Andréa - IX - a

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17h53

Etant désormais éliminée de la compétition, je peux me déplacer parmi les autres invités afin de veiller à ce que personne ne manque de rien. Pourtant, je reste quelques instants encore pour assister à la défaite de ma mère et mon oncle face à mon amoureux et sa partenaire, bien que cette dernière n’ait placé aucun palet sur la planche.

À côté de sa redoutable adversaire, Mammig, Laurent est prêt à prendre les palets des mains de son père, Tonton Youn. Quant à Emma, elle agite sa longue chevelure blonde dans tous les sens avant de s’accrocher au bras de Solal. Sa robe remonte légèrement sur ses cuisses.

— Tu es vraiment trop fort ! dit-elle admirative.

Une pointe de jalousie vient me piquer le cœur. Je préfère m’occuper l’esprit plutôt qu’assister aux roucoulades de l’amie d’Iris. Je me dirige vers la tonnelle.

— Allez Mamie, encourage mon père, venez ! On ne peut abandonner comme ça, sans s’être battus !

— Ce n’est plus de mon âge, Brieuc, répond sèchement sa partenaire de jeu.

Je connais Papa, il ne laissera pas tomber aussi facilement. Malheureusement, sur l’échelle de l’entêtement, sa belle-mère doit être au même niveau que lui.

— S’il vous plait, un espace s’est libéré. C’est l’occasion.

Tel un guerrier, mon père préfère perdre sur le champ de bataille plutôt que de déserter. Je m’approche alors de leur duo.

— Papa, tu as vu ? Mammig, lance les palets avec une telle dextérité ! C’est impressionnant pour son âge, cette adversité !

Je me place de façon que ma grand-mère maternelle ne puisse pas voir mon visage et glisse à un clin d’œil à destination de mon père.

— Je comprends d’où tu tiens cela ! J’espère que tu me l’as transmise aussi, continué-je l’air de rien.

Mamie se lève bien plus rapidement que je ne l’en croyais capable. Une fois sur ses deux pieds, elle se redresse fièrement.

— Brieuc, c’est à nous de jouer ! Je vous attends, lance-t-elle en commençant à marcher.

Je ne peux m’empêcher d’étouffer un petit rire. Les voilà donc partis pour affronter Fred et Fabien. Il faut croire que la compétition est vraiment une affaire de famille.

À l’autre bout de la terrasse, Judy, la border-collie de José et Marie-Pierre, est bien sagement assise. Heureusement le coin est ombragé par un petit arbre. Son regard de chien semble perdu vers le fond du jardin. Je me place près d’elle afin de comprendre ce qu’il y a de si passionnant.

Tous les avantages que peut avoir la campagne sur la ville me semblent encore plus précieux depuis que je vis dans un petit appartement à Nantes. N’ayant ni balcon, ni terrasse, ni même une cour ou un patio, je suis toujours enfermée à l’intérieur. Je suis obligée de me rendre dans un parc public afin de prendre un bol d’oxygène. Heureusement, je n’ai encore jamais passé l’été en ville, je n’ai donc jamais été victime de la chaleur étouffante de cette dernière, pendant la saison estivale. Je rentre toujours chez mes parents. Quoi qu’aujourd’hui, Edern, mon cher petit village du Finistère, n’a rien à envier à la capitale de Loire-Atlantique concernant les fortes températures.

La sérénité de la campagne, le chant des oiseaux, le son des feuilles dans les arbres lorsque le vent souffle : ce sont autant de bruits qui ont peuplé mon enfance. Je repense alors à ces après-midis passés dehors avec mes parents. Papa m’a appris à différencier chaque plante ayant poussé dans son potager, et chaque arbre présent sur notre immense terrain. Chaque fois que je voulais en faire le tour, j’avais l’impression de partir en expédition. Muni d’un sac à dos dans lequel se trouvait notre goûter, j’emmenais ma sœur avec moi. Nous cherchions le coin parfait pour nous arrêter afin de grignoter. Avec Maman, j’allais nourrir les animaux et ramasser les œufs dans le poulailler.

