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Le lendemain, Lucas avait rendez-vous avec toute la bande. Il fut étonné en ne voyant que Guillaume et Sarah, la copine de Marie.

— Ben, les autres…

— La moitié est en train de digérer, l’autre..

— L’autre ?

— Lucas, ton coming-out a étonné plus d’un. C’est un peu de ma faute. Je n’aurais pas dû le crier sur les toits. Plusieurs m’ont dit qu’ils ne voulaient plus te voir.

— Qui ?

— Jules, Maxence, Arthur… D’autres n’ont pas eu cette franchise.

Lucas n’arrivait pas à comprendre son classement dans les parias. L’intolérance était donc encore si forte ! Même avec des potes avec qui il avait vécu ces dernières années. Il n’avait pas parlé de cet aspect des choses avec Corentin. Pas encore.

Il s’ébroua, un léger dégout dans la tête

— Et Marie, Sarah, comment elle va ? Je lui ai mis plusieurs messages, mais elle ne m’a pas répondu. Tu sais, j’ai une énorme affection pour elle. J’aimerais…

— Que nous restions amis ! Mon pauvre Lucas ! Tu es comme tous les autres. Tu jettes, ce n’est pas de ta faute, et tu demandes le pardon !

— Sarah, arrête. Ce n’est pas ça !

— Oui, le beau Lucas, le charmant Lucas, le gentil Lucas, le brillant Lucas. Le salaud qui a mis Marie en dépression.

— Mais…

— Je n’arrête pas d’être avec elle. Tu ne te rends pas compte de ce qu’elle éprouvait pour toi et que tu as sali, méprisé, sous prétexte de liberté sexuelle.

— Je n’ai rien revendiqué. Je n’ai rien fait. Je ne savais pas mon orientation profonde…

— Mais on s’en doutait tous.

— Marie aussi ?

— Je lui ai dit dès le début de se méfier. Elle n’a pas voulu entendre. Trop amoureuse !

— Qu’est-ce que je peux faire ?

— Rien. C’est moi qui vais la sortir de là. Lucas, je t’aime bien, tu le sais. Mais rends-toi compte de ce que tu fais…

Lucas était perdu. Une grande partie de ses années passées était à jeter. À part Guillaume, et deux ou trois autres, il n’avait plus d’amitiés de jeunesse. Les amarres étaient rompues. Il ressentait douloureusement la séparation avec Marie. C’est vrai qu’elle lui avait apporté un vent nouveau. Il espérait encore pouvoir la garder dans son cœur.

Trop abattu, il quitta Guillaume et Sarah. Il avait besoin de marcher pour digérer ces chocs.

Son téléphone sonna. Numéro inconnu.

— Lucas ?

— Oui.

— C’est Dylan. J’ai eu ton numéro par Arthur.

Arthur, un de ses « ex » copain qui ne supporte pas les pédés. Dylan, un mec effacé, toujours en retrait, inatteignable, celui qui est toujours là, mais auquel on ne fait jamais attention.

— Oui, bonjour Dylan.

Un silence.

— Oui ?

Une petite voix :

— Lucas, je peux te voir ?

« Étrange… qu’est-ce qu’il me veut ? »

— Si tu veux. Je suis en ville. Tu habites où ?

Dix minutes après, Lucas vit sa silhouette approchée, égal à lui-même, discret et invisible.

Ils se saluèrent. Lucas devinait qu’il fallait le laisser venir.

— Tu sais, j’ai appris pour toi… À la Toussaint, tu as dit devant tous les autres que… Que tu étais… Que tu étais gay.

Le dernier mot était à peine audible. C’était donc ça ! Maintenant, il comprenait l’attitude de Dylan. Il l’était certainement, mais incapable de l’accepter, ou de le vivre, ayant peur des réactions. Il savait le rejet immédiat que cela entrainait. Pas comme lui !

— Dylan, si je peux t’aider…

— Lucas, si tu savais comme je t’admire ! Tu es beau, tu es sûr de toi. Quel courage pour dire devant les autres !

— Non. C’est Guillaume qui l’a dit. Moi, je ne l’aurais pas dit. C’est très intime.

