20h40

Le repas du soir est aussi festif et gargantuesque que celui du midi. Les restants de viande du déjeuner trônent sur toutes les tables, accompagnés de fromage, de plateaux de charcuterie, produits locaux et autres victuailles déconseillées pour le cholestérol de Papa. Chacun passe les plats à ceux présents à l’opposé de la tablée. J’observe la scène de loin, submergée par le brouhaha ambiant des convives riant à gorge déployée. Les esprits commencent à s’embrumer légèrement pour certains. La chaleur de l’après-midi commence, en effet, à tomber, alors le vin rouge et la bière font donc de nouveau leur entrée. J’essaye d’immortaliser ces quelques moments volés. Mon père pose alors avec Tonton Youn, son beau-frère dont il est le plus proche tandis que Elodie et Fred tentent de venir gâcher la photo. Ils n’y parviennent pas et finissent par sourire aux côtés de leurs oncles.

La soirée semble pleine de promesses à en juger par les sourires des invités.

— Andréa ! Viens donc manger, me sermonne gentiment ma mère, d’un ton ferme toutefois.

Je me retiens de râler. Maman est toujours derrière moi quand il s’agit de nourriture. Je sais que mon passé d’adolescente y est pour quelque chose. Mon rapport à la nourriture n’a pas toujours été celui qu’il est aujourd’hui. Même si j’ai bien grandi depuis, elle ne peut s’empêcher de s’inquiéter pour moi alors j’obtempère.

— Tu peux me passer les rillettes de thon s’il te plait ? demande Fabien à Solal, pendant que mes fesses touchent une chaise à l’autre bout de la table.

Magda se tourne instinctivement vers son mari.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Je ne t’ai pas parlé. J’ai demandé du thon.

La voix de Fabien est un peu trop agressive pour n’être qu’une plaisanterie. Immédiatement, je me tends et je ne suis pas la seule. Mon petit ami lui passe la boite de conserve sans trop savoir s’il fait bien. La marraine d’Iris ne répond rien, préférant ignorer son époux un peu alcoolisé.

— Si j’avais voulu t’appeler, j’aurai parlé de « morue ». Tu aurais eu raison de te reconnaitre.

Désormais toute la table est silencieuse et très gênée par la tournure de cette conversation qui pivote clairement au règlement de compte. Malgré la distance, je vois la mâchoire de Magdalena se crisper.

— Ce n’est pas le moment de me faire une scène, parvient-t-elle à articuler entre ses dents.

— Tu n’avais qu’à y penser avant de coucher avec un autre ! aboie son mari.

Face à cette ultime provocation, Magda attrape un pot de cornichon vide, se lève et prétexte aller en chercher un nouveau. Complètement déstabilisées par le comportement de leur père, Lou et Aline baissent la tête dans leur assiette, sans doute honteuses de voir le linge sale de leurs parents dévoilé au grand jour.

Apparemment, nous n’avons pas eu assez de drame pour la journée. Sans réfléchir, mon postérieur quitte l’assise de la chaise. Iris m’imite. Nous tâchons de ne pas marcher trop vite afin de ne pas éveiller les soupçons des autres tables. Au vu du volume sonore produit par ces dernières, je doute que les invités se soient rendu compte de quoi que ce soit.

Une fois dans la maison, les bruits d’un léger sanglot provenant de la salle de bain attirent notre attention. Nous trouvons Madga se tenant aux bords du lavabo, les épaules voutées. Le pot en verre trône sur le marbre blanc.

Je ne parviens pas à savoir s’il s’agit de larmes de tristesse ou de colère de voire sa vie conjugale ainsi exposée. Peut-être un peu des deux. Ma sœur enlace sa marraine par derrière tandis que je pose ma main sur son épaule. Quelques larmes dévalent encore ses joues avant que la mère de famille ne rompe le silence.

— Fabien et moi allons divorcer.