Je ferme les yeux. S’asseoir deux minutes, faire une pause dans cette journée allant à cent à l’heure me fait beaucoup de bien.

— Qu’est-ce que tu fais ? me demande ma sœur, rompant ainsi mon silence intérieur.

— Ça ne se voit pas ? ris-je. Rien.

— Ah super ! Je peux t’aider ?

Sans attendre ma réponse, Iris s’assoit à la gauche de Judy. Elle en profite pour lui donner quelques caresses. Puis, une brise d’air vient chatouiller les narines de ma voisine canine. Elle lève la truffe et hume l’air de manière très intéressée. Elle doit avoir senti quelque chose de captivant car elle se met à sautiller sur place. Sa queue remut dans tous les sens. La chienne est surexcitée, sans que nous comprenions bien pourquoi. Soudain, elle se lance dans une course folle. Il me faut quelques secondes avant de comprendre. Dans le fond de notre prairie, nos moutons sont en train de manger. Un agneau, né ce printemps, gambade et saute par-dessus les autres membres du petit troupeau.

L’instinct de chien de berger de Judy semble s’être réveillé. Elle arrive vite à l’enclos. Je m’époumone en l’appelant mais rien n’y fait. L’animal est devenu complètement sourd.

— José ! Marie-Pierre ! appelle Iris. Judy a…

Elle n’a pas le temps de finir sa phrase car la gardienne de troupeau en herbe, très svelte, a trouvé une faille dans le grillage. Elle s’y est engouffre et se continue sa course derrière des bovidés paniqués. Je me mets à courir aussi vite que mes sandales et ma robe longue me le permettent, Iris sur mes talons.

— Y a Judy qui nous fait un remake de Babe mais sans cochon ! hurle cette dernière à la petite assemblée commençant à se former.

Heureusement, tous les invités ne sont pas encore rendus compte de la scène étant en train de se jouer. Une grande partie est trop occupé à jouer au palet breton ou à observer.

J’entends ensuite ma sœur dire que nous allons gérer la situation. Elle n’a pas tort. En même temps, nous n’avons pas vraiment le choix. Les propriétaires de l’animal, ayant un âge que je ne donnerai pas, je ne peux pas leur demander d’aller chercher leur chienne, devenue totalement incontrôlable. Il ne sert à rien d’être trente-six dans l’enclos. Les moutons sont suffisamment effrayés comme cela. Les pauvres bêtes sont en train de courir dans tous les sens.

Je décide de passer par le poulailler donnant sur le parc où se déroule la course folle. Je me fraye un chemin parmi les volatiles, pensant que l’heure du déjeuner était annoncée. Je sens ma chaussure s’enfoncer dans une fiente encore fraiche. Je n’ai pas le temps de râler. Je franchis la dernière limite me séparant du sprint infernal canin. Laissant complètement son instinct prendre le dessus, la chienne essaie de mordre les pattes des bovidés. Heureusement pour eux, ils sont trop rapides.

Pendant ce temps, Iris décide de passer par l’entrée principale de l’enclos. La porte récalcitrante est tenue par une corde que ma sœur dénoue aussi rapidement que possible.

Mon cœur bat tellement fort que j’ai peur qu’il se décroche de ma poitrine. Mon cerveau semble s’être définitivement éteint. Je ne réfléchis pas, je n’ai pas de plan. La seule chose à laquelle je pense à cet instant, c’est qu’il faut arrêter ce chien. Je n’ose imaginer la panique dans laquelle se trouvent les animaux. Il faut reconnaître qu’un mouton n’a pas la réputation d’être intelligent. À peine, Judy me passe devant, je lui saute littéralement dessus. Les souvenirs des matchs de rugby de Solal me reviennent sans doute en mémoire car je me lance sur la chienne de tout mon poids. Mais elle est trop rapide pour moi. Alors je recommence l’opération encore et encore. Je rugis à chaque élan. Des cris de guerrière franchissent mes lèvres, pour me donner du courage. Je me jette dans des orties, dans les excréments des bovidés. Je retombe dans le vide et m’écrase lourdement. Mais qu’importe. De l’extérieur, la scène doit être extrêmement drôle. Une de celle que l’on pourrait diffuser dans une vidéo de gags. Le seul avantage offert par ma robe est sa longueur sinon tout le monde aurait vu depuis longtemps mon string.

