Iris - XVIII

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10h36

— Non mais arrête tes conneries !

— Mais si je te jure ! promet Eliott. Comment tu expliquerais ta bosse sinon ?

Après l’annonce de ma sœur, l’ambiance du petit-déjeuner est au beau fixe. Nino vient de nous rejoindre. Ses souvenirs de la fin de la journée d’hier lui jouent des tours. Il n’arrête pas de se frotter le front. Sa peau est légèrement bleutée à cet endroit. Mon meilleur ami est en train d’essayer de lui faire croire à une danse nuptiale qui aurait mal tourné avec notre bouc, dans la prairie. Bien entendu, Nino n’y croit absolument pas.

— Mais enfin Nino ! Comment tu expliques que tu ne portes plus ton tee-shirt ? Tu as commencé un strip-tease sous le barnum et puis voyant que tu n’avais pas le succès espéré avec Mammig, tu as décidé d’aller séduire le bouc.

L’intéressé tourne la tête en direction de ma grand-mère bretonne. Bien qu’elle ne soit pas au courant de la blague, elle décide de jouer le jeu.

— C’est plus de mon âge toutes ses bêtises ! dit-elle en s’en allant son bol de café vide à la main.

— Pauvre Moutig, plains Andréa en plongeant son nez dans sa tasse. Il n’a jamais vu ça de sa vie, lui. Il ne s’y attendait pas. Tu l’as traumatisé.

— Mais c’est qui Moutig ? demande Nino de plus en plus déstabilisé par la tournure des événements.

— Le bouc ! Faut suivre un peu ! râle Eliott avant de s’approcher du front de son ami. Le coup a dû être plus fort qu’on le pensait.

Nino repousse le blagueur, ce qui provoque l’hilarité du petit rigolo. Tout le monde est réveillé. Certains ont décidé de prendre leur petit déjeuner dans la cuisine à l’abri des joyeux lurons de notre groupe. Je peux comprendre que celles et ceux recherchant le calme ne s’assoient pas avec nous. Pendant ce temps, Andréa fait le tour de tous les invités, restant et leur met le mail tant-aimé sous les yeux. La fierté brille dans ces yeux. Encore plus lorsque Tata Izabel et Tonton Yvan nous rejoignent après avoir quitté leur chambre d’hôte. À peine a-t-elle fini de leur claquer la bise, qu’elle éblouit les yeux de notre oncle avec son écran de téléphone. Ce dernier la félicite rapidement et prend un air faussement admiratif avant de demander après nos parents. Mais ma sœur s’en contrefiche. Elle a l’impression de prendre sa revanche sur les gens ou les événements l’ayant fait douter d’elle-même. Je suis heureuse pour elle. Elle se rapproche d’encore plus près de son rêve d’enfant. Je suis contente d’y assister. Et d’y avoir un peu contribuer en lui bottant les fesses dès qu’elle voulait abandonner son projet : c’est-à-dire tous les deux jours.

— Les amis, je suis sur la route du départ, lance alors Rudy en se levant de sa chaise.

— Déjà ?

La question m’a échappé. Et mon ton a sonné plus déçu que je ne l’aurai voulu. Je sens le feu me monter aux joues. Tous les yeux se tournent vers moi. Rudy esquisse un léger sourire satisfait.

— T’inquiète pas ma cousine, nous on est toujours là ! Même si ça t’emballe moins ! se moque alors Elodie.

— Mais non, ce n’est pas ça. Mais sache que tu peux rester manger ce midi si tu veux. Il y a assez de restes pour tenir un siège, me défends-je un peu trop pressément.

Je vois Andréa m’articuler silencieusement un « tu es grillée ». Parfait. Merci Andréa. Elle sait ce qu’il faut me dire pour me remonter le moral.

— Je vais remercier tes parents. Tu me raccompagnes jusqu’à ma voiture ensuite ?

