Iris - VIII

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17h39


L’affrontement suivant risque d’être épique. Un de ceux dont les livres d’Histoire parleront, dont nos descendants se remémoreront des années après notre mort. Tandis que Tata Ann et José terminent d’affronter Solal et Emma, je roule mes épaules pour m’échauffer. Je saute sur place, comme une boxeuse prête à rentrer sur le ring.

— Tu n’en fais pas un peu trop là ? me demande poliment Rudy.

Le malheureux, il n’est pas au courant. La victoire c’est une affaire de famille. Chez les Le Guen, on joue pour gagner. Il n’y a pas de sentiments, pas d’amour qui soit. Surtout quand je joue contre Andréa.

— Arrête, tu vas te froisser un muscle, rit cette dernière.

Rira bien qui rira la dernière. Mon mental de guerrière et moi, nous sommes préparés pour la victoire.

— Tu peux me laisser gagner ? C’est mon anniversaire après tout ! tenté-je de soudoyer l’adversaire.

Après tout, tous les moyens sont bons. Avec une parfaite synchronisation, mes deux concurrentes refusent d’un signe de tête. Tant pis, j’ai voulu leur éviter une défaite humiliante. J’admire leur courage et leur honneur.

Sans surprise, l’équipe adverse me laisse exécuter les premiers lancers. Je me penche pour récupérer les palets au sol. Lorsque je me redresse, je constate que Yanis est face à moi. Il me regarde droit dans les yeux, du haut de son mètre quatre-vingt-cinq. Puis lentement, il se baisse au niveau de mon oreille. Sa joue frôle la mienne. Ce contact m’électrise.

— Bon courage, Iris, dit-il simplement dans un souffle.

Au même moment, Nino arrive à ma droite et me prend par le cou. Eliott l’imite mais en se plaçant à ma gauche. Le charme est rompu.

— Allez championne, on croit en toi ! m’encouragent-t-ils en chœur.

Le regard de Yanis se rembrunit mais il n’ajoute rien. Il s’écarte de moi tandis que mon meilleur ami va également apporter son soutien à ma sœur. Le traitre ! Je m’en rappellerai à l’occasion. Je constate qu’une bonne partie des invités commencent à prendre place autour de nous. Ils veulent sans doute être aux premières loges du duel de l’année. Que dis-je du siècle ! Je n’entends pas trop d’encouragements. Il est sans doute trop compliqué de prendre parti.

Un seul de mes palets atterrit, pas loin du mètre. Le second rebondit sur la planche en bois avant de finir dans la pelouse.

— Dommage, fait Marley avec un sourire narquois.

— Ce n’est que le premier tour, je ne veux pas vous mettre la fessée tout de suite, réponds-je.

La meilleure amie de ma sœur se concentre. Pendant ce temps-là, Mammig et Mamie, assises l’une à côté de l’autre sur le banc en bois mis à disposition, regardent le match en train de se jouer. Du moins, elles en donnent l’impression. J’entends ma grand-mère paternelle hausser le ton soudainement.

— C’est vous qui avez commencé ! Bande de traitres ! C’est aussi l’avis de Raymond !

— Il est normand au moins votre Raymond ? rétorque Mamie.

La querelle Bretagne-Normandie est de nouveau d’actualité.

— Non mais il a vécu parmi vous. L’Histoire en est témoin ! Vous avez essayé de nous envahir ! Mais vous n’avez jamais réussi, bande de fri louz ! réagit vivement son interlocutrice bretonne.

— Je ne vous permets pas de m’insulter dans votre langue maternelle ! Surtout quand je ne comprends pas ce que vous dites ! s’énerve Mamie.

Pour ma part, je me fiche bien de savoir qui a commencé en premier cette stupide guéguerre entre régions. Un élément a toutefois attiré mon attention. Un prénom plus exactement.

— Mais enfin ce n’est pas vous qui êtes visée ! Pas la peine de monter sur vos grands chevaux.

— Mammig ? C’est qui Raymond ? hurlé-je presque pendant que Rudy se prépare à lancer ses palets, finalisant ainsi la première manche.

Le regard de l’aînée bretonne se pose sur moi. Je crois y déceler l’excitation d’une adolescente à l’entente de ce prénom. Elle tente de dissimuler son sourire.