À l’autre bout de l’enclos, Iris défait l’agneau s’étant coincé dans le grillage. Elle essaye de le rassurer mais rien n’y fait.

Puis je me retrouve face à la poursuiveuse. Pendant une fraction de secondes, son regard croise le mien. Je me penche légèrement.

— Judy… Bonne chi…

Malheureusement, le bêlement d’une de ses proies lui fait oublier une nouvelle fois ma présence. Je me jette sur la chienne en poussant un cri guttural. Et cette fois-ci, j’arrive à l’attraper. Je m’accroche à son encolure, aussi fort que je le peux. Elle tente de s’extirper de mon emprise, en gesticulant comme un beau diable. Je sens la couture de ma robe craquer. J’évite d’y penser.

— Hors de question que je te lâche ma belle, articulé-je entre mes dents.

Désormais je suis assise, les jambes écartées, en tenant Judy par le collier. Je ne peux rien faire d’autre mais je me découvre une force insoupçonnée. Je ne préfère pas imaginer ce qui se trouve actuellement sous mes fesses.

— Une laisse ! Il faut une laisse ! hurlé-je.

Ayant terminé de s’occuper du bébé, Iris me rejoint en courant. Elle glisse la corde entre le cou de la chienne et son collier. Elle tient fermement les deux bouts de la laisse improvisée, pendant que je me relève. Je garde ma prise sur le collier.

— Ça va ? me demande ma sœur.

Je bouge la tête pour lui signaler que non, ça ne va pas. Je peine à reprendre mon souffle. J’ai les poumons en feu. J’ai chaud et mal partout.

— Tu ne t’es pas fait mal au moins ?

Je secoue une nouvelle fois le visage. Nous avons commencé à avancer pour sortir de l’enclos mais la chienne refuse d’avancer. Il semblerait qu’elle préfère rester avec ces amis du jour, bien qu’ils ne partagent clairement pas cette envie. Elle continue de se défendre en agitant la tête dans tous les sens. Nous la traînons sur quelques mètres mais ce qui devait arriver arriva. Il y a trop de jeu entre son cou et son collier. Elle parvient donc à glisser son crâne en dehors de ce dernier et se remet à courir de plus belle.

Complètement découragée, j’ai envie de pleurer à cet instant. Iris rebrousse chemin. Je la suis. Judy a acculé le bélier dans un angle de la clôture. La bête à cornes a la tête baissée et donne des coups de crâne en direction de son asseyante. Il parvient à la faire reculer mais seulement pendant quelques secondes. Nullement impressionnée, elle se met à lui aboyer dessus. À son jappement, je comprends qu’il s’agit seulement d’un jeu pour la chienne, mais pas vraiment au goût des autres compétiteurs. Nous décidons donc de profiter de la distraction de Judy pour l’attraper de nouveau, lui mettre son collier et replacer la corde comme une laisse.

Nous ne nous faisons pas avoir une seconde fois par les ruses de la bête sprinteuse et parvenons au bout de plusieurs minutes, me paraissant interminables, à sortir de l’enclos. Plus nous nous éloignons de ce lieu, plus Judy se calme. Elle redevient docile, si tant est qu’elle l’est déjà été. Nous traversons, toutes les trois, le terrain de nos parents pour enfin rejoindre notre famille. Tout le monde observe la scène en silence. Je crois voir certains téléphones portables se baisser et les conversations reprennent comme si de rien n’était, tandis que nous arrivons. Nous rendons donc Judy à ses propriétaires.

— Tu es une vilaine fille ! la gronde José.

— Andréa, tu veux aller te changer ? me demande gentiment ma mère.

