Andréa VIII - b

8 minutes de lecture

17h03


Le match m’opposant à l’équipe de Tata Olé a enfin commencé et je veux être sans pitié. Heureusement, je ne me trahis pas, je n’ai pas à me montrer trop désagréable à sortir le mètre toutes les dix secondes pour savoir à qui reviendra le point. Peu de palets viennent se poser sur la planche. Je ne joue pas pour le plaisir, je veux gagner. Je veux que Tata Olé perde.

— Andréa, tu devrais lancer moins fort tes palets, me conseille doucement Marley.

Elle n’a pas vraiment tort car je remarque que mon projectile a atterri bien plus loin que ma volonté de départ. Pas très loin d’où se trouve actuellement ma tante Hoela d’ailleurs. J’imagine brièvement ce qu’il se passerait si un des palets se retrouvait sur ces pieds puis je fais mon deuxième lancé. Sans que je comprenne comment, il atterrit sur les petons nus de Hoela. Cette dernière râle à cause de la douleur car il faut reconnaitre que le palet pèse son poids. Je tente de cacher le rire qui me monte à la gorge. Comme quoi, cela fonctionne la visualisation positive et ses histoires de karma.

— Fais un peu attention ! gronde-t-elle.

Ma bonne humeur est de courte durée car le gloussement d’Emma parvient jusqu’à mes oreilles. Elle agite sa chevelure de poupée à côté de Solal, vraisemblablement amusé par sa propre blague. Lorsque nos regards se croisent, il n’est plus aussi enjoué. Le contact visuel dure une fraction de secondes avant qu’il ne reporte son attention sur sa partenaire blonde. Mon adversaire semble avoir, elle aussi, épié la scène.

— Les hommes : tous les mêmes.

Je préfère faire la sourde oreille. Je connais son aigreur pour les membres de la gent masculine. Elle, qui a été trahi à plusieurs reprises par des partenaires lui promettant monts et merveilles.

Les lancés s’enchainent et se ressemblent. Peu de palets arrivent à destination, ce qui ne m’étonne pas vraiment vu les novices que nous sommes. Pourtant Marley et moi menons.

La partie ayant commencé en même temps que nous est finie depuis longtemps. Elle a duré seulement trois tours. Laurent, mon cousin, est un adepte du palet breton. Il y joue régulièrement avec ces amis motards lors de barbecues estivaux. Il me semble l’avoir entendu se vanter de s’être entrainé, avant de venir. D’ailleurs le second exemplaire du jeu lui appartient. Cela ne m’étonne pas vraiment de lui. Cet ancien militaire aime montrer qu’il est le plus fort. Au vu de notre différence d’âge, je ne le connais pas tant que cela. Sa fille aînée, absente aujourd’hui, a presque l’âge d’Iris. Quant à son garçon, Kilian, autrefois très turbulent, il a découvert les jeux vidéo il y a quelques temps. Il passe désormais les réunions de famille sur son smartphone à combattre zombies ou à récolter des friandises. Tata Ann et Tonton Youn, ses grands-parents, se plaignent souvent de son manque de communication. Personnellement, cela me convient parfaitement. En tant qu’aînée, je ne suis, en effet, plus dans l’obligation de le surveiller pour éviter sa prochaine bêtise. La dernière en date était d’avoir collé des chewing-gums, à moitié mâchouillés, derrière tous les meubles de la maison. En plus de ne pas avoir pu profiter des friandises, nous avons dû aider Maman à les retirer.

Bien que la partenaire de Laurent, Nelly, soit sans doute encore plus mauvaise lanceuse que moi, le duel s’est terminé en trois manches. Le quadragénaire a réussi à placer correctement ses deux palets alors que l’équipe adverse semblait avoir compris que le but du jeu était de les lancer le plus loin possible de la planche. Il a donc ramené deux points à chaque tour à son équipe. Le calcul est vite fait, sachant que la victoire est acquise au bout de six points.

C’est désormais au tour d’Eliott et João d’affronter Papa et Mamie. Cette dernière a une moue légèrement renfrognée, pas franchement décidée à mettre du sien. Mon père garde son sourire tandis qu’Eliott et João sont en train de pousser des cris guerriers afin de se motiver. L’ambiance n’est pas vraiment la même de notre côté où un silence pesant plane. Marley s’apprête à lancer. Nous sommes à un point de la victoire, autant dire que c’est une balle de match. Plus tôt se sera finit, mieux je me porterai. À croire que ma meilleure amie est télépathe car elle parvient à placer son deuxième palet sur la planche. C’est au tour de Nino. Le jeune homme n’a pas prononcé un mot depuis le début de la partie. