Andréa - XVII

8 minutes de lecture

10h04

Il fait déjà jour depuis longtemps lorsque j’ouvre les yeux, réveillée par la lumière du soleil. Je me sens un peu poisseuse. Une douche me fera du bien mais je vais devoir me montrer patiente car ce n’est pas pour tout de suite. En grande sœur conciliante, je vais laisser Iris et ses colocataires d’une nuit dormir encore un peu.

Je tourne la tête et découvre Solal, encore endormi. Sa respiration est régulière. Il a l’air si paisible. L’idée de le réveiller pour me venger de la veille me traverse l’esprit. Mais je n’en fais rien parce que je me sens chanceuse. Je reste le regarder avec son air attendrissant. Je suis contente de m’être réconciliée avec lui. J’en avais besoin mais je ne suis pas dupe. Il va falloir discuter et jouer carte sur table. Je vais devoir arrêter de fuir. Ce n’est bon ni pour moi, ni pour notre couple. En théorie, je le sais que la communication est un facteur clé de succès d’un couple, mais la pratique est plus compliquée, surtout quand la fierté s’en mêle.

Je remarque alors la rareté des occasions où je peux voir Solal dormir. Il est toujours le premier debout, toujours le premier à remuer pour me séparer de ma couette adorée. Je profite alors de cet instant pour photographier dans mon esprit chaque centimètre de son visage, chaque grain de sa peau bronzée. J’ai envie de caresser du bout du pouce la fossette au menton de mon amoureux. Cependant, mon geste pourrait le tirer des bras de Morphée alors je me retiens. Je continue mon observation vers sa cage thoracique qui se soulève puis s’affaisse dans un rythme lent.

Hier m’a appris une chose importante : malgré ma volonté, je ne suis pas parfaite et je ne peux pas tout contrôler. En réalité, cela fait deux choses cependant je les trouve intimement liées. Alors dans la chaleur croissante de la tente, je me promets silencieusement de faire des efforts pour lâcher prise. Un peu.

Comme si mon petit ami avait entendu mes pensées, je le vois ouvrir un œil, puis le second. Il m’adresse alors un petit sourire avant de prendre dans ses bras, comme tous les réveils que nous partageons. Et même si j’ai chaud sous cette toile, je me love contre lui sans rechigner. N’ayant pas d’horloge ou de montre ni même mon téléphone, je ne sais pas quelle heure il est, ni combien de temps nous restons ainsi.

Finalement comme à son habitude, Solal est rapide à émerger et il me propose d’aller voir siles autres sont levés. Curieuse de voir dans quel état sont certains invités, j’accepte sa proposition. De plus, nos deux estomacs se mettent à gargouiller en même temps. J’enfile rapidement mes chaussures avant de sortir de la tente. Je constate alors que nos voisins, les jumeaux brésiliens ne sont plus là.

Impatiente de débriefer de la veille et surtout de la nuit, j’allonge mes pas pour rejoindre plus rapidement le barnum, installé sur la terrasse. Mon père, lui aussi matinal, a déposé pain, confitures, , fruits, brioches, croissants et autres viennoiseries sur les tables recouvertes d’une nouvelle nappe en papier blanc. Quelques vestiges de la décoration de la veille subsistent encore. Je m’en réjouis car cela fera de jolis souvenirs pour Iris. Je découvre avec surprise que cette dernière et sa joyeuse bande d’acolytes sont déjà tous à table avec les jumeaux. Madga, Elodie et Maman sont également présentes, toutes les trois la tête dans leur tasse de café. C’est assez drôle à voir. Les cheveux dressés sur la tête dans tous les sens, Mamie fait ensuite son entrée en robe de chambre. Tout le monde se passe les jus de fruits ou le lait pour les céréales dans un silence presque religieux. Notre arrivée avec Solal les anime un peu.

— Bien dormi les amoureux ? demande ma cousine avec une intonation malicieuse dans la voix.

J’hoche la tête et entame la tournée des bisous tandis que Solal se contente de saluer tout le monde de la main par fainéantise.

— Alors Andy ? Tu vas pouvoir te détendre aujourd’hui, plaisante Eliott.

Le petit rigolo de service semble en forme dès le matin.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, réponds-je en haussant innocemment les épaules.

Mon perfectionnisme n’est un secret pour personne désormais. Une fois la bise faite à tout le monde, je me rends dans l’entrée récupérer mon smartphone. Maintenant que l’anniversaire est passé, je vais pouvoir retourner à mes mauvaises habitudes. Autrement dit, avoir mon téléphone vissé dans la main. Ne l’ayant presque pas consulté de la journée d’hier, je décide de voir si j’ai manqué à certains de mes amis. Bien entendu, la réponse est négative. Les seules notifications un tant soit peu intéressantes sont toutes les stories Instagram de la veille sur lesquelles Emma a eu la gentillesse de m’identifier.

— Je ne te savais pas si tyrannique… continue le meilleur ami de ma sœur lorsque je reviens.

— Organisée, le corrigé-je en tirant une chaise vers moi.

Je m’assois à côté de Solal mais en face d’Iris.

— En vrai, je te verrai bien dans quelque chose en lien avec le management. Tu sais, donner des ordres. Tout ça, tout ça.

Je ne saurais dire si Eliott est sincère ou s’il essaye juste de me piquer de bons matins pour le plaisir.

