Chapitre 2

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Le lendemain, comme à mon habitude à mon arrivée en classe, je me suis installé à mon pupitre et au moment de sortir mes écouteurs pour écouter ma musique, Yûji est venu me saluer et taper un brin de causette avant le début des cours.

Jusqu'ici, tout était normal.

Peu après, Nanahara est venu vers nous. Autant vous dire qu'on était un peu surpris, étant donné qu'elle traînait surtout avec ses amies en classe. Elle a lancé un rapide « Salut !» à Yûji et moi, j'ai eu droit au lot de banalités agaçantes, du genre « Comment vas-tu ? » et compagnie. Ce n'était pas allé plus loin et pourtant, j'étais assez confus de ce changement de routine.

-Bah, elle voulait juste être amicale, me lança Yûji.

Je n'étais pas vraiment convaincu. Je pressentais même qu'elle avait autre chose en tête. Je ne savais pas quoi mais mon instinct m'invitait à rester sur mes gardes.

Le jour suivant, le même manège. Et les jours d'après aussi.
Tout comme Yûji, elle prenait l'habitude de me saluer et de discuter un peu avec moi avant le début des cours. Mais je trouvais ces conversations agaçantes car toujours sur des banalités. Et en plus de ça, je sentais les regards sur moi à chaque interaction avec elle et j'entendais les chuchotements à mon propos : « Pourquoi Nanahara discute avec ce type ? », « Elle a dût perdre un pari et le gage était de lui parler » ou le fameux « Il doit la faire chanter pour qu'elle lui parle et ne pas se sentir seul, ce nul ». C'est fou comment une image sociale pouvait se dégrader en ne faisant absolument rien...

Bref. Ça a continué comme ça jusqu'à la Golden Week.

Ah, une semaine entière à ne plus entendre une bande de crétins partager leurs idioties, surtout si elles me concernaient.

Rien de particulier à dire sur cette période alors avançons un peu dans le temps, voulez-vous ?

La veille de la reprise des cours, je suis allé m'acheter un livre dans une librairie. Mes parents m'avaient prévenu qu'ils sortiraient ce soir et m'ont dit de me débrouiller pour me faire à manger vu que j'étais en âge, selon eux. Sauf que j'avais la flemme de me cuisiner quelque chose, même de simple, et j'ai décidé de m'acheter un truc sur le chemin du retour. Après être descendu à ma gare, j'ai cherché aux alentours un endroit sympa pour me poser et manger mais rien ne me mettait particulièrement en appétit. J'ai finalement renoncé et me suis dit qu'un truc acheté dans une supérette ferait tout aussi bien l'affaire et qu'en plus, il y en avait une à une dizaine de minute de chez moi.

C'était en m'y rendant que j'ai vu la petite enseigne d'un petit restaurant de quartier que je n'avais jamais remarqué jusqu'ici.

(Remarque, je ne passe presque jamais par ce côté de mon quartier...)

Commençant à avoir faim, je suis entré.

Il n'y avait personne. Pas le moindre client. L'intérieur était accueillant pourtant, bien qu'un peu vieillot et petit mais ce dernier point relevait plus du chipotage. Il y avait quelqu'un devant le coin cuisine, assis sur un tabouret en train de lire un journal. Sûrement un employé.

-Excusez-moi !

La personne sursauta et lâcha son journal. C'était un homme d'âge mûr un peu rondouillard. Avec sa tête ronde, j'avais l'impression de voir l'équivalent humain de Doraemon.

-Oui ! Pardon ! Nous sommes ouverts ! Pardon ! Je vous envoie quelqu'un dans un instant ! Installez-vous !

Il venait de débiter tout ça en un temps record avant d'aller allumer ses fourneaux. Visiblement, c'était le chef cuisinier.

-Yuna ! On a un client ! Dépêche-toi !

J'étais à moitié assis à ma table quand j'ai entendu ça et me suis figé. Yuna ? Comme... Non, non. Ce serait trop gros. Ça devait être une sorte de coïncidence. Oui, ça ne pouvait être que...

-J'arrive, Papa !

La voix était vachement similaire, quand même. Non, non ! Encore une coïncidence. J'en étais...

Elle arriva alors, descendant d'un escalier derrière les cuisines, dans une tenue simple : un t-shirt et un short, avec un petit apron rose. Un peu court le short, d'ailleurs.

J'espérais que ce soit une mauvaise blague mais non : c'était bien Nanahara. Quelles étaient les chances que l'on se croise ?

