Chapitre 18 : L'aube des amitiés

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Aymeric fit de son mieux pour s'appliquer et s'il en jugeait par les hochements de tête et le sourire en coin de son maître, il ne se débrouillait pas si mal. Il replaça sans aucun mal chaque royaume sur la carte, tint tête au chevalier durant leur duel et parvint à déchiffrer un texte court sans trop de difficultés. Il se sentit fier quand Gordon lui dit que le sens de la première page était bien celui qu'il avait envisagé la veille en la lisant.
Puis ils mangèrent et comme Zacharie était là, ils parlèrent ensemble. Comme la veille l'apprenti à la peau noire se montra calme et souriant. Il écoutait d'une oreille attentive et donnait son avis sur un ton si serein et réfléchi qu'on était tenté de le prendre pour parole de vérité. Aymeric commençait à bien l'apprécier même s'il était très différent d'Alaman. Ils se séparèrent pour poursuivre leur entraînement chacun de leur côté et la deuxième partie de la journée fut la plus amusante.
Le petit garçon adorait les bois. Il aimait le jeu du soleil entre les branches, l'odeur de l'humus et de la sève, le craquement des branches et des feuilles sous ses pas, le calme troublé par les piaillements des oiseaux ou le murmure d'un ruisseau, la beauté naturelle de ce paysage en opposition avec les ruelles sombres, ternes et crasseuses d'Ondre. Il suivit Gordon comme une ombre, esquivant les obstacles avec agilité. Son maître l'en félicita et accéléra l'allure, sans doute dans l'espoir de corser la difficulté. Aymeric accepta le défi tacite avec un sourire canaille. Ce n'était pas si simple de se débarrasser de lui !
Ils parcoururent les bois sans se soucier du soleil qui entamait sa lente descente dans le ciel. Il ne lâcha pas le chevalier d'une semelle et, arrivés à proximité d'un minuscule filet d'eau de deux pieds de large, son mentor ralentit et se pencha vers l'onde.
- Regarde petit, des traces. Tu sais à quel animal elles pourraient correspondre ?
Aymeric les regarda de plus près en faisant la moue. Pour avoir toujours vécu dans la capitale, il ne connaissait pas beaucoup les animaux, acceptés ceux que les paysans amenaient sur le marché. En dehors des vaches, des poules et des canards, la faune sauvage lui était inconnue.
- Je ne sais pas...
- C'est un sabot. Si on en juge par la taille et la forme, je dirais qu'il appartient à un chevreuil.
- Un chevreuil ?
- Tu ne sais pas ce que c'est ? s'étonna Gordon.
Son apprenti secoua négativement la tête.
- Ces enfants des villes, je vous jure ! grogna son maître. Ne t'inquiète pas, nous allons remédier à ça. Suis-moi, nous allons remonter sa trace.
Ils traquèrent l'animal pendant plusieurs heures. Le chevalier s'arrêtait régulièrement pour inspecter le sol à la recherche de traces, de poils ou de branches cassées. Aymeric l'observait en silence, emmagasinant dans sa mémoire sa façon de faire. Lui ne voyait rien avant que son maître n'en fasse la remarque et tâchait juste de faire le moins de bruit possible.
Soudain, Gordon lui barra le passage avec son bras tout en s'accroupissant. Aymeric l'imita et son maître lui désigna un point entre deux arbres. L'enfant observa attentivement et retint sa respiration en voyant un animal s'avancer entre eux. Il fouillait les feuilles, sans doute en quête de nourriture. Il se souvenait vaguement en avoir vu un comme celui-ci, il y a longtemps. Mais où ? Il admira la finesse des pattes de l'animal. Il ressemblait un peu à un cheval en plus petit, svelte et avec le poil plus dru. Sans parler du fait qu'il n'avait pas de crinière et de tout petits sabots. Une branche craqua quelque part dans le bois et la bête releva sa tête fine aux grands yeux inquiets et dressa ses longues oreilles vers l'avant. Elle recula prudemment avant de disparaître complètement et à ce moment-là seulement Gordon se remit debout.
- C'était un jeune chevreuil. Belle bête n'est-ce pas ? Très bon aussi une fois dans l'assiette.
