Iris - XV

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01h32

Je sirote le deuxième verre de jus de fruits que m’apporte Eliott. Il ne me l’a pas dit mais je sens bien qu’il y a ajouté un ingrédient secret. Mon meilleur ami essaie de me soûler. Ça ne me dérange pas. Je peux enfin profiter de ma journée sans avoir le poids du regard des adultes. Les rabats-joies sont déjà au lit.

J’ai besoin d’un remontant après la journée que je viens de passer. J’avale une grande gorgée et grimace. Je ne suis pas habituée au goût du rhum. Une drôle de brûlure envahit mon œsophage et mon estomac. Eliott se moque gentiment de moi. Au bout de quelques secondes, mes jambes me donnent l’impression d’être en coton. J’ai peur qu’elles ne me soutiennent plus très longtemps. J’ai un peu honte de déjà ressentir les effets de l’alcool. Je vais essayer de les cacher. Comme ça, peut-être qu’Eliott pourra me servir un autre verre.

Un mouvement de tête en arrière et hop ! Je termine celui qui est en ma possession puis attrape les mains de mes deux amies. Nos chevelures s’entremêlent au rythme des dernières musiques du moment. Mes hanches ondulent dans des mouvements se voulant suaves. Je suis persuadée qu’ils le sont. Je me sens forte, invincible et incroyablement sexy. Alors je continue. Au bout de quelques instants, j’ai l’impression d’être observée. Mon regard croise celui de Rudy. Mais il se dérobe. Dommage.

Notre danse était chouette tout à l’heure. Je devrais lui dire. Ou peut-être que je ne devrais pas. J’ai envie de le faire pourtant. Mais j’ai tout gâché. Dommage. C’est fou ce qu’il est mignon. Même dans la pénombre. Je ne suis pas assez éméchée pour lui dire ce que je pense vraiment.

Je danse encore plusieurs musiques. J’enchaine les mêmes pas de danse depuis toute à l’heure. J’essaye de contrôler mon léger tournis. Sans grand succès. Je me sens fébrile sur mes appuis. Eliott est derrière l’ordinateur d’Andréa. Il agite son verre dans tous les sens. Je vois alors du liquide s’échapper de son contenant pour venir se renverser sur le clavier. J’arrête tout de suite de danser et me rue sur lui.

— Pas de verre près de l’ordinateur ! hurlé-je pour couvrir le son des basses.

Mon meilleur ami lève un sourcil tandis qu’il boit goulument. Une fois son verre terminé, il me montre que ce dernier est vide. Puis il hausse les épaules avant de partir chercher du ravitaillement.

S’il pense s’en sortir de la sorte, c’est très mal me connaître. Ma sœur risque de me trucider sur place si elle voit que son ordinateur a picolé avec nous. Déjà que les effets ne sont pas terribles sur nous, alors sur lui, ça va être encore moins joli. Je tente de me rassurer. La musique continue d’être diffusée par les enceintes. Catastrophe peut-être évitée.

Persuadée que c’est bonne idée, je me lance à la poursuite de mon meilleur ami. Mais les escaliers ont décidé de me faire une blague. Les marches ne sont plus à la même hauteur. Certaines sont hautes que d’autres. Je plisse mes yeux pour me concentrer. Heureusement, le mur est un véritable ami lui. Il faudra que j’en touche deux mots à Papa demain. Enfin aujourd’hui. Quelle heure il est déjà ?

Je retrouve Eliott dans notre arrière-cuisine. Il verse du jus de fruit dans un liquide transparent. De l’eau ? À en juger par la jolie bouteille en verre, ce n’en est pas.

— Il faut aller le dire à Andréa !

— De quoi ?

Le jeune homme ne détourne pas son regard. Il est concentré.

— Il faut que tu ailles dire à Andréa que tu as renversé de l’alcool sur son ordinateur. Sinon c’est sur moi qu’elle va hurler.

— Andréa ne hurle jamais. Tiens, goûte ! m’ordonne-t-il avant de me mettre son verre sous le nez.

Ma petite voix intérieure me dit que c’est une mauvaise idée. Mais elle est très très très lointaine. Je ne l’écoute pas et pose mes lèvres sur le rebord en plastique. La sensation de brûlure est pire que la première fois. Mon gosier est en feu. Je tire la langue, grimace et toussote.

— C’est dégeu ton truc !

— C’est pour les habitués. Tu ne peux pas comprendre, juge avec un ton hautain mon meilleur ami.

Vexée, je veux lui montrer que je suis apte à faire partie de ce groupe si sélecte des gens cools. Le feu envahit encore une fois toute ma gorge.

— Eh ! s’interpose Eliott. Doucement ! Laisse-moi en !

Il récupère son verre. Un renvoi s’échappe de ma bouche. Mon meilleur ami me regarde surpris. J’explose de rire. Eliott finit par m’imiter. Je ne sais pas combien de temps on reste à rire comme deux imbéciles.

— Maintenant… On va voir Andréa pour lui dire… Elle est où ma sœur ?

C’est bizarre. J’ai de plus en plus de mal à parler correctement. Les syllabes ont dû mal à sortir. Les lèvres et ma langue sont aussi lourdes que du granit. Impossible d’articuler dans ses conditions. Ma tête va plus vite que ma bouche et pourtant elle n’est pas vraiment en mode Ferrari. J’ai l’impression qu’elle est remplie de brouillard. Cette pensée me plait tout de suite. Mon esprit est rempli de nuages. C’est poétique. Je suis sûre que ma sœur aimerait bien aussi. Je vais lui dire. Elle trouvera peut-être comment glisser cette phrase dans son prochain roman. Ma sœur va devenir célèbre grâce à moi.

— Eliott ?

Il est parti. Quel lâche ! Puisque c’est ainsi, je vais aller le dire quand même et après je parlerai de poésie et de brume avec Andréa. Je quitte la maison pour m’avancer dans le jardin. La route me semble plus longue que d’habitude. Au fond du jardin, Fred a garé son van blanc. Il dormira dedans cette nuit. Là, il est en train de fumer à l’intérieur. L’odeur me parvient. Ça ne sent pas comme les cigarettes de Rafael ou de Yanis. Les pieds nus de mon cousin caressent la pelouse. Il a l’air assez serein. Peut-être qu’à lui aussi, je pourrai lui parler de poésie. Mon cœur se sert un peu. Est-ce que son frère aimait la poésie et fumait des cigarettes qui sentent bons ? Est-ce que Fred a des nuages dans la tête quand il pense à Pierre ?

Mes jambes sont gentilles, elles m’ont amenée jusque devant la tête de ma sœur.

— Andréa ? Tu es là ? demandé-je en m’accroupissant.

J’attends quelques secondes avant de voir qu’une lampe torche s’allume dans la petite maison. Un bruit de fermeture éclair puis la tête de ma sœur émerge de la tente. Elle a les cheveux tout emmêlés. Les épaules nues, elle tient un bout de sac de couchage contre son cœur. Je l’avais bien dit, ma sœur est une poète.

— Ça va ?

Andréa a l’air surprise par ma question. C’est vrai que c’est une drôle de question. Beaucoup de gens la posent sans vouloir vraiment en connaître la réponse. Beaucoup d’autres mentent en y répondant.

— Iris, est-ce que ça va ?

Elle est maligne ma sœur. Elle retourne la situation à son avantage.

— Oui… J’ai envie de faire pipi… Je crois.

Une seconde tête émerge de la tente. Solal. Il doit avoir froid le pauvre. Il est torse nu. Il va attraper un rhume.

— Bah alors qu’est-ce qui t’arrive ? demande ce dernier en riant. Tu profites bien de ton anniversaire ?

— Oui mais vous êtes pas là ! Et puis, Eliott il me donne des trucs pas bons à boire et il a renversé de l’alcool sur l’ordinateur d’Andréa. Et je me sens comme si j’avais…

— Tu es saoule ? m’interroge ma sœur.

— Nooon…

Je me redresse en secouant la tête de gauche à droite. Andréa marmonne un « attends, j’arrive » avant de s’engouffrer dans sa petite maison. Mes jambes sont fatiguées. Du coup je me suis assise dans la pelouse. J’ai l’impression d’être sur un bateau. C’est rigolo. Il manque que la mer.

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