Andréa - IX - b

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18h37

Lorsque je sors enfin de la salle de bain, je me sens plus légère. L’odeur d’excréments semble avoir quitté ma peau et mes cheveux mais les piqûres d’ortie sont toujours douloureuses malgré la pommade. J’enfile mon short en jeans préféré, un débardeur noir très échancré dans le dos et ma paire de baskets blanches avant de passer les manches courtes d’un kimono long à franges de la même couleur que mon haut. Je n’ai plus vraiment le même look que ce matin. Tandis que je me sèche les cheveux, Solal fait irruption dans ma chambre et s’assoit sur le bord du lit. Encore fâchée contre lui, je décide de l’ignorer royalement et de faire durer mon séchage plus longtemps qu’à l’accoutumé. Au bout de plusieurs minutes, je finis par débrancher l’appareil. Un silence pesant s’installe entre nous. Ma fierté me souffle de ne pas être celle qui cédera la première et je fais le choix de l’écouter. Je passe devant mon petit ami et vais m’asseoir face à ma coiffeuse en fer forgé.

Nous restons ainsi sans un bruit pendant quelques temps. Moi me maquillant pour la deuxième fois de la journée, lui m’observant. Je ne sais dire si je me fais des idées ou non mais mes yeux gris me semblent plus sombres que d’ordinaire. Les tâches de rousseur sous ses derniers se sont encore plus propagées sur mon visage avec le soleil de la journée. Sans surprise, j’ai même pris un léger coup de soleil au niveau du décolleté. Mes gênes de celtes me jouent souvent de vilains tours lors des beaux jours.

Mon petit ami finit par pousser un soupir avant de se lever. Il secoue légèrement la tête de gauche à droite puis il quitte la pièce sans un regard pour les quelques larmes dévalant mes joues.


18h51

À peine ai-je franchi le seuil de la portée d’entrée que ma meilleure amie me saute littéralement dessus.

— Ça te va mieux que ton look de Bellatrix des champs, plaisante-t-elle en pointant du doigt ma tenue.

Sa référence à Harry Potter me fait sourire.

— Tu es une vraie dure à cuire, en réalité, continue-t-elle.

— J’ai besoin d’une cigarette, fais-je pour tout réponse, dans un souffle.

Marley me pose un regard dubitatif.

— Marlène Lombardi, j’ai besoin d’une cigarette. Maintenant. S’il te plait.

L’entente de son nom complet la sort de sa torpeur car elle se dirige vers son véhicule. Solal a horreur de me voir fumer et c’est sans doute pour cette raison que mon envie est encore plus forte. En réalité, je ne le fais pas souvent, seulement en soirée avec des amis une fois de temps en temps. La nicotine a un effet calmant presque immédiat sur moi.

Une fois ma meilleure amie revenue, nous partons vers le fond du jardin, loin des joueurs de palet breton et des autres convives. Nous nous asseyons sur un banc en pierre, ressemblant à un petit dolmen, à l’ombre de notre gigantesque arbre à papillon. J’aime bien cet endroit. Parfois, je viens lire ici car tout me semble plus calme, plus apaisé. J’ai l’impression d’être dans une bulle. Marley sort une cigarette de son paquet et la coince entre ses lèvres. La culpabilité me sert momentanément le cœur car je sais que cette fumeuse est en plein sevrage. Aujourd’hui, je ne lui facilite pas la tâche. Elle me tend l’étui pour que je prenne ma dose de mort lente, tandis qu’elle fait crépiter son briquet avec sa main libre. Je m’exécute et récupère l’objet cracheur de feu.

Marley a suscité mon admiration dès le jour de notre rencontre. Elle fait partie de ces gens qu’on croise et à propos de qui on dit « je ne pourrai jamais être amie avec elle ». Pas parce qu’on ne voudrait pas mais parce qu’on pense ne pas être à la hauteur. Parce que cette personne semble tellement sûre d’elle, qu’elle pourrait tout envoyer valser et toi avec. Cependant, j’ai vite appris de Marley que cette apparente assurance cachait en réalité la peur du regard des autres et cette volonté de plaire à tous. Et depuis quelques années maintenant, nous faisons valdinguer ensemble tout un tas de préjugés, de craintes et autres méchancetés.

— J’ai soif, m’informe-t-elle le plus normalement du monde.

