Iris - XI

8 minutes de lecture

20h56

Andréa a quitté la salle de bain. Elle craignait que notre absence à toutes les deux ne se remarque. Je suis restée avec ma marraine. Je ne sais absolument pas quoi lui dire. À aucun moment, j’ai pensé que son couple avec Fabien battait de l’aile, qu’ils ne s’entendaient plus.

Je ne lui demande pas de détails sur les propos de son futur ex-mari. Peut-être a-t-il tort. Ou peut-être pas. Mais ça n’est pas mes affaires. Ce que je souhaite juste c’est que Magda arrête de pleurer et passe une bonne soirée malgré tout.

J’essaye de ne pas la regarder avec de la pitié. La pitié, c’est pire que tout. Mais pourtant, c’est tout ce qu’elle m’inspire à cet instant précis. Sa peau est devenue plus pâles malgré son bronzage impeccable. Ses traits sont tirés. De longues traînées noires traversent verticalement ces joues. Ma marraine ne fait que renifler et se moucher. Son nez ressemble à celui du petit renne Rodolf. Il pourrait nous illuminer cette nuit tellement il est rouge.

Après un énième bruit de narine, Magda me demande gentiment d’aller lui chercher sa trousse de toilettes dans la salle de douche à l’étage. Elle souhaite se refaire une petite beauté avant de rejoindre tout le monde. J’accepte cette demande, aux airs de « Mission impossible » dans mon esprit. Je monte les escaliers à pas de loup, traverse la mezzanine, m’enfonce dans le couloir puis tourne à gauche. Je comprends alors la difficulté de ma tâche en découvrant le capharnaüm laissé par les membres de ma famille. Je grommelle en breton, comme le fait souvent Mammig, et me mets à farfouiller dans toutes les pochettes me tombant sous la main.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

Je sursaute et me retourne l’air coupable. Ce n’est que Yanis. Il est nonchalamment appuyé contre la porte. Les bras croisés sur sa poitrine, il est fier de sa petite plaisanterie. Je ne réponds pas et recommence à chercher le maquillage de ma marraine. J’ai une drôle de sensation. Comme l’impression d’être suivie, espionnée dans mes moindres faits et gestes dans ma propre maison. Je ne sais pas si je dois être touchée par cette attention. Ou me sentir étouffée.

Je sens alors des bras m’enlacer par derrière. L’étreinte se ferme sur mon ventre et me serre un peu fort.

— Tu me manques lorsque je ne suis pas avec toi.

Cette phrase finit par me convaincre que je suis chanceuse d’entendre ce genre de mots sortir de la bouche de Yanis. C’est mignon.

— Ça ne fait pas trente minutes que je me suis absentée, lui réponds-je avec un léger amusement dans la voix.

— Oui mais tu ne m’as dit pas dit où tu allais.

Je pose ma main sur la sienne puis essaie de relâcher un peu sa prise sur le bas de mon torse. Sans succès.

— Je ne peux pas vraiment partir bien loin. Et puis, ce n’est pas comme s’il pouvait m’arriver quelque chose.

Je me retourne doucement pour l’obliger à moins me presser contre lui. J’ai l’impression d’être un citron. Ses yeux brillent d’une drôle de lueur. Il glisse sa main sous mon haut. Ses doigts rencontrent les agrafes de mon soutien-gorge.

— On ne sait jamais, articule-t-il dans un souffle.

Mon cœur s’emballe. Je ne suis pas prête pour ça. Pas là. Pas maintenant. Je gesticule lentement pour faire comprendre que je ne suis pas d’accord. La voix d’Andréa s’élève alors du rez-de-chaussée.

— Iriiiiiiissssss ?

Sauvée par le gong.

— Oui, j’arrive !!! hurlé-je à mon tour.

Sans doute abasourdi par mon cri, Yanis laisse retomber ses bras le long de son corps. Sa bouche ressemble à un pli fendant son visage. J’attrape à la va-vite une trousse avec une licorne dessus. Je prie intérieurement pour que ce soit celle de Magda et quitte la salle de bain à la vitesse de l’éclair.