Je baisse les yeux et découvre le voilage de ma robe toute neuve en lambeaux. Les petits boutons dûs aux piqûres d’orties sont recouverts par, au choix, de la terre sèche ou de la crotte de moutons. Je passe une main dans mes cheveux et en sors assez de paille pour en faire une litière toute propre pour les pauvres herbivores.

Mais je ne fais pas attention. Une autre scène se joue sous mes yeux. Emma est en train de glousser en tâtant les bras d’un Solal, tout sourire et beaucoup trop charmeur à mon goût. L’amie de ma sœur lui lance des œillades enflammées. Je m’approche d’eux en silence. Ils mettent quelques secondes avant de me voir mais sans surprise, ils cessent immédiatement leur petit manège. Je pose mon regard sur Solal puis dévie lentement vers Emma. J’arbore mon plus beau sourire pour cette dernière.

— Je ne sais pas à quel jeu, tu joues. Mais je te conseille tout de suite d’arrêter.

Ma voix est calme mais ferme alors que mon sourire est à son paroxysme de l’hypocrisie. Je ne lui ferai pas le plaisir de faire de crise de jalousie devant tout le monde. Lui adresser la parole est déjà lui donner trop d’importance mais il est hors de question de me faire humilier devant toute ma famille par une lycéenne ayant les hormones en ébullition.

— Andréa… Je… Je ne… tente-t-elle d’articuler.

J’aimerai avoir meilleure allure pour recadrer le duo. J’ai conscience de ne pas être au summum de ma beauté comme dans les films, où l’héroïne donne une leçon à sa rivale. Peut-être que mon air de folle va me rendre encore plus convaincante.

— Si je te vois encore toucher ne serait-ce qu’un poil de Solal ou lui lancer un regard racoleur, je te crève les yeux.

Solal essaye de poser sa main sur mon bras mais je l’évite. La colère grondant dans mon ventre me donne des envies de meurtre. Mon sourire n’a pas quitté mes lèvres et j’ai prononcé ses phrases d’un ton neutre en articulant bien chaque syllabe.

— J’espère avoir été claire.

Décidant que la conversation était terminée, je tourne les talons et rentre dans la maison. Il est temps de prendre une douche et de me changer.

18h37

Lorsque je sors enfin de la salle de bain, je me sens plus légère. L’odeur d’excréments semble avoir quitté ma peau et mes cheveux mais les piqûres d’ortie sont toujours douloureuses malgré la pommade. J’enfile mon short en jeans préféré, un débardeur noir très échancré dans le dos et ma paire de baskets blanches avant de passer les manches courtes d’un kimono long à franges de la même couleur que mon haut. Je n’ai plus vraiment le même look que ce matin. Tandis que je me sèche les cheveux, Solal fait irruption dans ma chambre et s’assoit sur le bord du lit. Encore fâchée contre lui, je décide de l’ignorer royalement et de faire durer mon séchage plus longtemps qu’à l’accoutumé. Au bout de plusieurs minutes, je finis par débrancher l’appareil. Un silence pesant s’installe entre nous. Ma fierté me souffle de ne pas être celle qui cédera la première et je fais le choix de l’écouter. Je passe devant mon petit ami et vais m’asseoir face à ma coiffeuse en fer forgé.

Nous restons ainsi sans un bruit pendant quelques temps. Moi me maquillant pour la deuxième fois de la journée, lui m’observant. Je ne sais dire si je me fais des idées ou non mais mes yeux gris me semblent plus sombres que d’ordinaire. Les tâches de rousseur sous ses derniers se sont encore plus propagées sur mon visage avec le soleil de la journée. Sans surprise, j’ai même pris un léger coup de soleil au niveau du décolleté. Mes gênes de celtes me jouent souvent de vilains tours lors des beaux jours.

Mon petit ami finit par pousser un soupir avant de se lever. Il secoue légèrement la tête de gauche à droite puis il quitte la pièce sans un regard pour les quelques larmes dévalant mes joues.



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