- Vous les chassez ? l'interrogea son apprenti.
- Pas à cet âge là. Je préfère les spécimens un peu plus vieux.
- Pourquoi ?
- Question de sélection naturelle. Je t'expliquerais les règles de la chasse quand tu seras plus grand, ce qui ne saurait tarder. Le pistage est fini pour aujourd'hui, rentrons avant que le soleil se couche.
Ils regagnèrent le château. Il restait peu de temps avant l'heure du bain mais Aymeric alla dans sa chambre pour effectuer sa lecture journalière et écrire des mots. Il s'appliquait à tracer les lettres lorsqu'on frappa à sa porte. Il s'attendait à ce que se soit Hydronoé mais à la place Alaman et Zacharie firent leur entrée dans la pièce. Le rouquin avait repris des couleurs et marchait comme si de rien n'était. L'apprenti à la peau sombre le surveillait étroitement et dit d'un ton doux :
- Tu devrais te ménager. Tes blessures risquent de saigner à nouveau si tu bouges trop.
- C'est bon, arrête de faire ta mère-poule ! Je ne risque plus rien et les points de suture sont bien serrés.
- Ce que tu es têtu, soupira son ami.
- C'est ma grande spécialité !
Alaman s'approcha du bureau et jeta un œil au travail d'Aymeric. Le petit garçon le vit plisser les yeux à l'extrême.
- Tu t'entraînes à écrire ? demanda le rouquin en avisant la plume qu'il tenait et l'encre qui tâchait ses doigts.
- Oui. Ce n'est pas encore parfait mais Gordon dit que je progresse.
Zacharie regarda à son tour et hocha la tête.
- Tu vas avoir une belle écriture si tu t'appliques toujours autant.
- Moi Venerika dit que j'écris comme un cochon, se plaignit Alaman.
- C'est normal si tu n'arrives même pas à lire ce que tu traces, le rassura Zacharie.
- Peut-être qu'elle a raison et que je suis juste stupide...
Aymeric lui donna une petite claque à l'arrière du crâne et leur ami du désert ajouta :
- Tu sais très bien que c'est faux. Qui sait mieux que toi s'orienter, se battre au corps à corps ou deviner ce que pense les gens ? Personne.
- N'importe quoi ! Tu es meilleur que moi pour lire des cartes et utiliser les boussoles, je suis convaincu qu'Aymeric me battrais sans même lever le petit doigt et n'importe quel idiot sait lire sur le visage d'autrui.
Aymeric abandonna l'idée de s'exercer et quitta son bureau pour s'asseoir sur son lit. Alaman bondit sur le matelas pour s'étendre à côté de lui tandis que Zacharie se montrait plus poli en retirant ses bottes.
- Firenza ne m'a pas loupé ce matin. J'ai hâte qu'elle revienne d'entraînement pour enfin lui parler, soupira le rouquin.
- Qu'est-ce que tu vas lui dire ?
- Je vais encore lui demander pardon et lui promettre de ne plus jamais partir.
- Comment c'était ? demanda Aymeric.
- De quoi ? La laisser derrière moi ?
Les deux apprentis hochèrent la tête de concert et Alaman tâta son torse blessé en cherchant les mots.
- C'est comme si quelque chose se déchirait à l'intérieur, finit-il par dire en posant la main au niveau de son cœur. J'en avais conscience mais la colère était si intense qu'elle me permettait de l'ignorer. Puis quand elle a commencé à partir, j'ai compris mon erreur. Vous ne le répétez à personne mais j'ai pleuré en faisant demi-tour.
Ni Aymeric ni Zacharie ne se moquèrent. Alaman pouffa et attrapa un coussin avec lequel il frappa Aymeric en s'écriant :
- Vous faites peur quand vous êtes pensifs ! Bataille générale !
Zacharie s'empara du second oreiller, forçant le troisième apprenti à s'armer de sa couette avec laquelle il tenta d'ensevelir le rouquin. Celui-ci s'esquiva mais n'évita pas le coup que lui décocha l'enfant du désert en pleine tête. Il tomba en arrière sur le lit en se frottant le menton et se redressa en criant :
- C'est la guerre !