En me voyant, elle ne put s'empêcher de sourire et de me faire un signe. Je lui ai fait un signe discret en réponse.

Alors que je n'arrivais pas à me décider que choisir sur le menu, elle vint me conseiller et me suggéra le donburi de Steak Chialapin. Pourquoi pas ? J'ai ainsi commandé ça avec un thé glacé et elle transmit la commande à son père.

Quelques minutes plus tard, elle m'apporta mon verre et alors que je pensais que j'allais attendre tranquillement mon plat, elle s'assit à ma table, devant moi, en souriant. Je ne voyais pas mon visage mais j'étais pratiquement sûr qu'il exprimait de l'agacement à ce moment-là.

-Tu en fais, une tête. Ce n'est pas ce que tu as commandé ?

Elle me parlait comme si la situation était normale. Je doutais qu'une serveuse pouvait papoter avec les clients.

-Blague à part, qu'est-ce que tu fais ici ?

Son sourire avait disparu et son expression était plus sérieuse. Ça changeait un peu de d'habitude, je devais l'admettre.

-J'avais faim et j'ai vu l'enseigne, lui ai-je répondu.

-Tu ne dînes pas avec tes parents ?

-Ils ne sont pas là, ce soir.

-Tu ne cuisines pas, chez toi ?

-La flemme.

Elle rit un peu en entendant cela.

-Eh bien, tu as fait un bon choix en t'arrêtant ici. Mon père est un très bon cuisinier.

-Je ne vois pas beaucoup de clients, pourtant...

-Quel manque de tact...

-Je ne fais que constater les faits.

-Tu pouvais le dire autrement.

-Pas envie.

C'était normalement là que la personne s'énervait et, dans le meilleur des cas, s'en allait vaquer à d'autres occupations tout en me collant dans son esprit l'étiquette « sale type ». Mais ce ne fut pas le cas pour Nanahara. Son visage restait sérieux mais pas une fois elle ne parut en colère.

Son père l'interpella alors pour la réprimander, lui disant de ne pas déranger les clients et que mon plat était prêt. En allant le récupérer, elle expliqua à son père que j'étais l'un de ses camarades de classe. Après m'avoir apporté mon plat et s'être rassise devant moi, son père s'était replongé dans son journal mais me jetait de temps à autre des regards assassins. Le pire était que j'en devinais la raison.

(Non, non, M. Nanahara. Je ne suis pas le copain de votre fille. Loin, mais très loin de là)

Pendant que je mangeais (au passage, c'était vachement bon !), Nanahara continua de me parler :

-Dis, est-ce que, par hasard, tu vis dans le quartier ?

(Bah, acquiesçons)

-C'est étrange. Je n'ai pas le souvenir de t'avoir croisé.

-Sans doute parce que je sors rarement de chez moi. Et quand je sors, je vais directement à la gare.

-Hmm. Ceci explique cela.

Un léger silence s'installa provisoirement.

-Qu'est-ce que tu as fait, durant la Golden Week ? m'a-t-elle demandé.

-Pourquoi tu veux savoir ?

-Comme ça.

-... Rien de particulier. Je te l'ai dit, je suis du genre casanier.

-Donc, à part aujourd'hui, tu n'es pas sorti de chez toi.

-Voilà.

-Tes parents n'ont rien dit ?

-Ils travaillent beaucoup. Je suis souvent seul à la maison.

-C'est triste.

-Pas tant que ça.

Le silence s'installa de nouveau.

(Pourquoi je lui raconte tout ça, moi ! J'ai vraiment un grain, parfois...)

J'ai fini mon bol et mon thé et suis allé payer. J'ai remercié le chef pour son délicieux plat et lui ai promis de revenir. Yuna m'a raccompagné dehors et m'a invité à revenir quand je le souhaitais avec un professionnalisme admirable. Alors que je n'avais fait que quelques pas en direction de chez moi, je l'entendis m'interpeller :

-Nishiyama !

Je me suis retourné et l'ai vu me courir après avec un sac plastique, tandis que son père nous regardait avec une mine sévère ou crispée (difficile à dire d'aussi loin), et qui attendait devant l'entrée de son restaurant.

-Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je à Nanahara.

-Tiens. De la part de mon père. Tu sais, il a peu de clients ces derniers temps et ils complimentent rarement sa cuisine en plus de promettre de revenir.

Elle me tendit le sac plastique et je le pris. En l'ouvrant, je vis une bonne dizaine de mochi encore chaud.

