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 Ils descendirent les marches de l’escalier quatre à quatre, le féétaud fermant la marche. Ils rejoignirent le vestibule, bifurquèrent sur un autre corridor à leur gauche, et les portes de la cuisine s’ouvrirent devant les yeux ébahis du gamin. C’était une pièce tout en longueur dotée d’un foyer central pour la cuisson des aliments, de divers plans de travail en bois de cèdre, d’une huche gigantesque, et d’ustensiles de cuisine suspendus à un crochet, tous rangés dans un ordre bien précis. Les murs colorés dépeignaient des scènes champêtres : de vertes prairies, des faunes gambadant joyeusement au son de leurs flûtes de Pan, des singes aux grands yeux battant le blé ou le beurre en baratte, des lutins aux ailes de papillon voletant de fleur en fleur pour en boire le doux nectar,… Les différentes scènes avaient été peintes sur du verre, et luisaient de mille feux pour le bonheur des yeux. Lucian étouffa un « oh ! » de ravissement à leur vue et en demeura bouche bée.

 « Laisse-moi réfléchir… Que pourrais-je cuisiner pour nous ravir les papilles ? Oh ! Je sais. Il doit me rester du pain rassis quelque part dans les armoires. Voyons voir cela… »

 La huche à pain s’ouvrit d’elle-même, et les restes d’un pain, dont la mie commençait à durcir sérieusement, s’élevèrent dans les airs, prêt à servir leur maître. À leurs pieds, une trappe donnait accès aux caves du château, plongées dans une fraîcheur hivernale éternelle pour la conservation des différentes denrées périssables ; elle s’ouvrit dans un bruit fracassant pour livrer passage à une bouteille de lait, trois œufs blancs, du beurre et une bonne poignée de sucre. Lucian observa, les yeux ronds comme des assiettes, et la bouche grande ouverte, les différents ingrédients se mélanger dans un grand bol qui se jeta dans le foyer soudain embrasé pour s’y laisser cuire en quelques crépitements. Les couverts impatients s’échappèrent de la vitrine pour se précipiter vers la salle à manger, communiquant avec la cuisine par une porte discrète au fond de la pièce, et y dresser une table de roi.

 « Jeune ami, tu vas tous nous avaler si tu ne fermes pas bientôt ta petite bouche en cœur, dit Dragomir à son petit protégé sur un ton taquin.

 — Mais… enfin… comment… ?

 — Il n’y a rien de plus naturel au monde que de commander aux objets. Rien d’extraordinaire à cela.

 — Dans mon monde à moi, ce serait de la sorcellerie », maugréa le petit avec mauvaise humeur.

 Dragomir haussa les épaules d’un air désinvolte.

 « Les mortels ne comprennent pas ce qui leur échappe, et prennent peur avant même d’assimiler le phénomène. Je parlerai plutôt de magie plutôt que de sorcellerie, pour être honnête.

 — C’est quoi la différence ?

 — La sorcellerie suppute que je travaille avec des forces surnaturelles, diaboliques et malfaisantes. Disons que c’est un terme péjoratif, pour résumer. Tandis que la magie est la grande force qui traverse ce monde, et que la plupart des créatures comme toi ont oubliée. Elle fait partie de nous autant que nous faisons partie d’elle.

 — Pour moi, c’est pareil, gronda encore l’enfant.

 — Soit. Les nuances viendront en grandissant. Au moins, il y a un avantage à tout cela : tu m’as l’air mieux réveillé que tout à l’heure. C’est bien. »

 Le gamin tourna la tête, boudeur, et son regard accrocha la poêle en équilibre parfait au-dessus du foyer et la cuillère en bois docile qui tournait et retournait les morceaux de pain perdu sans l’aide de quiconque. Fasciné, il demeura perdu dans sa contemplation. Ah ! Les enfants ! Toujours là à vous contredire pour refuser d’admettre que la magie les attire comme le papillon à la flamme d’une bougie. Pas le moins du monde contrariants.

 D’un mouvement du poignet, Dragomir intima aux ustensiles de se retirer du feu une fois le pain perdu doré à point et envoya tout ce petit monde dans la salle à manger à l’arrière, en s’amusant du regard admiratif du petit.

 « Ils nous attendent de l’autre côté pour la dégustation, y allons-nous ? »

 Sans attendre de réponse, le féétaud se dirigea dans la pièce annexe pour s’installer au bout de la longue table, comme à l’accoutumée. La nappe dressée était immaculée sur la table haute finement ouvragée, des chaises à haut dossier et aux coussins de velours pourpre les attendaient avec impatience, des chandelles s’allumèrent au centre pour l’enfant, et la bouteille de lait se permit un dernier voyage pour remplir les verres de ses hôtes. Dragomir désigna le siège le plus proche à sa gauche à Lucian… qui s’y assit avec beaucoup de précaution, comme s’il craignait un mauvais tour. Le pain perdu se distribua tour à tour dans les assiettes à la manière d’un jeu de cartes, et le sucre saupoudra méticuleusement chaque morceau à quantité égale. Lucian observait tout cela avec circonspection. Dragomir pencha la tête en le regardant avec attention : le petit était partagé entre deux envies contraires, celle de satisfaire son estomac et l’autre…

 « Je refuse de manger quelque chose d’ensorcelé, annonça-t-il alors d’un air buté et résolu en repoussant son assiette. Je ne veux pas être maudit.

 — Si c’est là ce que te dicte ton instinct de survie, je veux dire par là mourir de faim, alors fais selon ton bon plaisir. Je trouve cependant dommage de gâcher ainsi tous mes efforts et cette succulente nourriture. »

 Le féétaud mordit sans plus de cérémonie dans une tranche de pain croquante à souhait. Délicieux ! Parfait, comme toujours ! Il entendit l’estomac du petit gargouiller pour la seconde fois de la soirée, et sourit insidieusement derrière son morceau de pain grillé.

 « De toute façon, tu es déjà ensorcelé, lui asséna-t-il en guise de coup de grâce. Après tout, tu ne t’es pas posé tant de questions pour boire de mon propre sang tout à l’heure, si ? Où étaient donc passés tes principes à ce moment-là ?

 — Je n’ai pas… faim…

 — C’est un mensonge, et tu le sais aussi bien que moi. Pourrais-tu enfin écouter les cris d’agonie de ton estomac et cesser ces futilités ? Mange donc, petite chose. »

 Lucian considéra à nouveau le plat au fin fond de son assiette, se pourlécha les lèvres, hésita encore un peu et… se jeta enfin voracement sur la nourriture comme s’il n’avait rien avalé depuis trois jours. Ah ! Les enfants !

 Le glouton rassasié, Dragomir essuya avec patience les deux coins de la bouche de ce dernier à l’air surpris des restes de sucre et de salive qui les maculaient, pencha élégamment la tête sur le côté, frappa dans ses mains et se leva de table en s’exclamant :

 « Allez ! Nous avons encore beaucoup de pain sur la planche. Rendons à cette chemise quelques lettres de noblesse et prenons tes mesures, par la même occasion. »

 L’enfant était plus intéressé par la vaisselle qui se dressait seule en hauteur pour filer dare-dare prendre un bain bien mérité dans l’évier de la cuisine, tandis que la nappe se repliait et se rangeait dans un tiroir, à sa place habituelle.

 « Allons, dépêchons ! » insista Dragomir pour le tirer de sa rêverie.

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