21h33

Les panses des invités sont de nouveau bien remplies. Et ce n’est pas fini. Le repas s’éternise et chacun ne serait pas contre un petit dessert. Heureusement, il reste du gâteau et mes parents disposent des panières remplis de fruits, histoire de limiter les excès de la journée. Mais tant qu’à faire, on est plus vraiment à une part de gâteau près.

22h12

L’heure des premiers départs a sonné maintenant que tout le monde a bu son petit café. Roger et Nelly vont prendre la route en même temps que Marie-Pierre et José. Leurs maisons de vacances respectives se trouvent à un peu plus d’une heure et demie d’ici, dans les Côtes d’Armor, et il commence à faire sombre.

Nelly vient nous dire au revoir et prend un malin plaisir à me pincer les joues. Je frotte ma main contre ma peau tirée. Elle doit rougir vu comment ça me lance. Andréa, plus maligne, a réussi à intercepter la main de la cousine de notre père en l’attrapant avec les siennes.

— Bonne continuation les filles. Restez comme vous êtes.

Je remarque Tata Olé qui se tient dans un coin du chapiteau et qui observe la scène de loin, les bras croisés sur sa poitrine. Elle a une moue insolente fixée aux lèvres. Je crois que sa rivale ne lui a pas dit au revoir. J’espère qu’un nouveau scandale ne va pas éclater. Mes prières ont dû être entendues car la marraine de ma sœur décide de retourner s’asseoir le plus loin possible de ces cousins sur le départ. Son verre de rosé l’attend bien sagement.

— Nous aussi, nous allons y aller. Place à la fête pour les jeunes, nous informe Tonton Yvan.

Je pense que la fatigue a eu raison de lui. Il se penche alors vers Andréa et pose ses mains sur ses épaules. Il prend une profonde inspiration avant de donner son ultime conseil avisé de la journée.

— Je te souhaite de trouver vite un projet qui te plaira.

Contre toute attente, ma sœur lui répond du tac au tac.

— Je pense l’avoir trouvé. Maintenant, le plus dur c’est d’apprendre à faire fi de l’avis de chaque personne que je connais.

Elle ajoute à sa réplique un petit sourire poli. Et dire, qu’elle pense ne pas avoir de répartie.

23h07

Je saisis mon téléphone. La petite led en bas de l’écran clignote m’indiquant de nouvelles notifications. En l’occurrence, plusieurs appels manqués de Rafael et un seul SMS.

« Je suis là. »

Mon cœur se met à tambouriner dans ma poitrine. Là ? Mais là où ? Telle une mécanique bien huilée, les engrenages de mon cerveau se mettent à tourner. Je me dirige vers la limite de notre allée, côté route. Il fait nuit alors j’avance prudemment, à l’aide de la lampe torche de mon smartphone, pour ne pas glisser sur une grosse limace orange ou écraser un innocent escargot. Malheureusement à en juger par le craquement sous mes semelles, c’est raté. Je plisse le nez et présente mes excuses silencieusement au mollusque. Mon téléphone se met à vibrer. Sur l’écran, apparait alors une photo de Rafael. Je décroche.

— Je suis là, me dit-t-il simplement.

— J’arrive.

Je coupe la communication le cœur battant encore plus fort. Au bout de quelques secondes supplémentaires, j’arrive à destination. Un jeune homme m’attend, adossé à un engin à deux roues. Son visage est éclairé par son écran de smartphone. La lumière ne le met pas en valeur. Les taches de rousseur parsemant son visage rond forment de drôles d’ombres. Il finit par lever les yeux vers moi. Nos regards se croisent. C’est drôle car mon cœur ne bat plus à la chamade. Il a repris un rythme plus calme. Je ne ressens rien, ni haine, ni joie. Pas de papillons dans le ventre ou d’envie de lui hurler dessus. J’ai presque la sensation de voir une vieille connaissance. Est-ce de l’indifférence ?

