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Corentin n’arrivait pas à se concentrer. Il devait rédiger sa présentation de mémoire avec son plan de travail pour l’année. Il avait tout en tête, forcément, il y avait tant pensé. Il avait installé son petit coin de travail. D’habitude, cela sortait tout seul. Ce qui le mettait en l’air, c’étaient les trois pas que Lucas avait faits pour venir l’embrasser avant de repartir en courant. Se pouvait-il qu’il soit amoureux ?

Pourtant, Corentin avait complètement merdé la veille. Il était tellement visible qu’il était tout jeune et puceau. Il lui avait sauté dessus. Quelle belle pipe ! Normal qu’il n’ait pas résisté. Mais, c’était presque un viol. Il ne lui avait pas demandé son avis. Lucas avait eu l’air d’apprécier, mais c’était sa première fois. Il était trop pur, trop innocent. C’était trop facile de lui faire tourner la tête. Il devait être respecté, même si sa beauté outrancière invitait au pire. Ils en avaient parlé, mais cela n’avait pas amoindri sa culpabilité.

Corentin restait songeur. Dans sa courte vie, il avait déjà croisé beaucoup d’hommes, des gentils et des odieux. Il avait apprécié certains, mais Lucas avait un petit plus. Pourtant, il n’était pas sûr qu’il soit gay. Ce garçon était une interrogation merveilleuse.

Il lui avait menti sur plusieurs points, mais cela était un peu inévitable. Il avait pris ce minuscule studio, car il était accessible à pied du club, que le quartier était vivant et, surtout, son prix lui permettait d’envoyer de l’argent à sa mère. Trois ans qu’il s’offrait ainsi, sachant que d’une certaine façon, il se prostituait, même si cela ne se terminait jamais par une pénétration.

Il avait cherché d’autres solutions, mais le rapport revenu sur temps passé était sans équivalent. Il n’y prenait plus aucun plaisir, se sentait sali chaque soir, en rajoutant pour essayer de se dégouter. Il était obligé de continuer, car sa mère, maintenant handicapée, n’avait plus que lui.

Il jouait le rôle du petit garçon androgyne et fripon sans se forcer. Encore il y a quelques mois, quand il était allé au laboratoire pour un test, la secrétaire lui avait expliqué que, mineur, il devait avoir une autorisation de ses parents. Il avait sorti sa carte. Elle ne s’était pas excusée pour autant et avait continué de le tutoyer comme un gamin. Ses vingt-deux ans ne comptaient pas par rapport à son mètre soixante-cinq et son allure d’adolescent. C’est comme s’il s’était arrêté de grandir avec le départ de Thomas.

Sa mère l’avait soutenu, sans jamais faillir. Il se souvenait de son enfance sans père, des brimades de toujours à cause de son allure. Ses traits délicats, sa finesse de corps entrainaient des moqueries. On le traitait de fille. Ce n’est pas d’être comparé à une fille qui le gênait, bien au contraire, car il se sentait plus proche de leurs préoccupations que de celles des petits apprentis machos. La méchanceté mise dans ces paroles qui le rejetaient de tout groupe était blessante. Il avait été battu, ridiculisé, pauvre gamin sans défense. Il avait arrêté de se plaindre auprès de sa mère quand il avait compris que ses démarches protectrices tournaient souvent en humiliation pour tous les deux : une mère célibataire avec un enfant raté ! Pourtant, sa beauté venait d’elle. Il lui ressemblait et il en était fier. Le reste, les autres n’existaient pas, n’existaient plus puisqu’ils ne lui apportaient rien. Il avait eu quelques copains, des minables comme lui. Il s’était donc forgé un monde intérieur, riche et généreux, plus séduisant que ses pairs. Le refuge intellectuel de la curiosité l’avait également aidé. Un immense trou s’était cependant creusé, son besoin de reconnaissance, d’affection, d’amour.

Il avait oscillé sans cesse entre un refus de son corps, si éloigné de la norme, et son acceptation. Sa mère retournait tous ses défauts en qualité et en beauté. Parfois, elle lui disait :

— Je t’ai raté pour une chose. J’aurais dû te faire en fille ! Mais tu fais un trop joli garçon pour que je le regrette.

Il s’était imaginé un père hyper viril, espérant que la puberté le rapprocherait de cet idéal. Il fut déçu, obligeant sa mère à multiplier les compliments.