— J’ai le frère d’un pote qui…

Mais je ne l’écoute déjà plus car comme tous les matins depuis quelques temps, je me connecte sur ma seconde boite de réception Gmail, celle que j’ai créé pour tout ce qui a attrait à l’écriture. J’avais trop peur que les réponses des maisons d’édition se perdent dans les newletters que je ne lis plus ou les promotions qui ne m’intéressent jamais. Et puis comme tous les matins depuis quelques temps, mes yeux vont se poser sur le dernier message lu : un énième refus. Du moins, c’est ce que je crois. En réalité, ils se posent sur une ligne en gras m’indiquant un nouveau mail provenant des Editions …, envoyé hier, en fin de matinée . La dernière entreprise ne m’ayant pas encore répondu. L’objet du message : « Retour sur votre manuscrit » ne me permet pas de savoir de quoi il retourne.

Mon cœur se met alors à battre à la chamade. Je sens les traits de mon visage tomber. J’ai dû pâlir légèrement. Je ne devrais pas m’emporter comme cela. Je me suis emballée pour chaque mail reçu et à chaque fois, il s’agissait d’un refus. Je ne pouvais m’empêcher d’être déçue, bien que je sache que mes chances de succès sont minces.

— Andréa ça va ? s’inquiète ma sœur.

Pour tout réponse, j’ouvre le mail. Tous mes sens sont en éveil pourtant je ne parviens pas à déchiffrer le contenu du texte que je suis en train de lire. Je dois me faire pression pour me concentrer sur les premières lignes. Je parviens à les déchiffrer au bout de la troisième fois.

« Votre manuscrit nous est bien parvenu et vous remercions pour l’intérêt que vous portez à notre maison d’édition… »

Les courriers négatifs commencent tous de la même manière. De cette manière, plus exactement. Des larmes perlent à mes yeux. Mon dernier espoir vient de s’envoler et mon rêve d’enfant avec. Ce message ne fait que confirmer une fois de plus ce que je pensais au plus profond de moi. Je n’ai aucun talent.

— Andréa, est-ce que ça va ? me répète Iris en se penchant par-dessus la table pour entrevoir mon écran de portable.

« Votre manuscrit a été examiné avec soin par notre comité de lecture… »

Bien sûr, comme tous les autres. Je ne peux qu’espérer recevoir des indications plus précises sur les différents points à améliorer. J’aimerai que ces échecs cuisants me servent à quelque chose. Je dois avoir des élans masochistes car je continue la lecture.

— Putain, c’est pas vrai ! m’écrié-je au bout de quelques secondes.

Des larmes dévalent alors mes joues puis d’autres et encore d’autres. Je sens que cela va être compliqué de m’arrêter. Je me mets à hoqueter afin de reprendre mon souffle.

— Putain, c’est pas vrai ! répété-je suffisamment fort pour que toute la tablée se tourne vers moi.

Mise à part quelques « merdes » par-ci par-là, je suis rarement vulgaire. Iris le sait pertinemment et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle se montre si impatiente.

— Mais qu’est-ce qui se passe à la fin?

D’un geste vif, elle saisit mon téléphone sans que je ne lui oppose aucune résistance. À travers mes larmes, je vois ses yeux parcoururent rapidement l’écran. Elle plaque sa main devant sa bouche.

— Putain, c’est pas vrai ! m’imite-t-elle.

Ma doue, pourquoi vous faites tant de reuz ce matin ? grogne Mammig, encore à moitié endormie, en nous rejoignant.

— Quelqu’un est mort ? s’inquiète alors notre mère.

— Pourquoi elle pleure Andréa ? demande Maria, anxieuse d’avoir raté quelque chose.

Iris me redonne mon téléphone et je le tends à Solal, lui aussi sur le qui-vive. Dès mes premières larmes, ses bras sont venus m’envelopper.

— Mais nooooooon ! s’écrie-t-il surpris.

Je secoue la tête de bas en haut dans un rythme effréné. Mon petit ami se lève alors et commence à lire à voix haute.

« Votre manuscrit nous est bien parvenu et vous remercions pour…

Il prend une voix plus grave que d’habitude, face à l’importance du moment. J’ai finalement arrêté de pleurer et j’essaye de ne pas renifler trop bruyamment.

— « … Et nous avons le plaisir de vous annoncer qu’il a retenu notre attention et que nous aimerions échanger avec vous en vue d’une publication dans les prochains mois. »

Un silence suit cette déclaration pour le moins inattendue.

— Ma fille va devenir écrivaine… Ma fille va devenir écrivaine… réalise alors ma mère en se levant de sa chaise pour venir m’enlacer.

Après les sanglots, j’éclate alors de rire face au bonheur que je ressens à cet instant. Je suis consciente qu’il ne s’agit que d’une première étape, qu’il me reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant de voir mon livre sur les étals d’une librairie ou pour me considérer pleinement comme une autrice. Mais je suis tellement heureuse à cet instant que je n’entends plus ma petite voix intérieure, celle de la peur de l’échec et du syndrome de l’imposteur. Tous ces doutes m’ont finalement mené à cet instant. Il y a quelques heures, j’étais encore complètement perdue. Oui, perdue, mais sur le bon chemin

— Je suis fier de toi, ma chérie, me souffle mon amoureux dans le creux de l’oreille avant de m’embrasser sur la tempe.

Iris fait de même après avoir contourner la table.

— Et pour fêter ça, câlin collectif ! s’écrie alors Eliott tandis que je sens un poids supplémentaire.

— J’aurai préféré : apéro ! plaisante qu’à moitié ma cousine.

Nous restons quelques secondes ainsi avant qu’une voix grave de lendemain de soirée retentisse.

— Bonjour tout le monde, salue Nino.

— Il est vivant ! s’écrie son ami, ravi.

— Et pour fêter ça : câlin collectif ! s’exclame à son tour Iris.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Mlle_Evangeline ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0