— Joyeux anniversaire, Iris.

Je le remercie instantanément et un lourd silence s’installe entre nous. Il ne me faut pas longtemps pour comprendre. Nous n’avons rien à nous dire. Tout simplement. C’est assez étrange comme impression. Je sais que j’ai aimé ce garçon sincèrement mais le voir après plusieurs mois ne me fait ni chaud, ni froid. J’ai l’impression que notre histoire est celle d’un jeune couple d’inconnus, comme si on m’avait raconté leur rencontre et leur amour.

— J’ai reçu ton sms, commence mon ex-petit ami.

Les paroles d’Andréa me reviennent à l’esprit. Une question se pose alors : est-ce Rafael qui me manque ? ou le fait de me savoir aimée par quelqu’un ? Je saisis enfin la bêtise de ma démarche de la nuit précédente. J’en viens à espérer qu’il n’est pas venu en espérant quelque chose de moi.

— Je suis désolée… J’étais fatiguée… Je n’ai pas réfléchi.

À nouveau ce silence et cette gêne. Je voudrai me cacher dans un trou de souris. Heureusement qu’il fait sombre, il ne peut pas voir ma peau rougir à cause de mon embarras.

— Iris, je suis venu pour te dire de ne rien attendre de moi. J’ai rencontré quelqu’un et j’ai envie de tenter le coup. Vraiment.

J’attends quelques instants, histoire que l’information monte bien jusqu’à mon cerveau. Aucune réaction.

— Je suis sincèrement contente pour toi, réponds-je avec honnêtement. Tu mérites d’être heureux.

Rafael semble surpris. Il pense peut-être que je mens ou tente de faire bonne figure, que la vérité va lui exploser au visage dans quelques secondes. Mais non, bien qu’il est toujours fait partie de ces personnes capables de me faire sortir de mes gonds, il se trompe. L’écran de son téléphone s’allume. Il baisse les yeux et il sourit en découvrant de quoi il s’agit.

— Amis ? proposé-je alors en tendant ma main.

À mon plus grand étonnement, il s’en empare sans hésiter.

— Amis.

— Allez, viens. Je te paie un jus de fruits, dis-je en pointant du doigt sa bécane.

Le jeune homme hoche la tête d’un air entendu. Alors que je commence à rebrousser chemin, une voiture de sport noire remonte lentement l’allée. J’accélère le mouvement, suivie par mon nouvel invité. Le véhicule s’est garé devant la maison. Un jeune homme blond en sort. Sans doute nerveux, il passe une main dans ses cheveux mi-longs. Il me fait tout de suite penser à un surfeur californien avec son rasage de près et ses yeux bleus. Je ne peux m’empêcher de froncer les sourcils en arrivant à son niveau. Déjà dehors en train de discuter Solal, Rudy, Eliott et Yanis s’approchent à leur tour. Aucun son ne fait entendre près du barnum. J’en déduis donc deux hypothèses : soit tous les membres de ma famille encore debout sont à l’intérieur de la maison à cause de la fraicheur ambiante, soit ils ont tous dressé l’oreille pour savoir ce qui va se passer. Je suis quand même surprise de ne pas voir la tête d’Elodie ou de Maman dépasser d’un des pans du chapiteau.

— Bonsoir. Je suis navré, je sais qu’il est un peu tard. Suis-je bien chez Andréa Le Guen ?

— Oui mais qui la demande ? interrogé-je suspicieuse.

— Antoine.

Mes yeux s’agrandissent à l’entente de ce prénom.

— Enchanté, dit alors Solal en tendant sa main au nouveau venu.

Je ne l’ai pas entendu arriver et suis un peu surprise de sa réaction. Antoine lui offre la sienne en signe de politesse. Finalement, il n’y aura pas autant de drame que ce que je craignais.

— Je suis ravi d’avoir l’occasion d’encastrer celui qui veut me voler ma petite amie, finit mon beau-frère avec un air de défi dans la voix.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Mlle_Evangeline ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0