La rivière

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Ils étaient dans la clairière d’une forêt. Le soleil à son zénith expliquait la virulence de la lumière lorsqu’elle avait repris connaissance. Des centaines de questions se bousculaient dans son esprit, toutes plus farfelues les unes que les autres.

Elle ne se souvenait pas avoir décidé d’aller se promener, hier soir, et il n’y avait pas de forêt à moins de cinquante kilomètres de chez elle. Il faisait bon, comme un jour avancé de printemps, où l’on peut se contenter de porter une veste et goûter aux joies de se mettre en manches. L’ombre des arbres était bienveillante et chaude sur l’herbe luisante de rosée. Non loin de là, un petit lac glougloutait. Sa surface bleutée renvoyait les éclats solaires et donnait au paysage une atmosphère idyllique.

Lorelei rejoignit l’attroupement autour d’un feu où grillaient des poissons d’eau douce fichés au bout de piques en bois. Elsa la suivit et s’installa à côté d’elle sur un rondin de bois vacant, pendant que sa nouvelle compagne remplissait de bols d’étain avec le contenu d’une fiole attachée à sa ceinture.

- On a quelque chose à fêter, Lorelei ?

Elsa tourna la tête vers la voix grave et chantante. C’était un homme nonchalamment assis sur un rocher, et qui ne cessait de fixer la jeune femme qui tendait les bols. Il avait le visage avenant, couvert d’une fine barbe brune qui faisait ressortir le vert de ses yeux.

Lorelei lui sourit en retour, comme une connivence entre de très vieux amis.

- A ton avis, Holden, répondit-elle en jetant un coup d’œil à Elsa.

Celle-ci se sentit gênée quand il lui adressa un large sourire, dévoilant une dentition parfaite. Tant de questions lui brûlaient les lèvres, mais elle se retint, sentant par une alchimie étrange que ce n’était pas encore le moment. Elsa n’avait aucune idée de ce qui se passait, mais elle était sûre d’une chose : il y avait plus qu’une simple amitié entre ces deux inconnus. Les quatre autres personnes autour du feu restaient muettes. On n’entendait que le crépitement, ponctué du chant de quelques oiseaux.

- C’est prêt, Holden ! lança un homme plus âgé aux cheveux blonds coupés très court.

- J’arrive !

De nouveau, Elsa se retrouva seule avec Lorelei. Plus rien n’avait de sens. Qui étaient ces gens ? Que faisait-elle là ? Elle attrapa le poisson que lui tendit la jeune femme brune.

- Tiens, mange. Ça te fera du bien.

- J’ai surtout besoin de réponses, répliqua Elsa en mordant dans la chair tendre et parfumée.

- Je le sais bien. Et tu les auras en temps voulu. Mais d’abord tu dois te nourrir. Le passage de l’autre côté est délicat pour tout le monde. Surtout au début.

Quel autre côté ? Il n’y avait qu’un seul univers, un seul monde, peuplé de personnes ordinaires... Je ne comprends plus rien. Tous mes repères partent en miettes.

- Lo ! La nouvelle commence à se demander quel est le sens de sa vie. Je croyais que tu voulais éviter que cela n’arrive avec la prochaine.

Elsa sentit qu’on la tirait par le bras, et elle se sentit avancer, comme si ses jambes obéissaient toutes seules, indépendamment de sa volonté. Elle se retrouva assise parmi les inconnus, à grignoter les brochettes de poisson qu’ils ne cessaient de lui faire passer.

- Vous n’auriez pas trouvé un pendentif ? hasarda-t-elle en osant lever les yeux, surprise par ce regain de confiance qui l’avait pourtant abandonné à son réveil.

- C’est à toi ? Il était dans mes affaires, fit sèchement une petite blonde à la moue méprisante en lui lançant l’objet en question.

Maladroitement, Elsa le rattrapa et le passa à son cou, rassurée de sentir le cuivre poli se balancer contre sa gorge.

- Merci.

- Alice, cesse d’être désagréable. Tu sais bien que ce n’est pas le moment.

La blonde foudroya Lorelei du regard avant de s’éloigner à grands pas. Elle est si jolie...

- Là d’où elle vient, confia Lorelei tout bas, les gens ne sont pas bien grands, mais ils cultivent la beauté comme une fleur rare. Alice le sait. Ne t’en fais pas, elle est gentille, au fond.

- Et toi, d’où viens-tu ?

Elsa avait demandé cela à voix basse, de peur qu’on l’entende, d’être ridicule. Lorelei entortilla une mèche autour de son index, rêveuse.

- Tu auras toutes les réponses ce soir, promis. En attendant, comme les autres ne sont pas très bavards, je te propose de m’aider ç trouver de quoi manger pour le dîner. On s’est installés près d’une rivière, alors on pourra s’y baigner, si tu veux.

- Mais je...

- Pas de questions. C’est tout.

Elsa passa la journée en compagnie de la jeune femme. Même si elle ne comprenait rien à ce qui lui arrivait, elle se sentait bien, pas tout à fait à l’aise cependant. Lorelei était une jeune femme pleine de vie. Elle pépiait, parlait de tout et de rien, riait aux nombreuses maladresses d’Elsa, qui n’avaient aucune idée de la manière dont il fallait procéder. C’est vrai que ce mode chasseur-cueilleur était très nouveau pour elle, incongru même. Elsa avait l’habitude de faire ses courses au supermarché du coin, elle y allait à pieds et rangeait le tout dans son petit frigo.

Les heures passèrent à toute vitesse, elles cueillirent des racines et quelques baies sauvages pour le repas, mais Elsa mourait d’envie d’en savoir plus sur Lorelei, sur le groupe, sur tout ce qu’elle ressentait et ne comprenait pas.

Mais chaque fois qu’elle allait oser, les mots s’évanouissaient entre ses lèvres, comme si une barrière dans son esprit lui interdisait.

- Vous vous connaissez depuis combien de temps ?

Les deux jeunes femmes se trouvaient au bord de la rivière, dans une plaine en contrebas de là où Elsa s’était réveillée. Le courant était assez fort pour que l’eau soit claire et fraîche, la végétation luxuriante renfermait des trésors de la nature. La rivière serpentait jusqu’à se jeter dans un fleuve, ou dans la mer, pourquoi pas ? Les deux femmes se rafraîchissaient un peu avant de remonter vers le campement.

- Longtemps, Elsa. Très longtemps...

Le soleil de fin d’après-midi ruissela sur sa longue chevelure, la parant d’éclats flamboyants. Pour la première fois de l’après-midi, Elsa lui trouva l’air triste.

Apaisée et sereine, Elsa contempla le cours d’eau qui glougloutait. Les questions s’évanouissaient de son esprit, comme les petites bulles charriées par la cascade en amont de la rivière. Les araignées d’eau ne l’effrayaient pas, elle se concentrait sur le chant caché des grenouilles sur la berge opposée. Prise d’un élan de tendresse, Elsa se mit à réciter à mi-voix un poème entendu des années plus tôt, alors qu’elle n’était encore qu’une petite fille.

Pomme rouge, raisin noir

C’est l’automne, c’est l’automne

Vigne rousse, au vent du soir

L’été nous dit au revoir

Perdrix rouge, corbeau noir

C’est l’automne, c’est l’automne

Plume rousse, au vent du soir

L’été nous dit au revoir

Feuille rouge, cèpe noir

C’est l’automne, c’est l’automne

Lune rousse, au vent du soir

L’été nous dit au revoir[1]

[1] J. Lafont, S. François

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