— Ah ! Je pensais…

— Dylan, je dois te dire que je me suis découvert récemment. Je ne savais pas qui j’étais réellement. Toi, tu le sais depuis longtemps ?

— Je crois depuis toujours. Mes parents vont me jeter. Mes copains vont me jeter.

— Mais tu ne peux pas rester comme ça… Tu as toute la vie devant toi…

— Ce n’est pas facile pour moi. Tu ne peux pas te rendre compte… Tu as vu comme je suis ? Faiblard, plein de boutons, moche. Je suis si seul ! Tu as tellement de chance, toi. Surtout d’avoir un amoureux !

— Ça va venir ! Tu es plus mignon que tu ne le penses. Pars de chez toi ! Trouve-toi des études et un lieu où tu puisses être toi. Tu fais le gros dos avec ta famille et tu les quittes quand tu auras trouvé le bonheur !

— Lucas…

— Ne reste pas comme ça ! Tu m’appelles si ça ne va pas. Quand tu veux. Je serai toujours avec toi. Non ! Tu me donnes régulièrement de tes nouvelles.

Tout en parlant, il avait passé son bras sur les épaules de Dylan, car il devinait son besoin de réconfort. La rue était presque déserte. Il arrêta Dylan, le pressa contre le mur et l’embrassa. Leurs bouches se confondirent. Lucas sentit Dylan se relâcher. Il lui laissa prendre plaisir et réconfort.

— Lucas…

— Ne dis rien ! C’était une marque d’amitié. Tu le vaux bien ! Tu vas y arriver. Appelle-moi souvent ! Va ! Je suis avec toi.

Les yeux de Dylan étaient moins tristes. Il parvint à sourire à Lucas.

Lucas repartit vers chez lui. Il ne comprenait pas bien son impulsion. Dylan était dans le groupe depuis… Il ne savait pas dire. Il suivait, ne dérangeant pas, sans jamais parler, ne faisant que répondre. Lucas l’avait vraiment regardé pour la première fois aujourd’hui. C’est vrai qu’il méritait beaucoup mieux. Une soudaine affection l’avait gagné. Il avait deviné instantanément leur proximité de tendance.

Jusqu’à présent, Lucas avait régné sur cette bande en souverain adulé et indifférent. Ce soir, il s’était comporté en grand frère, en conducteur responsable. Il n’avait pas cherché ce rôle. Il l’avait assuré sans y penser, par humanité et empathie. Il n’en tirait aucune fierté. En revanche, il se sentait heureux, car Dylan était devenu un ami, un vrai. C’est de profondeur dont il avait besoin. Corentin, Guillaume, Samuel, Dylan maintenant. Auparavant, il profitait des relations, les survolant avec négligence. Il préférait ces relations où on parlait de l’âme, des sentiments, du vécu, des blessures.

Il était heureux de ce changement. La remarque de Guillaume lui sauta au visage. Si sa bande savait, tout Dumont-d'Urville savait : c’était le lycée des beaux quartiers. Il se trouverait forcément une bonne âme pour informer monsieur B. que son petit-fils, son seul petit-fils, était pédé comme un phoque. Une sueur froide lui coula dans le dos. Il devait en parler avec son père. Il pressa le pas, puis il ralentit. « Merde ! Ce n’était pas son problème, c’était celui de son grand-père, uniquement, avec ces conneries de nom, de transmission ! » Il allait avertir son père, mais il n’avait pas à gérer les préjugés des autres. Juste s’en protéger.

Il voulut quand même trouver un moment avec sa sœur aînée, celle qui l’impressionnait le plus. Elle se défit de ses marmots pour aller marcher sous une pluie froide. Elle lui posa la question d’emblée. Son inaptitude au mensonge le fit répondre. Elle était inquiète pour leurs parents. Il la rassura. Ils parlèrent longuement, non pas de lui, mais de son insertion dans cette communauté familiale et provinciale. Que c’était compliqué ! Il repensa à Balzac, dont il avait dévoré les livres. Ce monde existait donc toujours. Il découvrit sa sœur aînée, beaucoup plus tolérante que ce qu’il pensait. Elle l’embrassa avec une infinie tendresse. Il ne l’a connaissait pas, petit frère choyé pour lequel tout tombait du ciel.

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