La nuit

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Les rues étaient pleines de monde, c’était impressionnant. Comme si toute la ville avait décidé de sortir en même temps qu’elle. Sidérant. Les gens ne travaillent donc jamais ? pensa Elsa en ajustant le foulard qui protégeait son cou. Une petite merveille, achetée dans une de ces boutiques au coin de la grand-rue. Elle avait eu le coup de cœur en flânant en quête de divertissement et peut-être de belles rencontres.

Elsa soupira en accélérant le pas. Elle ne voulait pas rentrer trop tard, la nuit terrifiante ne tarderait pas à tomber, et créerait dans son esprit d’étranges créatures et des monstres qui l’empêcheraient de fermer l’œil. Ses parents se seraient moqués d’elle, gentiment bien sûr, et ils auraient même ri parce qu’Elsa avait encore peur du noir à son âge. Mais ils n’étaient plus là pour cela. Partis à l’autre bout du monde, en voyage, ils voulaient profiter de la vie, voir ce qu’ils n’avaient jamais vu, alors que elle, Elsa, avait encore une vie à construire. Elle souffla, expulsant un léger nuage blanc.

La nuit tombait peu à peu, et déjà le monde s’emplissait d’ombres : leurs formes se mêlaient aux silhouettes des passants et envahissaient les rues.

Elsa se précipita vers l’arrêt de bus le plus proche et consulta les horaires. L’angoisse de la nuit était bien là, montant doucement en elle comme un long serpent insidieux et dangereux. L’abri aux parois de verre la protégea lorsque la pluie se mit à trembler et elle attendit patiemment le bus. Dans quelques minutes, elle retrouverait son appartement, au quatrième étage d’un vieil immeuble. Etre seule ne la dérangeait plus vraiment. Avec ses pensées, se lever le matin, aller à la fac quand elle le voulait, repartir découvrir la ville, rentrer dîner, lire un livre quelconque, retourner se coucher.

Quelle vie ! songea-t-elle en regardant les rares voitures passer.

- Excusez-moi, vous attendez le B ?

Elle leva le nez, surprise qu’on lui adressât la parole. C’était une petite femme d’un grand âge, toute ridée par les années, un cabas beaucoup trop grand pour elle sous le bras. Elsa acquiesça.

- Il est passé il y a cinq minutes, l’informa la vieille dame. C’était le dernier de la journée, je crois.

Un sentiment de profond désespoir envahit la jeune femme. Elle ne connaissait pas encore assez la ville pour savoir quels bus passaient au bas de sa rue. Elle allait devoir rentrer à pied, dans le froid, seule et terrifiée à l’idée de voir la nuit s’installer.

- Vous vouliez aller où ?

Cette petite femme avait l’air sympathique. Elsa se sentait rassurée par ces grands yeux verts pétillants la fixaient, et ce sourire qu’elle devinait à la commissure de ces lèvres parcheminées.

- Avenue Irène Joliot-Curie, répondit-elle en s’efforçant de lutter contre les tremblements qui commençaient à agiter ses mains.

- Vous êtes nouvelle, n’est-ce pas ? Alors, vous pouvez prendre le C d’ici, et rentrer chez vous.

- Merci.

Toute cette aide, pourtant ordinaire, commençait à la mettre mal à l’aise. Elsa n’était pas habituée à tant d’attention, encore moins de la part d’une parfaite inconnue.

- Quand passe le prochain ?

- Dans une vingtaine de minutes, je crois.

Cela semblait une éternité. D’ici là, la nuit serait tombée, et elle ne se sentirait en sécurité nulle part.

- Je tiens une boutique dans la rue à côté. Si vous voulez, vous pouvez attendre au chaud avec moi. Couverte comme vous êtes, vous allez attraper froid.

Elsa réfléchit brièvement, pesant le pour et le contre de cette proposition inattendue. La vieille femme attendait patiemment, appuyée sur une canne qu’Elsa n’avait pas remarquée auparavant. D’un hochement de tête, elle finit par accepter. Ça ne pouvait pas être pire que d’attendre dans le froid.

Elsa la suivit. Quelle énergie ! Elle a l’air si vieille... L’inconnue avançait à toute vitesse, comme si elle était pressée, appuyée sur sa canne qui frappait le bitume. Tac. Tac. Tac. Tac. La jeune femme avait l’impression que ce bruit éloignait les ombres menaçantes. Ce n’était qu’un sentiment parmi tant d’autres, comme cette étrange curiosité qui l’étreignit quand elle traversa la route et pénétra dans une ruelle assombrie par les immeubles qui s’élevaient.

- Quand on a quatre-vingt ans comme moi, on prend l’habitude de se dépêcher.

- Vous lisez dans les pensées ?

Elle se sentit idiote de poser cette question. Son guide s’arrêta net et se retourna en souriant d’un air malicieux.

- Vous le croyez ?

Elsa rougit et ne préféra pas répondre. Avec un haussement d’épaules, la vieille se remit en route. Le magasin était plus loin dans la ruelle.

- Nous y sommes, finit-elle par annoncer en se dirigeant vers une enseigne faiblement éclairée de néons dont la lumière diffuse jaunissait les murs de brique.

Fouillant dans les poches de son manteau, elle en sortit une unique clé de métal jauni et banal, qui aurait pu servir à ouvrir n’importe quelle porte. Elle la glissa dans la serrure tapie dans l’ombre et la porte s’ouvrit d’un tour de clé sec.

- Voilà, entrez. Faites comme chez vous. Vous avez le temps.

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