Antique

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C’était une petite boutique encombrée, un bric-à-brac de vieilleries. Une antiquaire ? Ça pouvait être intéressant. Justement, elle avait besoin de décorer un peu son appartement, d’apporter sa touche personnelle sur les murs qui étaient désormais les siens.


- Vous voulez boire quelque chose ?


Décidément, la vieille était bien aimable. Elsa s’approcha du comptoir croulant sous des présentoirs et des cartons défraîchis. Ça devait être le seul mobilier à peu près vide de toute la pièce.


- Thé ou café ?

- Du thé, s’il vous plaît, répondit Elsa en se mettant à explorer la boutique.


C’était un réflexe qu’elle avait pris avec sa mère, des années auparavant lorsqu’elles étaient encore assez proches pour passer du temps dans les magasins ensemble. Temps révolu.

Il y avait des objets de toutes sortes : des ustensiles de cuisine aux livres anciens, en passant par les fripes et les CD qui s’entassaient dans des caisses posées à même le sol. L’atmosphère était claire, il n’y avait aucun grain de poussière, aucun insecte. Très à cheval sur la propreté, visiblement. Elsa sourit, sans oser déplacer quoi que ce soit. Il faisait bon, et la pièce était lumineuse. La petite femme avenante revint avec deux tasses fumantes qu’elle déposa sur le comptoir. Elle souriait toujours.


- Les affaires marchent bien ?

- Je cherche surtout à donner du bonheur aux gens, vous savez. Vous n’imaginez pas le plaisir que c’est de voir une personne rayonner en trouvant ce qu’elle cherche depuis peut-être très longtemps. Ou de tomber sur quelque chose qui lui procure de la joie.


Elle sirotait son thé, brûlant et bien fort. Elsa y trempa les lèvres et se laissa porter par les arômes délicats de la boisson. Elle pouvait identifier de la pomme, une pointe de cannelle, quelques grains de sucre de canne qui fondaient sous la langue et...autre chose, qui apportait de l’amertume.


- Vous êtes étudiante ?

- En lettres modernes, troisième année.


La vieille acquiesça en vidant sa propre tasse d’un trait. Elsa regardait tout autour d’elle, observant le moindre bibelot, curiosité en éveil, ses mains fourmillaient d’envie de fouiller dans toutes ces caisses, à la recherche de trésors. Une envie irrépressible naissait en elle, une véritable euphorie qu’elle ne connaissait que trop bien, celle qui apparaissait dès que quelque chose piquait sa curiosité. Les gros bouddhas perchés sur l’armoire semblaient la regarder, les ficus laissaient pendre leurs branches devant les rayons croulant sous les bocaux remplis d’herbes séchées.

Elsa ôta son foulard et le posa délicatement sur le comptoir. Le silence vaporeux qui s’élevait dans la pièce donnait l’impression qu’une infime magie opérait. Tu vois de la magie partout. La nuit, tu sais, quand tu n’oses pas rentrer chez toi de peur qu’une créature sortie de tes cauchemars te dévore. Et là, chez cette antiquaire...Réveille-toi, pauvre fille. Tu planes complètement.

Elle se mit à flâner, rendant aux bouddhas de l’armoire le regard bienveillant qu’ils lui lançaient.


- Le monde visible n’est que le miroir de la réalité...


Un léger silence s’était installé, il s’envola à tire-d’aile lorsque la voix de la vieille s’éleva de derrière une porte dérobée.


- Vous avez dit quelque chose ?

- Je réfléchissais à voix haute. Ça m’arrive tout le temps, surtout quand un endroit me plaît.


Cette réponse sonnait comme une confession.


- Si...Vous avez parlé de miroir, de réalité, de monde visible, non ?


Si tu connais la réponse, pourquoi demander ? Le regard de la vieille femme brûlait d’une flamme nouvelle, comme si la divagation d’Elsa l’avait tirée de ses propres réflexions.


- Où avez-vous entendu cette phrase ?

- Je ne sais pas...J’ai dû l’inventer. Ça arrive souvent, vous savez.

- Vraiment ? Très bien...Vous m’excusez ?


