Non ! Ne vas pas à l’Antre. J’ai un mauvais pressentiment.

Dans le couloir, des bruits sourds résonnent dans le couloir. Il me rappelle les coups frappés avant le début d’une pièce de théâtre.

– Plus que cinq minutes avant l’extinction des lumières ! annonce la voix morne de la domestique en continuant son manège.
– Je suis une grande fille, chuchoté-je. Je sais les choses à faire ou pas et de ce quoi je dois me méfier. Ne t’inquiète pas.
– Non. Je faisais référence à si notre famille venait à l’apprendre, murmure-t-il. Ils t’enfermeront ici jusqu’à la fin de ta vie s’ils ne te tuent pas par accident !

Mes mains recouvrent la sienne et le regarde avec tendresse.

– Je prends toutes les précautions possible et inimaginable pour éviter que ça arrive.

Le deuxième tour de la domestique avec son compte à rebours retentit à l’extérieur.

– Tu ferais mieux de te préparer pour aller te coucher, c’est bientôt l’heure du couvre feu.

Il me fixe un instant, pousse un soupir, plaque ses lèvres sur ma joue et me murmure :

– Juste, sois prudente.
– Je le serais.

Il reste immobile un instant puis se lève. Je l’imite et nous nous dirigeons vers l’entrée de la pièce. Je lui souhaite bonne nuit et l’observe remonter le couloir jusqu’à ce que les lumières s’éteignent. Puis je retourne à l’intérieur et m’enferme à double tour. Je rejoins ma penderie que j’ouvre en grand. Je jette un pyjama sur mon lit et laisse ensuite mes doigts suivre la limite de la plaque du fond. Une fois que j’ai retrouvé le petit trou j’y passe un doigt et tire un coup sec pour retirer la planche révélant mon dressing secret. J’en sors un petit carton, un t-shirt blanc qui laisse les épaules à découvert, un débardeur noir, une longue jupe ample noire ainsi qu’une paire de talons à semelle compensée que je vais poser sur ma couette. Je retourne ensuite replacer la planche, referme la penderie et me dirige ensuite vers mon bureau. Je profite du fait que je devrais normalement dormir, et que ma porte est fermée à double tour, pour retirer la perruque qui dissimule mes vraies cheveux à la vue de ma famille.

Le roux est une couleur immonde. Albert, convoquez mon coiffeur que l’on mettions un terme à cette horreur.

Après notre bac, Théodore et moi partirons loin d’ici. Et là plus rien ne pourra nous empêcher de suivre enfin nos rêves.

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