Elle se lève et commence à rebrousser chemin en me promettant de me ramener un verre. Je tire longuement sur ma cigarette afin d’en récolter le plus de fumée possible. Je laisse cette dernière brûler délicieusement mon œsophage avant de la recracher. Je repense à mes jeux d’enfants, lorsque je feignais de fumer, en hiver, en coinçant un mégot imaginaire entre mon index et mon majeur. Je ne reste pas longtemps seule car Yanis vient me rejoindre à peine Marley partie. Je pourrais presque croire qu’il guettait son départ.

Sans me demander mon autorisation, il vient s’asseoir à côté de moi.

— Je peux te prendre une clope ? me demande-t-il, bien qu’au son de sa voix je comprends qu’il s’agit plus d’une affirmation que d’une question.

Je n’ai pas envie de discuter avec lui alors je lui tends le paquet, sans un mot, en me promettant de dédommager ma meilleure amie plus tard. Il imite mes gestes des minutes précédentes et parait soulagé de se procurer sa dose de nicotine. Il est bien plus accro que moi, c’est certain.

— On a pas eu l’occasion de discuter tous les deux.

Je dois reconnaitre que ce n’était pas vraiment mon envie et cela ne l’est pas plus à l’instant.

— C’est un peu la course aujourd’hui et il y a beaucoup de monde, me justifié-je.

— Oui, c’est vrai… Et puis, on ne se connait pas alors… Mais Iris m’a beaucoup parlé de toi.

Je me demande s’il s’attend à ce que je lui réponde qu’elle aussi m’a beaucoup parlé de lui. C’est le cas mais il est hors de question que je lui avoue et que je flatte son ego par la même occasion. Je pose une nouvelle fois la cigarette sur le bord de mes lèvres.

— Vous êtes proches…

Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, j’entends le rire retentissant et aguicheur d’Emma à l’autre bout du jardin. Il sonne comme le bruit d’un cochon qu’on égorge à mes oreilles, d’autant plus que je la suspecte de s’amuser avec son partenaire du jour.

— Je suis désolé pour toi, commence-t-il. Emma dépasse les bornes, je ne l’ai jamais trop appréciée cette fille. Elle est vicieuse.

Je prie intérieurement pour que Marley revienne au plus vite. Je prends une grande bouffée d’oxygène afin de paraître neutre.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Mon interlocuteur semble surpris par ma question car ces yeux sombres s’écarquillent légèrement et ses sourcils fournis se haussent. Il met quelques secondes avant d’ouvrir la bouche.

— Je voulais te dire que j’ai conscience d’avoir mal fait les choses avec Iris.

Il parle sans doute de toutes ses fois où ma sœur était triste parce que la veille, il disait vouloir être avec elle et qu’il revenait sur sa décision, où il oubliait un rendez-vous parce qu’il s’était endormi, où il annulait pour aller en soirée avec ces copains.

— Je voudrai me rattraper. C’est pour ça que je suis là. Pour lui montrer que je tiens vraiment à elle. Je veux lui montrer que ça valait le coup de m’attendre.

Je sens un agacement croitre au creux de mon ventre. Je suis fatiguée qu’on me prenne pour une idiote. J’inspire une nouvelle fois avant d’expirer lentement par le nez.

— Dis-moi quand il faudra que je sorte les violons ? Parce que je suis prête.

J’esquisse un léger sourire, histoire qu’il comprenne que je suis ironique. Je préfère me méfier avec ce genre d’individus.

— Tu sers ce discours à toutes les grandes sœurs des filles à qui tu brises le cœur ? Ou je suis la première ?

Le pauvre Yanis ne semble pas comprendre que ses charmes ne fonctionnent pas sur moi. J’ai tendance à surprendre lorsque je me montre tranchante. Et j’avoue que parfois je m’étonne moi-même.

— Te fatigue pas avec ton opération séduction, je ne t’aime pas et cela n’est pas près de changer. Donc ne compte pas sur moi pour faire des éloges à ton égard auprès d’Iris, suite à notre conversation.

— Je ne…

Il est coupé par Marley, tenant une bière blonde dans chaque main, l’air extrêmement satisfait.

— J’ai manqué quelque chose ?

— Donne ma bière à Yanis, il a besoin d’un petit remontant, conclus-je fièrement.

L’intéressé, sans doute content d’avoir gagné la boisson sans le moindre effort et de pouvoir s’éclipser, se lève, la saisit et finit par nous laisser seules. Il jette un dernier regard en arrière, entrouvre la bouche, avant de se raviser. Ma meilleure reprend sa place et m’attrape le bras, toute excitée.

— J’adore quand tu es d’humeur bagarreuse.

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