-Tu le remercieras de ma part.

-Je n'y manquerai pas.

-Bien. J'y vais, dans ce cas.

-Attends !

-Quoi encore ?

Je commençais m'impatienter et ça n'allait pas être beau à voir si ça continuait.

-Je voulais te demander... Est-ce que ça te dérange qu'on aille ensemble au lycée ?

...

Mon cerveau mit un moment pour assimiler l'information.

(QUOI ?!)

Pourquoi elle me demandait ça ? Quelle était son but ? Je n'avais pas envie qu'on se fasse des idées sur nous, en nous voyant ensemble. Surtout sur moi. J'alimentais déjà assez comme ça les piaillements de ces idiotes dans notre classe. Non, c'était mort !

J'étais sur le point de le lui dire de vive voix lorsqu'elle s'approcha d'un coup, son visage à quelques centimètres du mien.

(Trop près ! Trop près ! Trop près ! Trop près ! Trop près ! Trop près !)

-Alors ? Oui ou non ?

Son sourire était espiègle. Elle faisait exprès de créer une gêne pour que je donne une réponse rapide.

(Allons, soldat Shûhei ! Tu es plus fort et plus intelligent que ça ! La séduction n'a aucun effet sur toi ! Cette fille, Nanahara, est peut-être mignonne mais ce n'est qu'une façade ! Dis-lui « non » aussi clairement que possible ! Sois un solitaire fort, soldat Shûhei ! Fais honneur à ta patrie, la solitude !)

-Si... Si tu veux...

(Soldat Shûhei ! Traître à la patrie !)

Je lui ai indiqué où je vivais et elle m'a dit qu'elle viendrait me chercher le lendemain.

Franchement, je n'y croyais pas trop. Une fille qui me demandait de l'accompagner au lycée. Pourquoi ? J'ai envisagé une multitude de scénarii et le plus probable serait celui où elle voudrait un larbin pour porter ses affaires ou celui où tout ça n'était qu'une blague et que je me retrouverais comme un abruti à attendre. Oui, c'était le plus vraisemblable. La vie n'était pas une comédie romantique.

Ma nuit fut mouvementée. J'avais beau m'être convaincu qu'il ne se passerait rien demain matin, une partie de mon cerveau n'avait pas balayé la probabilité extrêmement faible qu'elle vienne vraiment. S'en était suivie une confrontation entre ces deux idées dans ma tête ; un affrontement homérique opposant Hector de Troie à Achille. Pour vulgariser pour les deux du fond, ça ressemblait à un combat épique entre Son Goku et Végéta.

Bref. J'ai passé une sale nuit.

Passons au lendemain.

Contre toutes mes attentes, Nanahara était vraiment venue chez moi. Mais genre vraiment tôt. Quand j'ai exigé des explications, elle a juste dit qu'elle avait entraînement matinal, avant les cours. J'ai refusé de l'accompagner mais elle me balança ma stupide promesse d'aller au lycée avec elle en pleine face. Ma mère n'était pas encore levée pour partir au travail et je ne voulais pas courir le risque que cette fille bizarre hausse le ton pour la réveiller, elle et le voisinage.

Après ce qui fut sans aucun doute ma plus rapide session des préparations, nous sommes partis ensemble en direction de la gare. Elle semblait toute guillerette, comme une enfant allant pour la première fois seule à l'école. Moi, j'avais le sentiment d'être un mineur de charbon qui s'était levé aux aurores pour aller bosser à la mine. Si après mon diplôme, je travaillais pour une société quelconque, est-ce que je devrais faire la même chose ? Rien que l'idée me faisait froid dans le dos.

Malheureusement pour moi, mon calvaire se poursuivit à la gare, quand des membres de l'équipe de basket féminine comme masculine la reconnurent et vinrent la saluer.

Heureusement, pas de visage familier parmi eux. C'était déjà ça.

Malheureusement, je devais maintenant accompagner le troupeau jusqu'au lycée.

(Fais chier !)

Pendant le trajet, j'ai bien fait en sorte de me placer derrière eux pour ne pas me mêler à la foule. Le plan aurait été parfait si Nanahara n'avait pas décidé de me coller tel le pot de colle qu'elle était.

(Même mon chat me laisse plus d'espace...)

-Désolé, dit-elle. Je pensais qu'on partirait assez tôt pour ne pas les croiser.

(Attends. Elle voulait les éviter ?)

-Tu ne t'entends pas avec eux ?

