Andréa - XIV

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00h43

Dans la cuisine, je regarde Iris par-dessus sa tasse fumante. Nous sommes seules car j’ai envoyé Eliott chercher un plaid pour couvrir ma sœur. Puis j’ai pris un malin plaisir à virer Emma, Clara et Solal de la pièce avant de préparer une tisane. Nino a suivi le mouvement sans un mot alors que Rudy semblait vouloir répliquer. J’ai vu dans les yeux du jeune homme qu’il était contrarié par mes directives. Il a toutefois compris que cela ne servirait à rien.

— Je n’aime pas la camomille, rouspète Iris en portant l’infusion à ses lèvres.

— Cela te fera du bien.

— Je ne veux pas aller me coucher, continue-t-elle mécontente, ça va m’endormir ton truc.

— Je peux y ajouter du rhum, si tu veux, propose le meilleur ami de ma sœur en déposant une petite couverture sur les épaules de la reine du jour.

Elle gesticule, apparemment agacée par le geste du jeune homme. Pas découragé pour autant, Eliott replace le plaid correctement.

— Je ne suis pas une mémé, non plus !

— Et alors ? Ce n’est pas si mal d’être une grand-mère ! Non mais oh !

Je retourne vivement la tête et découvre Mammig, en chemise de nuit, dans l’entrebâillement de la porte. En trainant des pieds avec ces claquettes, elle vient nous rejoindre. Je me lève et attrape une autre tasse dans le meuble derrière ma sœur pendant qu’Eliott s’éclipse discrètement pour rejoindre le reste du petit groupe.

— On fait trop de bruit ? m’inquiété-je alors. On t’a réveillé ?

La nouvelle venue bâille bruyamment avant de secouer la tête de gauche à droite.

— Tiens, fais-je en remplissant un mug de ma tisane à la camomille maison.

Mammig se penche au-dessus et renifle son contenu en plissant le nez. Ce qui amuse Iris, elle glisse un sucre et une cuillère dans le liquide encore chaud.

— T’inquiète pas, personne n’est encore mort des mixtures d’Andy.

— Je te rappelle que je t’entends, grondé-je un peu vexée qu’on remette en permanence mes remèdes naturels en cause.

Ma cadette rit avant d’être interrompue par notre grand-mère.

— Mais vous, qu’est-ce que vous faites ici ? Vous ne devriez pas être en train de faire la fête ?

Un silence lourd de sens s’installe. Je laisse à Iris le soin de le briser si elle le souhaite. Nous n’avons pas encore eu de discussion.

— Je crois qu’avec Yanis, c’est terminé. Il ne se passera rien.

Sa voix se brise à la fin de sa phrase. Mais ses deux premiers mots me frappent. « Je crois ». Elle n’est donc encore certaine de vouloir clore ce chapitre. Je fronce légèrement les sourcils. Mon instinct de grande sœur est contrarié en comprenant cela.

— C’est lequel Yanis ? demande alors Mammig en buvant une gorge d’infusion.

Avant que nous ayons le temps de répondre, Mamie fait également son entrée dans la cuisine. Les yeux mi-clos, elle tire une chaise et prend place avec nous, autour de la table.

— C’est le grand brun bronzé, informe notre grand-mère normande.

— Non, ça c’est celui d’Andréa ! réplique tout de suite Mammig.

— Non l’autre ! Celui qui est arrivé en retard ! Vous ne suivez pas, ma parole. Ce n’est pas compliqué pourtant.

La compétition entre mes deux grands-mères ne connait apparemment aucune trêve. Je propose une tisane à Mamie. Cette dernière accepte avec un grand sourire. Tandis que je prépare la boisson chaude, Mammig reporte son attention sur Iris.

— Ce n’est pas grave ma chérie. Il n’était pas fait pour toi, voilà tout.

Iris plonge alors son regard dans le contenu de sa tasse. Ses épaules s’affaissent et elle pousse un profond soupir.

— Je ne sais pas. Peut-être oui. J’ai essayé. J’ai fait ce que j’ai pu. Enfin je crois.

Un ange passe. On entend un bruit de basses étouffé, venant du sous-sol.

— Est-ce qu’il te rend heureuse ? demande Mamie très doucement.

— Je ne sais, j’imagine que oui, parfois.

— Parce que j’ai l’impression de t’avoir vu plus contrariée qu’autre chose en sa présence, ma puce, continue alors Mamie.

Je ne dis rien mais assiste attentivement à la scène.

— Je dois reconnaître que je partage votre avis, intervient Mammig, apparemment surprise.

— Il y a des choses qui méritent d’être réparées et d’autres qui sont trop abîmées et dont parfois il faut se séparer. Il y a des relations pour lesquelles il faut se battre et d’autres non. Ce n’est pas grave, ça arrive parfois, c’est la vie.

Ces paroles me font alors écho. Mon couple avec Solal mérite-t-il d’être réparé ou est-il trop abîmé ? Me rend-t-il heureuse ? Dois-je me « battre » ? Une possible séparation est-elle amorcée ?

— Tout à fait d’accord ! s’exclame ma grand-mère paternelle à l’autre bout de la table.

— Oui mais je pensais que c’était le « bon », celui avec qui je pourrai… construire quelque chose. Une histoire d’amour passionnelle à la sortie du lycée, comme dans les films. Vous voyez ?

Les deux octogénaires se mettent à rire à l’unisson.

— Tu es tellement jeune. Tu viens d’avoir dix-huit ans. Tu as le temps.

— Je me demande bien ce que tu peux regarder pour te mettre des idées pareilles en tête, renchérit Mammig.

Sans doute gênée d’avoir livré ses désirs secrets, les joues de ma sœur s’empourprent légèrement. Je pause ma main sur la sienne.

— Tu as le droit de vouloir tout cela. Mais peut-être devrais-tu vouloir être avec quelqu’un plutôt que de vouloir être en couple à tout prix. Le fait de rencontrer tôt la personne avec qui tu partageras ta vie ne te garantis en rien une histoire d’amour exceptionnelle, digne des meilleures comédies romantiques. Construis-toi d’abord, apprends à te connaître et si quelqu’un croise ta route, tant mieux. Sinon tu feras des rencontres plus tard. Dans ta vie, tu auras beau faire tout un tas de plans pour te rassurer, il y aura toujours des événements qui viendront les remettre en question.

Iris me fixe alors de ses grands yeux et je comprends que mes mots lui sont autant adressés qu’ils ne me le sont.

— Et c’est une maniaque du contrôle qui te le dit, conclus-je en plaisantant.

— En plus, tu ne l’as peut-être pas remarqué mais il y a plein de jolis garçons aujourd’hui, glisse Mammig en souriant malicieusement.

Iris sourit et hoche la tête. Elle semble revigorée par cette conversation. Je ne saurai probablement jamais ce qui s’est passé avec Yanis quelques instants plus tôt. Et cela m’importe peu de le savoir tant que ma sœur parvient à faire une croix sur cette histoire sans fin et à aller de l’avant.

Soudain émergeant de nulle part, Fred pénètre dans la pièce une bouteille d’un alcool ambré dans la main.

— Alors les cousines ! Vous étiez où ? On vous attend pour danser !

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