Rémi aurait pu crever

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– Bonjour monsieur Blanchard ! Comment allez-vous ?

Le docteur Frankin. Forcément, il faut qu’il arrive alors que je suis toujours en train de pisser.

– Heu bien, merci docteur, mais… Excusez-moi, en fait, je suis en train d’uriner… réponds-je embarrassé, en baissant le regard entre mes jambes.

– Ah…

– Dans l’urinal ! précisé-je en voyant le doute s’afficher sur son visage… Il ne manquerait plus qu’ils me croient incontinent.

– Ah, bien. Je vous laisse terminer, dit-il en se tournant vers Brice à côté de lui.

J’aurais préféré qu’il se retourne complètement histoire de pouvoir sortir mes dernières gouttes tranquillement. Encore heureux qu’il y ait le drap.

Je tire sur ma verge, la verge de Rémi, deux, trois fois pour échapper à la malédiction de la dernière goutte… Voilà, je suis parvenu à pisser de A à Z en tant que Rémi. Ce n’est pas grand-chose, mais je prends cette petite victoire malgré tout. Je tends presque avec fierté mon urinal au docteur Frankin.

– Voilà, docteur.

– Ah, très bien. Posez-le sur la tablette. Nous allons analyser tout cela pour confirmer que tout se passe bien du côté de vos urines et de vos reins.

Décidemment, le docteur Frankin ne veut pas se salir les mains. Je repose l’urinal tant bien que mal sur le côté.

– Bon, comme Brice vous l’a expliqué, vous allez être transféré au service d’orthopédie de l’hôpital : vous êtes réveillé et nous en sommes très heureux pour vous et votre famille, monsieur Blanchard, mais vous n’êtes pas encore en état de rentrer chez vous.

– À cause du genou, hasardé-je.

– Heu, oui, vous avez raison. La ligamentoplastie du genou que vous avez subie nécessite une rééducation importante, notamment au regard de votre atrophie musculaire générale, mais il n’y a pas que cela…

Putain, les ligaments du genou, ça va être galère.

– Lors de votre accident, vous avez subi un grave traumatisme crânien, avec un hématome sous-dural aigu, c’est-à-dire un épanchement de sang important dans votre boite crânienne. Vous pouvez dire merci à votre casque, monsieur Blanchard, sinon vous ne seriez pas avec nous pour en discuter aujourd’hui, et remercier aussi les secours qui vous ont amené ici dans les meilleurs délais pour vous opérer…

Je sonde ma mémoire pour tenter d’y trouver quelque chose, un souvenir que je pourrais raccrocher à cet accident. Je ne trouve rien.

– Nous avons pu drainer l’hématome par craniotomie, mais votre pronostic vital était sérieusement engagé, vous savez, continue-t-il sur un ton presque solennel. Nous vous avons ensuite gardé sous contrôle en soins intensifs de réanimation, pendant plusieurs semaines, en espérant que vous vous réveillerez, mais… Disons que les probabilités n’étaient pas en votre faveur… Monsieur Blanchard, ce que j’essaye de vous dire c’est que vous êtes presque un miraculé, notamment vis-à-vis des séquelles que vous pourriez avoir et dont vous n’avez pas l’air de souffrir…

Le temps s’arrête. Une angoisse terrible me serre le cœur. Ma bouche se dessèche. J’ai l’impression de peser une tonne. Pour la première fois, cette pensée noire s’impose à moi dans sa réalité la plus brutale : Rémi aurait pu crever. Comme ça. Rémi, merde ! Et moi qui ne trouve qu’à me morfondre, à m’apitoyer sur mon sort, à faire tout un cinéma pour une biscotte, pour une bite, pour un bol pisse… Je sens monter un haut-le-cœur. Rémi, mon ami…

C’est quand la dernière fois qu’on s’est vu déjà ? Dans le parc, avec Clara et les enfants ? Un soir pour prendre une bière ? Rémi, t’es pas mort ! Hein ? Tu t’es réveillé, tu vois. Un putain de miracle, mais on est là. Avec une patte folle et un trou dans le cerveau, mais on est là. Toi et moi ! Regarde ! Et on va se démerder pour régler ces conneries, tu vas voir… Ce n’est plus un haut-le-cœur, c’est un sanglot irrépressible qui monte… Putain, t’es où, mon pote ? Je me sens si seul dans ton corps, bordel. Je me mords les lèvres pour ne pas chialer comme une madeleine.

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