-Quoi ? Non, bien au contraire. Je ne suis pas comme toi qui ne sait pas socialiser avec les gens.

-Je sais socialiser. C'est juste que je trouve l'intérêt minime.

-Tu sembles pourtant ami avec Tanigawa.

-C'est l'exception qui confirme la règle.

-Et cette fille avec qui tu es, au club de littérature ?

-Sachi aussi est une exception.

-Vraiment ?

-Oui.

Nanahara souriait comme si nos échanges lui procuraient du plaisir. Tant mieux pour elle mais moi, ça me pompait mon énergie plus qu'autre chose. Et j'avais encore sommeil...

J'ai remarqué que certains types du club de basket s'adonnaient à des messes basses tout en me regardant. Des admirateurs de mon pot de colle ?

Une fois au lycée, alors que j'allais souhaiter bon vent à Nanahara pour partir tuer le temps ailleurs avant le début des cours du matin, cette dernière m'a invité à rester pour assister à l'entraînement. J'aurais aimé dire que j'ai refusé net pour enfin m'enfuir loin mais je me suis dit que tant qu'à attendre, autant le faire ici car cela économiserait mes forces.

...

D'accord. En vérité, j'ai eu la flemme d'aller chercher un autre endroit.

Je suis allé m'installer dans les gradins. Quitte à attendre, autant le faire assis. Et puis, observer nos fameuses équipes de basket pouvait être intéressant.

Les deux équipes se partageaient le gymnase pour les entraînements. Je me plaignais en début d'année que ce dernier était inutilement grand mais après avoir vu les équipes pouvoir s'entraîner sur deux terrains entiers de basket différent, ça donnait à réfléchir.

Première chose qui sautait aux yeux : l'effectif de l'équipe masculine était plus important, l'équivalent de deux équipes entières de football. Je plaignais presque les joueurs qui restaient sur le banc pendant que les titulaires jouaient les matchs officiels. D'un autre côté, cela montrait que le club était populaire.

Du côté des filles, elles étaient un peu plus d'une dizaine et la majorité semblait être des deuxièmes ou des troisièmes années.
Nanahara s'échauffait avec les premières années. D'un constat général, je remarquai qu'elle n'était pas plus rapide que les autres et paraissait un poil plus petite que ses aînées. Par contre, elle avait une bonne maîtrise de son ballon pendant les courses. À chaque fin d'exercice, elle me cherchait du regard, comme pour vérifier que je n'avais pas mis les voiles, et me faisait de grands signes de la main.

(Oui, oui, ma petite. J'ai bien vu que tu avais bien fait. Grand frère est fier de toi.)

...

Je me suis donné une baffe mentale pour avoir eu une telle réflexion.

Pour finir avec l'entraînement matinal, la coach fit deux équipes de cinq pour un petit match. Nanahara allait jouer et c'était l'occasion de voir son niveau. Avant le début du match, elle me fit un nouveau signe pour bien me faire comprendre de regarder, avant de se faire réprimander par son capitaine afin qu'elle reste concentrée. Elle a s'est excusé et se mit en place.

(Tiens ?)

Quelque chose avait changé chez elle. Son regard. Elle fronçait les sourcils, les yeux fixés sur le ballon. Qu'est-ce que...

TRIIIIT !!

Le coach siffla le début de la rencontre et le match commença. Le ballon circulait beaucoup mais se faisait souvent intercepter, aussi bien par une équipe que par l'autre. On pouvait dire sans doute possible que les équipes étaient bien équilibrées. Vint alors le moment où l'une des équipières de Nanahara intercepta une passe pour lui donner le ballon. Elle était en-dehors de la raquette. Elle n'allait pas tenter... Si ! Nanahara tira pour tenter un trois points ! Le ballon décrivit un bel arc de cercle avant de rentrer dans le panier sans toucher le cerceau.

Pas mal, je devais bien l'avouer.

Le match se poursuivit et à chaque fois qu'elle possédait le ballon et qu'elle avait une occasion, Nanahara tentait les trois points. Si je ne trompais pas, sur dix lancés, elle en réussissait sept. Là, je l'avouais, il y avait respect.

Fin de l'entraînement et aussi de mon calvaire !

(Allez, un petit mot pour l'encourager : elle sera contente et moi, je pourrais enfin me barrer !)

-Nishiyama !

Alors que les autres filles se dirigeaient vers les vestiaires pour se doucher et se changer pour être fraîche et disponible pour le début des cours, Nanahara accourut vers moi, qui descendait des gradins.