Elle disparut derrière le comptoir, par la porte dérobée qui semblait donner sur une remise, ou quelque chose du même genre. Elsa se retrouva seule, attendant patiemment que la petite femme revienne. Elle avait paru affairée lorsqu’Elsa s’était mise à penser tout haut. Mais à quoi ? Elle avait sans doute dû lui rappeler une tâche importante à faire, et un des mots avait été le déclencheur...

Qu’importe, en fin de compte, cela ne la concernait pas. Elsa avait toujours été trop curieuse, à chercher le pourquoi du comment, jamais satisfaite des non-réponses, ou quand c’était trop évident pour être vrai.


- Le monde visible n’est qu’un miroir de la réalité..., répéta-t-elle pensivement.

- Elsa ?


La jeune femme sursauta. Comment la vieille pouvait-elle connaître son prénom ? Les bras chargés d’un paquet enveloppé de papier kraft ficelé, l’antiquaire revint et déposa sa charge sur le comptoir. Son visage rayonnait, comme si elle était certaine de l’effet qu’elle allait produire avec son paquet.


- Il faut que je me débarrasse de tout cela. Ça ne vaut plus grand-chose, alors je ne peux plus les vendre. Vous m’avez l’air sympathique, Elsa. Alors tenez. Choisissez et prenez ce qui vous plaît.


La femme défit délicatement l’emballage, du papier bulle cliqueta.

Comment un si petit paquet peut contenir autant de choses ? Je l’ignore.

Elsa se pencha pour regarder les objets encore emballés.

Il y avait un peigne finement ouvragé, sculpté de fleurs et de petits animaux des champs saisissants de réalisme, d’une matière inconnue ; à côté, une carte d’un jeu ancien, un Roi ou une Reine rendu flou par le temps, les couleurs formaient une jolie aquarelle, palette de bleus, rouges et verts. Mais ce fut le dernier objet qui retint son attention.

Un miroir. Pas un de ces miroirs modernes, dont la surface vitrée renvoyait l’image avec la précision d’un chirurgien. Non. Ovale, de facture ancienne, c’était un morceau de cuivre poli jusqu’à refléter la personne assez curieuse pour s’y regarder. Mais le temps ne l’avait pas oxydé, on y voyait comme au premier jour. Son cœur s’emplit d’une sensation étrange, un mélange de joie et d’appréhension, après tout, ce n’était pas courant d’offrir un tel cadeau à une inconnue, même si on voulait à tout prix se débarrasser d’un objet.


- Il est magnifique...

- Vous trouvez ?

- Cette facture, ce cadre...Il a été fait par un maître, sans aucun doute.

- Je l’ai trouvé dans le grenier, il y a des années, lorsque j’ai acheté cette boutique. C’est un objet fascinant, n’est-ce pas...Mais vous voulez connaître le plus beau ? Il a un secret...


Sa main couverte de taches bidouilla le miroir et un petit tiroir coulissa. Elsa se pencha pour mieux voir. A l’intérieur, lové dans ce nid improvisé, une chaîne d’argent reposait, au bout de laquelle était accrochée l’exacte réplique miniature du miroir qui le renfermait.

Elle en resta bouche bée, admirative.


- Surprenant, n’est-ce pas ? C’était une pratique courante, il y a fort longtemps. Tenez, je vais vous le mettre.


Encore prise dans sa contemplation, Elsa se laissa faire. L’objet l’attirait irrésistiblement, elle sentit la chaîne froide contre sa peau, et le médaillon glacé vint se loger sur la maille épaisse de son pull. Etrangement, sa peur s’effaça, laissant place à un calme incroyable. La vieille dame recula, souriant de toutes ses dents.


- Il vous va à merveille.


La sérénité s’envola soudain, et fébrile, Elsa jeta un œil à sa montre. Mince, elle devait se dépêcher, le bus allait bientôt passer. Comme si elle avait deviné ses inquiétudes, la vieille femme emballa le miroir et le lui tendit. En la remerciant, Elsa remit son foulard à la hâte et se dirigea vers la sortie. Le carillon qu’elle n’avait pas remarqué sonna lorsque s’ouvrit la porte.


- Merci pour le thé, madame. Et...merci pour ce cadeau.


L’ancienne lui répondit d’un petit signe de la tête.


- Bonne chance, Elsa.

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