L'Hydre

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La nuit tomba plus rapidement qu’Elsa ne l’aurait pensé. Elle avait vu les ombres se déployer sur le sol, s’étendre à travers la plaine et couvrant toutes les surfaces possibles et imaginables. Alors la panique la submergea, elle qui pourtant s’était sentie en sécurité dans la chaleur bienveillante de la journée. Elle réveilla brutalement Lorelei, endormie près de la rivière.

- Il fait nuit, rentrons !

Sa compagne la regarda avec des yeux ronds, puis elle éclata d’un rire somnolent et moqueur en se mettant debout avec une grâce toute féline.

- Tu as peur du noir ?

Dans l’ombre, Elsa acquiesça, effrayée. Oui, elle avait peur. De ces monstres qu’elle imaginait tapis dans les fourrés, prêts à lui sauter dessus à tout moment. Lorelei remarqua sa mine grise, alors elle posa la main sur son épaule. Le contact de la paume chaude sur sa peau chassa un peu les démons et les fantômes.

- Viens, on y va, chuchota Lorelei. Tu as raison, les bois ne sont pas sûrs, la nuit.

Elsa ne demanda pas son reste et suivit son guide, échappant aux créatures nocturnes, toutes plus cruelles les unes que les autres, elle en était persuadée. Mais elle préférait ne pas trop s’attarder sur le sujet.

Elles gravirent la colline au pas de course. Malgré le ton moqueur qu’elle avait pris, Elsa sentait que Lorelei n’était pas plus rassurée qu’elle, à mesure que la nuit se faisait de plus en plus noire. Le feu du campement brillait, petite lueur d’espoir dans un puit sans fond, qui les guidait parmi les ronces, les herbes folles et les cauchemars.

Essoufflées, elles se précipitèrent vers le brasier et s’y blottirent, comme deux oiseaux rentrés au nid par peur des prédateurs qu’ils n’avaient jamais vus, mais dont la seule évocation les apeurait.

Holden leur adressa un regard narquois.

- Déjà de retour, Lo ? Moi qui croyais que la nuit était ton domaine...

- Moque-toi de moi une fois de plus, et je te garantis que ce sera nettement moins commode de parler sans les dents de devant.

- Et agressive de surcroît. J’espère que passer toute une après-midi avec elle n’a pas été trop éprouvant, Elsa. Ce serait dommage que ma chère compagne te fasse peur dès ton arrivée.

Avec un geste puéril, Lorelei lui tira la langue, avant de repartir dans un grand éclat de rire. Toute la tension semblait s’être envolée en elle. Elsa se recroquevilla près du feu, s’obligeant à contempler les flammes dansantes pour ne pas voir les ombres qui grandissaient à vue d’œil. Dans les méandres de la nuit, elle crut distinguer des crocs aiguisés, des yeux brillants, des écailles même.

- Ce n’était pas une plaisanterie, n’est-ce pas ? Tu as vraiment peur...

Elsa décrocha son regard du feu.

- J’avais l’impression que tu ne m’aimais pas, Alice.

- Je ne te connais pas, c’est différent. Ça me rappelle quand je suis arrivée ici.

- Alice, on répondra à ses questions quand tout le monde sera rentré, coupa Lorelei.

La petite blonde s’assit à même le sol. Elsa avait l’impression indistincte que les individus manquants avaient une importance capitale.

Lorelei s’approcha d’Holden et chuchota malicieusement quelques mots à l’oreille attentive qu’il lui tendit de bon cœur. Holden rougit en se levant et entraîna sa compagne à l’écart, disparaissant sous le couvert des arbres en gloussant.

Alice les regarda s’éloigner, mélancolique. La commissure de ses lèvres frémit, mais elle finit par se plonger dans la contemplation d’une médaille qu’elle portait autour d’un collier de cuir bruni par les ans. De loin, le métal assombri ressemblait à une perle, une goutte de pluie tombée et fossilisée en pleine chute. En parlant de ça, tu as pensé à retirer l’eau du feu ? Pauvre idiote ! En plus, tu as oublié le linge qui séchait dehors ! Quand tu vas rentrer, tous les voisins vont se moquer ! Et tu imagines, s’il pleut de nouveau ? Tes affaires vont être dans un sale état ! Mais pourquoi pensait-elle à cela ?

- Toi aussi, il faudra que tu fasses un choix, dit Alice au bout de quelques minutes.

- Excuse-moi ?

- Je ne peux pas encore en parler, Elsa. Mais un jour, tu devras choisir. Accepter, ou refuser.

- Tu as choisi quoi, toi ?

La jeune femme la regarda avec nostalgie et lissa les pans de la veste qui couvrait ses vêtements. Ils étaient en laine, brute mais si chaude. Le ciel était plein d’étoiles, myriades de constellations dans le ciel, petites lucioles voletant dans des bois infinis et intangibles. Orion, Andromède. La Grande Ourse, la Petite, le Triangle, les Poissons, et tant d’autres qu’Elsa ne connaissait pas. Regarder le ciel étoilé la faisait rêver, comme si des milliards d’âmes y habitaient et veillaient sur la pauvre Terre qui courait à sa perte, à cause des hommes qu’elle avait accepté d’héberger.

- On est rentrés.

D’un bond, Alice se précipita vers la voix et serra dans ses bras la silhouette élancée. De femme, elle était redevenue une petite fille qui retrouve un être cher après une longue absence.

- Hé ! Tu me fais mal, Lili ! souffla la voix rauque en lui rendant son étreinte dans la nuit.

Le petit bout de femme se détacha, sans s’éloigner toutefois.

- On a une nouvelle.

- Je sais, Alice. Elle était déjà là ce matin.

Elle se tourna vers le feu et fit les présentations rapidement.

- Wil, je te présente Elsa. Et voici William.

Elsa acquiesça et avant qu’elle ait eu le temps de le saluer, Alice reprenait déjà la conversation avec les nouveaux venus.

- Vous êtes en avance. L’Hydre n’est pas encore levée.

- Oui, on aurait dû rentrer plus tard. Cependant on a des formalités à remplir, ce soir, tu le sais bien Alice. C’est dommage, c’était une bonne journée. Mais pour une fois, nous sommes d’accord, Will, Theo et moi. Plus vite ce sera fait, plus vite l’étrangère s’en ira.

En entendant son nom, Elsa se leva et fit face à la femme qui venait de parler. Sa voix était sèche, comme si elle n’avait pas bu depuis des lustres. Son regard malveillant brillait dangereusement dans la nuit, faiblement éclairé par le feu qui avait perdu de la vigueur.

- Tenez, on a apporté de quoi tenir les Kayros à l’écart pour cette nuit.

La rousse déposa un baluchon odorant sur une souche. Alice renifla bruyamment, dubitative.

- De la citronnelle ? Tu comptes vraiment les repousser avec ça ?

- Ecoute, ces bestioles tiennent plus du moustique que d’autre chose. Et avec quoi on les éloigne, les moustiques ? Avec de la citronnelle. Classique.

Soupirant, Alice repoussa le paquet du bout du pied et se tourna vers Elsa. La grande rousse s’assit près du brasier en enlevant ses sandales.

- Et voici Rebecca. On a parfois du mal à s’entendre, elle et moi. Ça doit être parce que nous sommes d’éléments opposés.

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