-Alors, comment j'étais ? me demanda-t-elle, enjouée.

Comme prévu, elle attendait des compliments de ma part. Bon, d'un autre côté, il fallait reconnaître que c'était plus intéressant que ce que je pensais.

-Tu te débrouilles bien. Surtout avec les trois points.

-N'est-ce pas ? C'est ma grande spécialité. Mais je rate encore pas mal de panier en-dehors de la raquette.

-Sept sur dix, c'est déjà pas mal, non ?

Elle semblait surprise que je lui dise ça.

-Quoi ?

-Non... C'est juste... Je ne pensais pas que tu ferais attention à ce genre de détail...

-Bah... Je l'ai fait... On ne va pas en faire toute une histoire.

J'ai eu droit à un sourire chaleureux. La coach hurla à Nanahara d'aller se doucher et se changer rapidement. Nanahara me fit promettre de l'attendre pour aller ensemble en classe.
(Elle a quoi ? Huit ans ?)

Plusieurs garçons de l'équipe masculine me lancèrent un regard, soit d'incompréhension soit de ce que je percevais être du mépris pour ma personne. Surtout un en particulier, avec les cheveux en bataille.

(Attends, je le connais, lui...)

Ça m'a pris un moment mais oui, je reconnaissais ce dernier : Mimura Ken, classe 1-A. Sa classe et la mienne étaient mélangées pour les cours d'éducation physique. De tout le mépris que je recevais, j'étais persuadé que le plus gros venait de lui. Quant aux raisons, allez savoir...

Ça jasait plus fort que de raison dans ma classe. Bien évidemment, le fait que j'ai assisté à l'entraînement de Nanahara et qu'on m'ait vu traîner avec elle n'était pas passé inaperçu. On n'arrêtait pas de chuchoter dans mon dos, filles comme garçons. Mais étrangement, certains avec qui je n'avais jamais parlé sont venus vers moi, m'ont tapoté l'épaule et ont levé leur pouce dans ma direction en disant : « Good job ! ».

Et ne parlons pas des réactions de Yûji et Sachi durant cet épisode !

...

Non, vraiment. N'en parlons pas !

J'étais entouré de crétins.

Et le pire, c'était que ça semblait amuser Nanahara. Je regrettais vraiment l'époque où ils m'ignoraient tous...

Finalement, le club de littérature était devenu mon sanctuaire en ces temps troublés. Je lisais beaucoup sur ce canapé divin et participait de temps à autre aux activités. Au moins, ici, on avait de vraies discussions et de vrais débats sur les œuvres littéraires qu'on lisait. Si le président, Sachi et quelques-uns appréciaient ma présence, ce n'était pas le cas des autres, surtout de la vice-présidente, qui ne voyait en moi qu'un parasite qui ne s'intégrait pas au groupe. Et je m'en fichais pas mal.
La paix ! C'était tout ce que je demandais, à la fin ! Était-ce trop demander ?

Les jours suivants, Nanahara fut moins envahissante à mon égard. Dieu avait-il entendu mes supplications ?

Dans mes rêves, oui.

Certes, ses amies devenaient insistantes pour savoir pourquoi elle traînait avec un type pareil (le « type pareil » est dans la même salle que vous, bande de connes !) et s'inquiétaient pour son image auprès des autres. Ici, pure hypocrisie : ce n'était pas pour son image qu'elles s'inquiétaient mais la leur. Après tout, qui voudrait qu'on sache qu'une amie soit ami-ami avec le type transparent/maussade/sombre de la classe... Si ça se savait, la réputation dans l'établissement se mangerait un coup critique avant le potentiel K.O, voire du décès.

Mais cela n'empêcha pas Nanahara de toujours venir me voir et me parler, à moi ou à Yûji d'ailleurs. Petit à petit, elle délaissait ses amies et traînait de plus en plus longtemps avec moi.

-Je crois qu'elle a flashé sur toi.

PFFFFFFFFRT !!!!

Sachi venait de me sortir ça de but en blanc pendant que je buvais mon Coca dans un fast-food avec eux, après les cours. J'avais tout expulsé à cause de l'effet de surprise. D'ailleurs, Yûji s'était tout pris dans la tronche.

-Non mais si tu réfléchis, ça a du sens : elle t'aborde souvent, elle cherche à mieux te connaître, elle écarte ceux qui pensent qu'elle ne devrait pas s'intéresser à toi...

