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 En sortant, Dragomir souffla toutes les torchères : la lumière lui était superflue dans le noir. Il se rendit à son bureau, au rez-de-chaussée, pour dresser l’inventaire de cette journée, et les quelques denrées nécessaires à dresser un toit sommaire pour sa nouvelle invitée extérieure, vérifia s’il avait suffisamment de céréales – de l’avoine surtout –, de viande et de poisson pour assurer leur subsistance à tous jusqu’à la fin de l’hiver, mais aussi de lin pour ses nouveaux projets à court terme. De ce dernier, pas d’inquiétude : il se consommait moins rapidement que le reste. Néanmoins, il lui faudrait mener des recherches pour débusquer un nouveau village avant l’arrivée de la saison froide, ne serait-ce que par sécurité afin d’éviter toute possible pénurie.

 L’inventaire terminé, Dragomir emprunta à nouveau le corridor pour se diriger vers son atelier de tissage, dans le recoin le plus reculé du château, situé après une bifurcation à angle droit. La pièce en elle-même n’arborait aucune richesse particulière, si ce n’est le filin d’or que tirait docilement l’un des métiers, et qui rejoignait fièrement la bobine déjà pleine ; il s’agissait de son unique source de revenu et de commerce avec l’Autre Monde. Dragomir possédait en effet la capacité de transformer la laine ou le lin en or, pour peu que le fil obtenu ait été correctement égrené et cardé avant filage. Il se trouvait néanmoins plus à l’aise avec l’argent, son matériau de prédilection, mais celui-ci se vendait à moindre prix, comparé à l’or, son petit frère, et il était difficile pour le féétaud de faire si fine bouche. Les murs de pierre nus accueillaient ses dernières créations, qu’elles attendent les derniers ourlets, ajustements ou tout simplement son approbation pour être envoyées à la tannerie pour y ajouter un peu de fantaisie. Le sol, également dépourvu des tapis qui jonchaient les corridors ou les chambres, était entièrement recouvert de matières premières : laine noire ou blanche de premier choix, cuirs divers, boisseaux de lin, coton et quelques rares productions de vers à soie des contrées lointaines de l’est. Différentes machines occupaient le vaste espace : la plus imposante était un métier à tisser horizontal, à fonctionnement mécanique, suivi par les diverses structures servant à traiter le textile brut pour le filage, qu’il soit de provenance animale ou végétale.

 Dragomir interrompit la transformation en cours de fils de lin en fils d’or pur pour recueillir la bobine pleine et la remplacer par une vide. Dans un ronronnement de bois agréable aux oreilles, la machine se remit en marche sitôt l’échange terminé. Il l’interromprait de nouveau sitôt sa réserve reconstituée. Deux ou trois bobines devraient suffire amplement, comme toujours. Le féétaud s’installa élégamment devant son métier à tisser, approcha par télékinésie un nouveau filin épuré, nettoyé, et l’enfila méthodiquement sur les fentes de l’appareil, navette centrale comprise, dans un ordre précis pour constituer le fil de chaîne du futur tissu. Il réitéra ensuite l’opération perpendiculairement à son premier ouvrage afin de constituer le fil de trame, qui dessinerait petit à petit le vêtement proprement dit, morceau par morceau.

 Tout absorbé à son passe-temps préféré, Dragomir ne releva la tête qu’en entendant les vibrations familières du carillon de l’horloge du salon. Quelle heure pouvait-il bien être ? Douze coups qu’il compta mentalement en haussant le sourcil. Nocturna. Les douze coups de Nocturna, déjà ? Il s’étira longuement, les membres raidis par le travail et commanda au métier de poursuivre sans lui, par la magie qui coulait dans ses veines et dans ce monde qui n’appartenait qu’à lui. Il va falloir que j’aille réveiller le petit, sinon, il ne dormira pas de la journée et je préfèrerais éviter de faire jour blanc, si possible. Il reprit donc le long chemin jusqu’à la chambre de son nouveau protégé, et marqua un temps d’arrêt dans l’encadrement de la porte : Lucian dormait à poings fermés, les couvertures défaites, une jambe rebelle libérée du couvre-lit, et les cheveux noirs en bataille. Mignon à croquer, brossa-t-il devant ce tableau pittoresque. C’est à regret qu’il éveilla le garçon d’une caresse sur la joue, un sourire inconscient aux lèvres.

 « Hm…, marmonna le petit en fronçant les sourcils et en étouffant un soupir. Encore cinq petites minutes et je me lève, promis, p’pa », ajouta-t-il en se retournant de l’autre côté.

 Comment résister ? Il était tout simplement adorable. L’innocence de l’enfance revêtait ses plus beaux atours dans le sommeil paisible. Quelques mèches sombres gorgées de sueur s’étaient collées sur le front juvénile, que Dragomir écarta avec la plus infinie douceur, alors que ses pensées prenaient leur essor vers d’autres cieux.

 « Mon amour pour toi sera à jamais éternel, Aurore, murmurait-il à sa dulcinée aux cheveux d’été bouclés tout en entrelaçant ses doigts dans les siens. Si tu consens à me garder à tes côtés, tu me rendras le plus heureux d’entre les féétauds. »

 La fée l’avait regardé, les yeux humides d’émotion, le visage indéchiffrable avant de s’autoriser un sourire, et de presser cette main pâle et masculine qui la réclamait sienne. Elle l’avait embrassé, pas à pas, en étudiant les contours de son visage avec attention, avait joué avec l’une de ses longues mèches d’ébène avant de lui susurrer suavement à l’oreille :

 « Ta déclaration me comble au-delà de toute espérance, cher ami, car je brûle d’une passion similaire. Vois comme l’éclat de mon soleil n’en est que plus vif à tes mots ! Je serai la plus heureuse des fées de te déclarer mon amant et mari à partir d’aujourd’hui. J’exauce donc ton souhait, puisses-tu faire de même du mien en retour.

 — Demande et j’obéirai. Je suis ton obligé, ma bien-aimée.

 — Que le Soleil et la Lune portent ensemble les fruits d’une nouvelle vie à naître, l’enfant de l’Aurore et du Crépuscule d’Avalon. Un fils de lune pourrait-il assumer cette lourde charge à mes côtés ? »

 Un enfant… Elle lui demandait un enfant, l’union de leurs deux sangs et de leurs deux êtres, à jamais réunis pour l’éternité. Ce désir les avait étreint tous deux, bien avant que leurs frères et sœurs ne trouvent leur moitié, et obtiennent descendance, bien avant qu’Aurore ne soit sacrée reine d’Avalon, bien avant que tout bascule de manière irrémédiable.

 « Oui. J’exaucerai ton souhait, que je partage à mon tour. Je t’en fais la promesse, douce aurore de mes jours, éternel soleil d’été ardent.

 — Nuit étoilée de mon cœur, scellons donc notre union », avait-elle conclu d’un ultime baiser.

Demeureras-tu à jamais à mes côtés, mon fidèle ami ?

Pour toujours et à jamais.

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