— Un ami de mon club de belotte, me répond-t-elle neutre.

— Un ami ? répété-je amusée de pouvoir taquiner ma grand-mère sur une potentielle amourette.

— Tu ferais mieux de te concentrer sur ce que tu fais, ma kalon .

À ce moment-là, ma sœur me dépose, sans ménagement, mes deux palets dans les mains. Elle me lance une œillade me faisant comprendre qu’elle partage l’avis de Mammig.

— Je n’en ai pas fini avec toi, dis-je en riant.

Je me replace à côté de mon partenaire. Plus près que j’aurai voulu. Il tourne légèrement le visage vers moi. Il n’est plus qu’à quelques centimètres du mien. Un rayon de soleil traverse les branchages de l’arbre sous lequel nous nous trouvons. Il se pose sur les yeux bleus de Rudy. Ces derniers tirent alors vers le turquoise. Comme l’eau des lagons. J’ai envie de me plonger dedans.

— On mène. C’est sans doute pour cela que ta sœur est un peu de mauvaise humeur, chuchote-t-il.

Son souffle caresse ma joue. Je reste ainsi à le fixer sans répondre. Il se recule légèrement pour mieux m’observer.

— Il y a un souci ? J’ai quelque chose sur la figure ? Tu me regardes bizarrement…


17h53

Fred et Fabien viennent de remporter le match les opposant à Tata Ann et José. Solal-Emma et Maman-Tonton Youn viennent prendre leur place.

— Je suis ta belle-mère ! Alors tu me laisses gagner ! tente de menacer Maman, le doigt pointé sur Solal mais les yeux remplis de malice.

Pour l’instant, les regards sont fixés sur nous. Je dois reconnaître que c’est assez stressant. Nous sommes à égalité. Cinq partout. Chaque lancer peut être décisif. Toutefois, le duo adverse a une avance. Marley a collé son palet au mètre. Celui d’Andréa n’est pas loin derrière. C’est désormais au tour de mon partenaire de tenter sa chance.

Il se concentre, prend appui sur sa jambe gauche. Il fléchit légèrement les genoux avant de détendre son corps pour son lancer. Le palet arrive sur la planche. Malheureusement, il est trop loin de celui d’Andréa. Il ne peut pas apporter le point final. Il répète ses gestes, fronçant légèrement les sourcils. Sa concentration est à son maximum. Son palet arrive sur la planche. Tout proche de celui de ma sœur. Mais pas assez, encore une fois. Rudy soupire de déception et je vois ses épaules se voûter légèrement.

— Ce n’est pas grave, lui dis-je pour le rassurer en touchant son bras.

Je devrais jeter l’éponge. Laisser sans réfléchir mes palets. Après tout, la victoire d’Andréa et Marley est certaine désormais. Et puis c’est fatiguant d’être la reine du jour. Mais il y a cette petite voix me disant de continuer. Rudy met sa main sur la mienne, quelques secondes de plus que nécessaire. À cette pensée, je me demande pourquoi est-ce que je le remarque. Je jette un regard à Yanis en pleine discussion avec Fred et Fabien.

C’est désormais à moi de jouer. Je prends une profonde inspiration et expire doucement par le nez. Je ne dois pas trop me rater. Au moins pour ne pas terminer sur une mauvaise note. Je tente de me rappeler les précieux conseils de Laurent quelques heures auparavant. Je me place du mieux que je peux et finis par jeter mon premier palet. Au bout que quelques fractions de secondes me semblant durer des minutes, il arrive à côté de la planche, dans la pelouse. J’ai envie de hurler de frustration. Mais je dois me contenir. Mon tour n’est pas terminé. Je me repositionne et renouvelle ma procédure dans ma tête. Enfin, je lance. Advienne que pourra.

Dans un bruit métallique, mon palet vient déloger celui de Marley. Il prend sa place. Si j’avais voulu le faire, je n’aurais pas réussi. S’en suit un temps de silence avant que nous osions nous approcher de la planche. Nous marquons le point sans contestation possible.

— On a gagné ! crié-je à mon partenaire avant de lui sauter dans les bras. On a gagné !

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