Iris - XII - b

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00h16

— Allez, viens avec nous !

J’attrape la main de Yanis et le tire vers moi. Ses fesses ne se soulèvent même pas d’un millimètre de sa chaise. C’est vexant. Fred est amusé par la situation.

— Allez venez tous les deux ! C’est le moment années 80 ! argumenté-je pour les convaincre.

Bien que nos parents aient grandi avec ces musiques, je les adore. Andréa aussi d’ailleurs. Dans toutes les soirées auxquelles nous nous rendons, il y a toujours un moment où l’une d’entre nous choisit la Macarena ou le Madison pour ensuite enchainer avec des chansons de la décennie 1980. Je me suis déjà fait traiter de « ringuarde » mais je m’en fiche éperdument. Je les connais toute et je ne passe une soirée que si je peux les chanter à tue-tête et danser comme une folle. Il faut bien le reconnaître le rap, qu’il soit américain ou français, c’est moins pratique pour enflammer la piste de danse.

— On arrive, me répond simplement mon cousin avant de déposer sa cigarette roulée au bout de ses lèvres.

Lorsqu’il recrache la fumée, je comprends vite, grâce à (ou cause de , tout dépend du point de vue) l’odeur, qu’il ne s’agit pas d’un mégot ordinaire. Il est plus… exotique.

— Promis, surenchérit Yanis avec un clin d’œil.

Je fais mine d’être extrêmement déçue en accentuant la moue boudeuse de mon visage. Je les avertis que la prochaine fois je viendrai les chercher par la peau des fesses s’il le faut. Ils rient de bon cœur. Je finis par m’éclipser, regagne l’arrière-cuisine puis descends l’escalier menant au sous-sol. Karma Cameleon du Culture Club résonne. Je vois alors Eliott sautiller dans tous les sens, suivi de près par Nino. Quant à Andréa, elle rit à gorge déployée. Elodie est derrière l’ordinateur de ma sœur. Elle choisit une autre chanson mettant fin à la danse du kangourou de mon meilleur ami. Les premières percussions de « Maldòn » se font entendre. J’arrive alors en tapant dans les mains, en rythme. À peine Magda m’aperçoit, elle m’attrape et se colle à moi. Elle place sa jambe droite entre mes cuisses et me fait tourner. Je me laisse faire, amusée par la situation. Quand elle finit par me lâcher, fatiguée par notre danse, Elodie prend le relai. Je commence à avoir le tournis. Heureusement pour moi, Eliott vient me délivrer en enchainant sur le célèbre tube de Claude François : Alexandrie Alexandra. Tout le monde présent dans la pièce se met à lancer ces bras en avant, puis les ramène vers leur cœur. S’en suivent ensuite des moulinets avec les mains. Il n’y a pas à dire, nous sommes le plus beau groupe de Claudettes que je n’ai jamais vu.

Très en forme par ses chansons bien plus vieilles que nous, nous sautons, dansons, rions sur des rythmes presque quarantenaires. Mais ça c’est vraiment nous ! Et puis la musique est bonne alors autant en profiter. Pendant que Corona nous chante le rythme de cette nuit, je remarque que Fred et Yanis ne sont toujours pas venu nous rejoindre. Légèrement agacée par ce constat, je fais signe à ma sœur que je compte remonter.

— Déjà ? hurle-t-elle dans mes oreilles pour couvrir le son de la musique, bien trop fort.

Je hausse la tête de bas en haut pour toute réponse. Je remonte l’escalier deux par deux. Une fois arrivée dans l’arrière-cuisine, j’entends encore le son des basses résonner dans mes tympans. Le volume est définitivement trop élevé en bas. Heureusement pour les membres de ma famille partis dormir, le son ne parvient jusqu’ici. Dans le doute, je repousse la porte puis sors du garage d’un pas silencieux. J’ai envie de m’amuser un peu et de surprendre mon cousin et Yanis. Ça leur apprendra à ne pas tenir leur promesse.

— Tu sais, je peux te procurer tout ce que tu veux !

Je reconnais la voix de Yanis. À ces mots, je m’arrête et décide d’écouter plus attentivement.

— Tu me dis la variété et je te la vends. Je te ferai un prix d’amis. On est bientôt de la même famille après tout.

Le rire de Fred retentit. Je ne saurai dire s’il est satisfait de la proposition de son interlocuteur ou s’il se moque de lui. Je connais Yanis et ses activités extrascolaires. Je n’ai pas besoin d’en entendre davantage pour savoir sur quoi porte son offre.

— En plus comme tu comptes t’installer dans la région, tu ne connaitras personne, continue Yanis pour obtenir un « oui » franc de mon cousin.

Je sens une colère sourde gronder dans ma gorge. Je décide de me manifester. Lorsqu’il m’aperçoit le petit sourire de Yanis s’affaisse légèrement. Fred se retourne pour savoir ce qui se passe.