J’opine de la tête avant de la baisser vers mon assiette vide. Quand Rudy pénètre dans la maison, des petits commentaires chuchotés fusent parmi les personnes encore présentes à table. Je leur réponds en tirant la langue. Très mature, je dois le reconnaitre. Mais sur le moment, c’est la seule répartie qui me vient.

Andréa commence à susurrer à l’oreille de Solal. Ils rient en chœur avant qu’il ne lui réponde. Un frisson parcourt ma sœur avant qu’elle se mette à glousser. Je suis contente de voir que ces deux-là se sont rabibochés. Il ne pouvait pas en être autrement, de toute façon. Mais ce qu’ils peuvent être niais quand ils s’y mettent. C’est beaucoup trop dégoulinant d’amour. Heureusement Rudy vient me libérer.

—On ne dit pas au revoir à Mammig ? s’indigne-t-elle en nous rejoignant.

— Au revoir Madame Le Guen, corrige alors Rudy en se penchant pour embrasser ma grand-mère paternelle.

— Oh non, mon mignon. Pas de « Madame Le Guen » avec moi. Appelle-moi, Mammig, ordonne doucement la doyenne de la famille en appuyant fortement son baiser sur la joue du jeune homme.

Un peu gêné, Rudy ne sait pas trop quoi répondre. Il ne veut pas se montrer trop familier. En même temps, il ne veut pas vexer son interlocutrice. Il balbutie un petit « oui ».

— Tu me plais bien, avoue Mammig. Je sens qu’on va être amené à se revoir.

Elle ajoute ces derniers mots avec un clin d’œil et un léger coup de coude. Je décide de voler alors au secours de mon invité surprise. À moins que ce soit à mon propre secours que je vole. À croire que toute ma famille se soit concertée pour me mettre la honte. J’attrape le jeune homme.

— Bien sûr, Mammig. Allez Rudy est parti, il est attendu quelque part.

Je fais avancer le jeune homme sur quelques mètres avant de le lâcher. Je me retourne et constate qu’Eliott et Andréa nous espionnent. Tous deux lèvent un pouce en l’air. D’un signe de main, je leur intime de cesser. Ils rient avant de disparaitre.

— J’ai vraiment passé une très bonne journée.

Je ne suis pas vraiment surprise par ce compliment. Rudy est un jeune homme très poli. Impossible de savoir s’il le pense vraiment ou s’il le fait par courtoisie.

— Merci de m’avoir invité.

— Techniquement, c’est ma mère qui t’a invité, pensé-je tout haut.

Un silence gêné s’installe alors à cause de ma maladresse. Je tente de me rattraper aux branches.

— Ça m’a fait plaisir de te voir depuis le temps, ajouté-je.

Rudy sourit. J’imagine que c’est réciproque. Du moins, je me plais à le croire. Nous avons descendu toute l’allée bitumée, maintenant nous tournons à droite pour rejoindre le véhicule du jeune homme. Il l’a garé sur le petit parking du cimetière. Ce dernier se situe encore à une centaine de mètres. La suite de la marche se fait sans un bruit. Rudy sort alors ses clés de voiture de sa poche. Il presse le bouton de déverrouillage.

— Merci d’être venu en tout cas, fais-je pour lui dire au revoir.

— Attends, j’ai quelque chose pour toi.

Bien qu’étonnée et curieuse, j’essaie de ne rien laisser transparaitre. Quelque chose ? Pour moi ? Rudy s’installe côté conducteur puis se penche pour ouvrir la boîte à gants. Il en sort un petit pochon rouge.

— Je sais que tu es gênée par les cadeaux mais le jour de ton anniversaire, je ne pouvais pas ne pas t’en offrir, me dit-il en me tendant le présent. Tu n’es pas obligé de le déballer devant moi. Tu peux le faire quand tu seras chez toi. Tranquillement.

Il se rappelle ces petits détails sur moi ? Cela me touche plus que le paquet en lui-même.

— Non, non je tiens à l’ouvrir.

