Nothing Else Matters

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L’appartement était petit, mais Elsa s’y sentait bien. C’était un studio d’ailleurs, avec le réduit qui servait d’entrée et qui donnait sur la cuisine attenante à une deuxième pièce, le bureau-chambre-salon où s’entassaient proprement des dizaines de calepins de prises de note, de recherches, livres, bref, un studio d’étudiant des plus banal.

En rentrant, Elsa prit soin de fermer la porte à double tour. Pour qu’aucun monstre ne vienne pour te chercher dans ton sommeil...Oui. C’était exactement cela. Et c’en était désespérant.

Pendant le trajet, la tête posée contre la vitre froide du bus, elle n’avait cessé de penser au miroir dans son sac, soigneusement calé entre deux bouquins de philosophie ennuyeux, mais bon, qui avait osé dire que les pavés de Kant et une compilation de Platon étaient inutiles ?

Après avoir jeté son sac sur le lit à l’autre bout de la pièce, elle monta le chauffage. Il faisait froid, la chaleur lui permettrait d’affronter les cauchemars qui peuplaient son esprit. Elsa suspendit ensuite son manteau à la patère de la porte, et alluma son téléphone portable en se déchaussant.

La sonnerie familière résonna et pour la troisième fois de la journée, Elsa se surprit à sourire. Aucun message. Elle s’y attendait. En trois ans à la fac, elle avait eu du mal à se lier avec des gens, ne créant que de vagues connaissances éphémères, jamais d’amis. C’était triste à dire, mais malheureusement, c’était vrai.

Elle finit par tirer les rideaux et mit une casserole à chauffer sur le gaz. Bon...Pâtes ou riz, ce soir ?

Allez, va pour des pâtes. De toute façon, il n’y a plus que ça dans les placards. Il va falloir que j’aille faire des courses. Elsa secoua la boîte en carton et soupira. Il n’en restait qu’un fond. Avec ça, elle pouvait espérer manger assez tôt, c’est-à-dire toujours moins tard que si elle avait tenté de faire réchauffer un plat surgelé à la poêle.

En attendant que l’eau chauffe, elle sortit le miroir de son sac. Avec délice, le papier bulle craqua sous ses doigts, lui arrachant un sourire, déstressant universel pour une jeunesse avançant trop vite. Pourtant, il y avait quelque chose de terriblement excitant à cette soirée. Pour la première fois, elle avait pris son courage à deux mains et adressé la parole à une inconnue. Et puis, ce miroir...

Soudain, Elsa trouva l’appartement trop silencieux. Mets donc de la musique, ma belle. La situation en vaut la peine, tu ne crois pas ? Elle eut envie de rire en branchant le portable sur l’enceinte posée sur le bureau, juste à côté du radioréveil. Son doigt fit glisser les titres, avant d’appuyer sur « Lecture aléatoire ». Les premières notes résonnèrent avec douceur et elle se laissa bercer par la basse de Nothing Else Matters. Metallica avait toujours eu le don d’apaiser ses craintes.

Délicatement, elle défit le ruban adhésif qui fermait le paquet et le papier kraft marron crissa. Sans savoir vraiment pourquoi, elle avait un pressentiment étrange, une sorte d’inquiétude diffuse qui parcourait sa colonne vertébrale et remontait jusqu’à sa gorge, comme un serpent dans les hautes herbes. Frissons agréables, dérangeants de prime abord, mais elle s’y habitua vite.


DRIIIIIIIIING !


Brutalement tirée de ses pensées par cette sonnerie impromptue, Elsa se leva péniblement et se dandina sur ses jambes ankylosées jusqu’au téléphone. La jeune femme décrocha. De nouveau le silence se fit autour d’elle.


- Allô ? osa-t-elle en reprenant son souffle.

- ...

- Allô ?


Elsa prononça ces mots plusieurs fois. Toujours rien. Encore un de ces appels anonymes qui avaient le don de l’agacer. Jamais de réponse. Toujours ce blanc, ce vide inutile et exaspérant. Mais elle était patiente, alors elle attendit quelques instants. Alors qu’elle s’apprêtait à raccrocher, elle entendit pourtant distinctement :


- Ne coupes pas l’arbre qui te donne de l’ombre...


Une voix atone, asexuée. Monotone. Effrayante, en fait. Puis, plus rien. Juste le La 440 du téléphone. Plus personne. Cette fois, elle était vraiment seule. Cette phrase était mystérieuse, on aurait dit un vieux proverbe, à la fois avertissement et sage conseil, pris au sérieux par les anciens, méprisé par les jeunes. Comme d’habitude. Quelle signification à cela ? Un canular, très certainement. Les jeunes si désœuvrés...Tu penses comme une vieille, Elsa. Que va devenir la petite vieille, d’ailleurs ? Va-t-elle devenir comme elle, une ombre dans la nuit, plus forte qu’elle qui craignait des cauchemars invisibles et inexistants, tout simplement parce qu’elle avait du mal à s’adapter à la vie solitaire ? Elle aurait très bien pu prendre un colocataire, oui, pourquoi pas. Mais non, en fait, non. Aucun intérêt. Elsa était très bien toute seule. Seule avec l’eau bouillonnante des pâtes. Seule avec ses pensées qui divaguaient. Seule avec elle-même. Seule avec le miroir.

Elsa sourit en s’asseyant sur le lit. Elle n’avait cessé de faire des allers-retours entre le lit et la cuisine, entre la cuisine et le téléphone, entre le téléphone et le lit, depuis tout à l’heure. Calme-toi, sweetie. Tes cauchemars ne sont pas près de devenir des réalités. Fais-moi confiance. Elsa observa quelques instants le papier kraft froissé. Son regard se porta sur le sac à main, balancé comme un chiffon. Ses yeux dévièrent vers le collier qu’elle venait d’acquérir, irrésistiblement attirés par le métal vieilli par des temps immémoriaux. Caché dans le grand miroir depuis tout ce temps. Quels secrets renfermes-tu ? Elsa avait envie de sentir le poids glacé contre sa peau, comme lorsque la vieille antiquaire le lui avait passé autour du cou. Qu’est-ce qui l’en empêchait ? L’eau des pâtes qui s’était évaporée et la casserole dont le fond commençait à brûler, peut-être ?


- Mince, murmura-t-elle pour elle-même en coupant le gaz et en posant la casserole sur une plaque électrique froide. Bon...On verra plus tard pour le repas.


Prise d’une résolution qui lui était peu familière, Elsa attrapa le collier et attacha la chaîne autour de son cou fin, dans un cliquetis métallique qui résonna dans la cuisine.

Il pesait son poids, dans le même bois sombre que l’original, finement ouvragé. Un véritable travail d’artiste. Qui avait pu le réaliser ? Quand ? Technique antique, fabrication d’orfèvre. Chef-d’œuvre à ses yeux émerveillés d’étudiante qui extirpa l’objet de sa gangue de papier bulle avec déférence.

Magnifique, encore une fois, elle ne s’en lassait pas. Quelle chance ! Le miroir luisait faiblement sous l’ampoule blafarde de la cuisine. Instinctivement, sa main se porta au médaillon, comme si c’était une amulette qu’elle portait depuis des années.

Poussée par la curiosité, elle observa le miroir sous toutes les coutures. Peut-être avait-il appartenu à une personne illustre, une princesse ou une reine, comment le savoir ?

D’un geste délicat, Elsa tourna la surface polie vers elle et souffla en croisant son reflet :


- Miroir, mon beau miroir, montre-moi quels autres secrets tu renfermes...


Elle n’eut pas le temps de savourer l’étrangeté de ses mots, que ce fut le noir complet.

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