Il projeta son arme sur son agresseur qui utilisa son coussin comme bouclier. Aymeric profita du conflit entre les deux compères pour les engloutir sous sa couette.
- Capturés !
Les deux prisonniers remuèrent et Alaman s'exclama :
- Que tu crois !
Ils s'amusèrent longuement, transformant la chambre en champ de bataille. Ils s'interrompirent quand Hydronoé, Firenza et un troisième dragon entrèrent dans la pièce. Leurs frères et sœur les observèrent avec un air déconcerté. Il fallait dire qu'ils étaient débraillés et rouges à force de hurler et de rire.
- Nous vous cherchions. Il est l'heure des bains, vous venez ? les interrogea Hydronoé.
- Oui, donnez-nous une seconde pour tout remettre en place, répondit Zacharie.
Ils rangèrent la chambre et les dragons leur prêtèrent main forte.
- Tu ne devrais pas chahuter autant alors que tu es blessé, dit sèchement Firenza à son frère.
- Ne t'inquiète pas, je me sens très bien.
La dragonne n'ajouta pas un mot de plus et tourna les talons, mécontente. Zacharie encouragea Alaman à la rejoindre d'un signe de tête. Le rouquin opina du chef et emboîta le pas à sa sœur. Aymeric en profita pour observer le dragon du garçon du désert. Il avait la peau aussi sombre que son frère mais ses courts cheveux ondulés avaient la couleur de la terre desséchée. Ses yeux étaient comme ceux de Firenza et Hydronoé, quoique plus étroits. Ils dégageaient un air tranquille, presque assoupi, et une moue mi-apaisée mi-amusée retroussait ses lèvres. Son visage ovale était d'une finesse presque artistique et ses cornes ressemblaient à du vieil or sculpté, tout comme l'ossature de ses ailes. Il lui adressa un sourire et tendit sa main à l'apprenti :
- Je suis Gébald.
- Et moi Aymeric, dit l'enfant en la serrant. Zacharie te l'a sans doute déjà dit.
- Oui mais j'avais envie de te rencontrer en chair et en os. Tu es tout de même le troisième apprenti de la nouvelle génération des chevaliers dragons. C'est un plaisir de te compter dans l'équipe !
Ils terminèrent de ranger puis se rendirent aux bains en papotant. Pendant qu'Hydronoé nageait dans les bassins comme un poisson dans l'eau, Gébald se rendit aussitôt aux douches.
- Il n'aime pas vraiment être mouiller, déclara Zacharie. Tiens, voilà notre grand blessé !
Alaman les rejoignit mais ne s’immergea pas dans le bassin. Il s'assit sur le bord et trempa uniquement ses jambes.
- Le guérisseur a dit que je devais éviter de mouiller mes plaies alors pas de baignade pour moi !
Ils se rendirent aux douches en dernier et il ne restait presque plus rien que la table de banquet quand ils prirent place à table. Aymeric se contenta très bien des restes mais Alaman ronchonna car Firenza refusait de partager son assiette avec lui. L'apprenti fit de son mieux pour conserver une part suffisante à l'attention d'Hydronoé, encore en retard. Son dragon arriva tandis que la salle se vidait et son frère lui donna ce qu'il était parvenu à sauver. Le dragon d'eau le remercia en s'installant à côté de Gébald et dévora le contenu de son assiette en quelques minutes. Ils bavardèrent activement entre eux. Même Firenza participa, laissant son humeur boudeuse à coin.
Aymeric s'aperçut qu'ils s'entendaient déjà tous très bien alors qu'ils se connaissaient depuis peu. Il serra le pendentif de corbeau offert par Zolan au creux de sa paume. Il se faisait de nouveaux amis mais il n'oubliait pas sa famille pour autant.
Ils parlèrent, plaisantèrent et chahutèrent jusqu'à ce qu'ils ne restent plus un seul adulte à la table et que les serviteurs viennent débarrasser. Ils regagnèrent leurs chambres en baillant et Hydronoé s'écroula sur le lit en utilisant son oreiller comme peluche. Il murmura un «bonne nuit» et s'enveloppa dans ses ailes. Aymeric s'allongea à son tour en songeant qu'il était heureux et que sa nouvelle place lui convenait. Il ne voudrait la changer pour rien au monde.

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