Ce fut sa rencontre avec Thomas qui déclencha sa seconde vie. Ils venaient d’entrer en seconde, tous les deux coupés des groupes en formation. Un peu par hasard, ils avaient parlé. Une amitié d’isolés était apparue. Thomas était gay. Il avait dû trouver un lycée éloigné de ses tourmenteurs. Corentin n’avait jamais pensé à cet aspect de la vie. Leur amitié se renforça, Thomas lui fit part de ses gouts avec une confiance immédiate et désarmante. Corentin sentit immédiatement qu’il appartenait à ce groupe. Son initiation fut douce, révélatrice d’une nature ignorée. Le plus merveilleux était l’affection que lui portait Thomas. On pouvait donc l’aimer ! On pouvait donc s’aimer !

Thomas avait une telle dévotion pour son corps qu’il l’accepta petit à petit, remerciant la nature de lui avoir ainsi permis de trouver l’amour de ce garçon. Depuis, il cultivait son physique si particulier.

Sa mère était en admiration devant son épanouissement, couvant les deux tourtereaux de mots doux et accueillants. Ils vivaient discrètement leur idylle. Le bruit courut de cette relation. Quelques allusions agressives plongèrent Thomas dans une dépression terrible.

Il fut hospitalisé. Ses parents, mal à l’aise avec l’homosexualité de leur fils unique, en profitèrent pour éloigner cet ami qui lui avait laissé supposer une vie heureuse dans cette déviance. Ils lui refusèrent tout contact et toute information. Corentin fit le siège de leur maison, obligeant les gendarmes à venir le déloger. Cette séparation brutale sans adieu fut un déchirement terrible et incompréhensible.

Corentin resta plus d’un an prostré, rejeté par ses camarades de classe. Il changea à son tour de lycée. Pour éviter tout problème, il se mit à consulter des sites de rencontre. Son jeune âge lui valut de nombreuses propositions, avant qu’il se rende compte qu’il n’attirait que des prédateurs. Il eut cependant quelques aventures heureuses, dont une qui dura quelques mois. Étudiant, avec plus de liberté, il put rencontrer d’autres hommes.

Il établit une relation suivie avec un quarantenaire, confondant désir et protection paternelle. Il savourait l’admiration infinie de Jean pour son corps androgyne. Le soir où deux de ses amis se joignirent à son zélateur, Corentin crut qu’il allait mourir. Malgré ses cris et ses pleurs, ils avaient voulu l’attacher, « pour jouer ». Ils ne lui avaient pas fait de mal, mais cela avait déclenché une panique terrible en lui, par sa perte de contrôle. Il avait réussi à s’enfuir, en sous-vêtements, au petit matin. Son corps et son esprit étaient ruinés. Sa mère fut encore d’un grand secours. Il devint d’une méfiance extrême, ne s’abandonnant plus jamais, rendant impossible toute approche affective.

Le début de la maladie de sa mère fragilisa sa situation. Quand un de ses amants d’un jour lui proposa de le payer, il accepta. Il glissa vers des rencontres tarifées, lui procurant des ressources suffisantes. Plusieurs aventures malencontreuses l’obligèrent à arrêter. C’est alors qu’il fut embauché au club.

Plusieurs fois sollicité, il refusa toujours de suivre des clients. Ses « récompenses » lui permettaient de survivre en continuant d’aider sa mère.

Il trouva un équilibre et une camaraderie. Il limita ses aventures aux autres serveurs. L’équipe tournait autour de plusieurs profils. Il y avait deux « filles », dont il faisait partie avec Alex, jouant sur l’androgynie. Les sujets de choix étaient les deux twinks, deux minets attrayants. Valentin venait compléter Kevin, après la disparition brutale de Ludovic. Ensuite, on trouvait deux adeptes de la musculation, Benjamin et Dimitri, deux baraques, souvent en costumes de super héros. Pour compléter la panoplie, un noir, Blanchette, et un jaune, Li, pour apporter une note d’exotisme. Leur caractéristique commune était leur jeunesse, tous étudiant, et leur beauté. Ils partageaient forcément une ouverture d’esprit leur permettant d’offrir la vue de leurs charmes au client, leur laissant la possibilité de rêver avec leurs mains.

Corentin était plus sensible aux petits minets, lui rappelant Thomas, mais il ne rechignait pas à une nuit de plaisir avec les autres. La forte sollicitation sensorielle des soirées et l’assouvissement amical lui suffisaient.

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