— Yanis, je peux te parler, s’il te plait.

L’expression de politesse est de trop. Même s’il ne lui plait pas, mon ton lui conseille de venir.

— J’arrive.

Je prends une profonde expression.

— Non, maintenant. Yanis, tranché-je, sans appel.

— Je crois que Madame te réclame, plaisante Fred. Je vous laisse, je vais pisser.

On saluera la franchise et le manque de pudeur de mon cousin lorsqu’il est soul et défoncé. Yanis se lève de sa chaise en même temps que son client potentiel. J’en profite pour l’attirer dans un coin, à l’abri des regards et des oreilles. Une fois dos au mur gauche de la maison, je m’arrête et croise les bras sur ma poitrine. Nous sommes dans la pénombre. Il ne peut pas voir mon regard incendiaire mais la position de mon corps, si.

— De quoi vous parliez ? commencé-je pour lui laisser une chance de me dire la vérité.

— Fred me parlait de son projet de venir vivre, ici, auprès de sa famille.

— Mais encore ? demandé-je sur mes gardes.

Il ne répond pas tout de suite.

— C’est tout.

— Tu mens ! explosé-je, le prenant en train de me mentir. Tu m’avais promis ! Tu m’avais promis que c’était fini toutes ses histoires !

Yanis tente alors de s’approcher de moi. Je tends ma main pour lui barrer la route mais il fait comme si de rien n’était.

— Mais enfin Iris. Calme-toi. Je ne sais pas ce que tu penses avoir entendu mais c’est vrai, j’ai arrêté.

Je ne rétorque rien. Je le fixe intensément pour tenter de déchiffrer le vrai du faux. Mais l’obscurité ne m’aide pas.

— Tu ne me fais pas confiance ? m’interroge le jeune homme, avec une pointe de déception. En même temps, je ne peux pas t’en vouloir. Je comprends.

Il pousse un long soupir. Je ressens comme un pincement au cœur. Après tout, j’ai peut-être mal compris. C’est sans doute à cause du risque de quiproquo que le fait d’écouter aux portes est mal vu. Je baisse ma garde et décroise mes bras.

Je ne sais pas combien de temps s’écoule avant qu’aucun de nous n’ose bouger ou parler. Des secondes ? Des minutes ? Je conclus donc que la conversation est terminée. Je me tourne légèrement pour rejoindre la fête mais Yanis m’attrape par le poignet.

— Embrasse-moi.

Je ne sais pas s’il s’agit d’une demande ou d’un ordre. L’atmosphère est devenue, d’un coup beaucoup, plus oppressante.

— Embrasse-moi, répète-t-il.

— Yanis, je… je ne…

Avant que je ne puisse terminer ma phrase, il me pousse et me plaque contre le mur. Instinctivement mon cœur s’affole. Ce n’est pas normal ce qui est en train de se passer.

— Mais enfin qu’est-ce que tu fais ?

— Embrasse-moi.

Il s’approche de moi ainsi il me maintient. Je sens son haleine alcoolisée. Je ne pensais pas qu’il était ivre. Ça ne se voyait pas. Je tente de me dégager mais il appuie plus fort autour de mon poignet et mon ventre. Mon cœur bat tellement fort dans ma poitrine. J’essaye de me calmer. Yanis ne me ferait aucun mal.

— Tu veux que je te supplie c’est ça ? me demande-t-il les dents serrées.

Mais dans ce cas pourquoi une alarme s’est allumée au fin fond de mon esprit ?

— Je veux que tu me lâches, Yanis.

Il n’en fait rien et intensifie son emprise. Sa main appuyant sur mon abdomen se déplace pour venir maintenir ma mâchoire.

— Tu aimes ça hein ? Me dire non ? Te croire trop bien pour moi ?

Yanis tourne de force mon visage vers le sien. Je ne suis plus en colère. J’ai peur.

— Toutes ces fois, où j’ai été patient parce que tu voulais attendre. J’en ai marre d’être patient, Iris.

Je nous revois chez lui, dans son canapé. Lui encore fatigué de sa soirée de la veille, tentant de dégrafer mon soutien-gorge et moi me tortillant car n’osant pas prononcer ces trois petites lettres. Elles viendraient casser l’ambiance. Après tout regarder un film, c’est pour les collégiens.

Je revis ces moments où je me suis tue parce que nous n’étions pas ensemble. Celui où il est parti s’isoler avec une fille moins « contrariante » pendant un festival, me laissant seule dans la foule. Après tout, danser ça ne va qu’un temps.

Malgré mes craintes, il est hors de question qu’il sache qu’il m’effraie. Je ne lui ferai pas ce plaisir.

— Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Iris ?

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