-Tu surinterprètes, là !

-Peut-être pas complètement, intervint Yûji alors qu'il s'essuyait le visage avec l'une des nombreuses serviettes en papier qu'il avait prise.

-Tu vas pas t'y mettre aussi !

-J'aurais été du même avis que toi, avant...

-... Mais ?

-Parfois, quand tu n'es pas dans les parages, Nanahara vient me poser des questions sur toi.

-Du genre ?

-Oh, tu sais. Ce que tu aimes, tes hobby, etc... Tu sais, ce que tu appelles...

-... « des banalités », oui. J'avais compris. Et je suppose qu'en mec gentil, tu lui as répondu.

-Ben oui.

-Yûji, y a des jours où j'ai envie de te tuer...

-Vois le bon côté des choses.

-Éclaire-moi, je suis tout ouïe...

-C'est l'occasion de sympathiser avec elle. Je te signale qu'on approche de fin mai et qu'en-dehors de nous et d'elle, tu n'as pas le moindre ami.

-Ce n'est pas mon amie !

-Elle pourrait le devenir si tu lui laissais une chance. Je sais que Sachi et moi, on plaisante quand on dit que tu es un cas désespéré, mais on sait que ce n'est pas que tu es incapable de te faire des amis. C'est que tu...

Yûji blêmit d'un coup et se tut rapidement comme s'il savait qu'il allait commettre une erreur.

Je n'ai rien dit et ai commencé à finir mon Coca.

-Shûhei..., commença Sachi. Je ne sais pas ce qui s'est exactement passé l'an dernier...

L'an dernier...

Deux mots qui réveillaient en moi ces souvenirs et cette colère.

-Attends, Sachi ! tenta d'intervenir Yûji quand elle aborda le sujet, plus blême qu'avant.

-...mais tu ne peux pas continuer à jouer la carte du dilemme du hérisson juste à cause de ça.

(La ferme...)

-Sachi, arrête !

-Je ne peux qu'imaginer ce que tu as ressentis ce jour-là mais...

-Sachi !

(LA FERME !!!)

J'ai violement donné un coup de poing sur la table et fait sursauter tout le monde aux alentours. Je serrais le poing tellement fort que j'allais finir par saigner, à force. Je ne pouvais pas voir mon visage mais j'étais sûr à cent pour cent qu'il était devenu hideux tellement la colère le déformait.

En me regardant, Sachi paraissait terrifié et Yûji faisait cette tête d'enterrement, comme s'il venait de se rendre compte qu'il n'avait pas réagit à temps ou insisté davantage pour quelque chose de vraiment important. Je ne voulais pas en parler. Je ne voulais pas m'en souvenir. Si possible, j'aurai aimé tout oublier de ma troisième putain d'année de collège.

Je me suis levé et me suis dirigé vers la sortie. Du coin de l'œil, j'ai vu Sachi qui s'était levé pour me courir après, sans doute pour s'excuser d'une quelconque manière, mais Yûji la retenait. Il savait. Il savait qu'à cet instant précis, me parler était inutile.

Tout depuis le début de l'année s'était accumulé en moi. L'impatience, la colère, la frustration... Tous les sentiments négatifs que je pensais avoir refoulé jaillissait tel un volcan en éruption. Tout cela remontait d'un coup et ne demandait qu'à sortir une fois encore. Juste un peu, pour me soulager...

-Calme-toi, calme-toi, calmetoi, calmetoi, kalmetoa, kamtoa...

J'essayai d'enterrer tout cela de nouveau. Non, je voulais même l'enterrer plus profond pour être sûr que ça ne s'échappe pas de nouveau. Ça a duré jusqu'à ce que j'arrive à la maison. Une maison vide, encore. Sur la table de la salle à manger, il y avait un mot de ma mère me prévenant que mon dîner était dans le frigo et que je n'avais qu'à le réchauffer. À la place, je suis directement allé dans ma chambre. J'essayais toujours de me calmer mais rien à faire.

Mon téléphone vibra. J'ai regardé ce que c'était. Un message. J'ai vu le nom de l'expéditeur...

J'ai craqué.

Mon mur en prit pour son grade lorsque je me suis défoulé dessus avec mes poings tout en hurlant. J'ai frappé, frappé et frappé encore, de toutes mes forces. Le coup de trop finit par me les écorcher. Il y avait un trou dans le mur et des traces de sang. J'ai pu me défouler et réprimer tout cela de nouveau...

Mais pour combien de temps ?

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