Je défais lentement le ruban rouge de la pochette de la même couleur. Pas besoin d’être devin pour se douter de ce qu’il y a à l’intérieur. Mon embarras s’accroit mais ne prend pas le pas sur ma curiosité. Sans surprise, je découvre une petite boite carmin. Je la prends dans le creux de la main. Avant de l’ouvrir, je glisse un regard vers Rudy. Ce que je perçois fait disparaitre la dernière pointe de gêne que je pouvais ressentir. Un mélange d’impatience et de plaisir d’offrir. Peut-être même un peu de tendresse ? J’ouvre le petit écrin en carton. Je me mors la lèvre inférieure.

Un petit bracelet trône sur un coussin en satin. J’y déniche délicatement une médaille dorée avec un lion tenu par un élastique rouge.

— Un lion pour ton signe astrologique, précise Rudy.

D’un rapide coup de poignet, j’enfile le bracelet. Je l’adore. Je suis profondément touchée.

— Il est tellement beau, soufflé-je. Merci beaucoup.

— Je suis content qu’il te plaise.

Je lève les yeux et constate que Rudy s’est rapproché de moi. Il arbore un sourire rayonnant. Je le trouve encore plus séduisant que la veille, malgré ses cheveux en bataille et ses yeux fatigués. Nous restons ainsi quelques instants à nous regarder dans le blanc des yeux. Comme deux parfaits idiots. J’ai l’impression que le temps s’arrête pendant cet instant. Mais il me ramène vite les pieds sur Terre.

— Une dernière chose.

Il s’engouffre une nouvelle fois dans son véhicule, saisit un petit carnet et se met à gribouiller. Il arrache la page puis me la tend. Ce sourire radieux est toujours scotché à ses lèvres.

— Appelle-moi si tu as envie de boire un verre un de ces quatre.

Je reste interdite face à sa proposition. Je ne sais pas quel message je dois y déceler. Est-ce pour un rencard ? Ou juste un moment entre amis ? Me voilà alors assaillie par tout un tas de pensées. Je refais le scénario de la journée d’hier. Je tente de déchiffrer son comportement à mon encontre. Je n’ai pas envie de connaître un de ces quiproquos extrêmement perturbants que connaissent les personnages de comédies romantiques.

— Ça marche ! J’y penserai.

Quelques secondes passent avant que Rudy ne se racle la gorge. Le silence doit lui aussi le mettre mal à l’aise.

— Cette fois, je suis parti.

Je ne sais pas s’il prononce cette phrase pour moi ou pour lui, histoire de se convaincre. Je lève le visage et tends la joue comme d’habitude. Le jeune homme fait un pas en avant puis pose sa main gauche sur ma joue. Ses doigts touchent mon oreille. Il se penche en avant et vient embrasser mes cheveux. Ce geste très chaste est d’une infinie douceur. Son odeur m’enveloppe. Il ne s’agit pas seulement de son parfum mais de son odeur à lui. Les phéromones doivent entrer en scène car elle me plait.

Lorsqu’il se dégage de moi, je remarque ses joues légèrement rosies. Il monte dans sa voiture et claque la portière. Je m’écarte. Il m’adresse un petit signe de la main avant de démarrer. Je reste là, à attendre qu’il s’en aille.

À peine est-il sorti de mon champ de vision, je me mets à courir pour regagner la maison. Je sers dans mon poing le précieux morceau de papier. Mes jambes me portent plus facilement et plus rapidement que je ne l’aurai cru. Je crois que mon professeur de sport aurait été impressionné par ma performance du jour. Une fois arrivée sous le barnum, je passe comme un éclair et évite de justesse les convives toujours présents.

— Alors Iri… ?

Je n’entends pas la suite de la question de ma sœur car je pénètre dans la maison. Je la traverse puis monte l’escalier quatre à quatre. Je pénètre dans ma chambre à toute allure. Le bras tendu vers ma table de nuit, je me jette sur mon lit. J’attrape dans la foulée mon téléphone. A bout de souffle, j’enregistre le numéro de portable de Rudy puis compose dans la foulée un sms.

J’ai très envie de boire un verre.

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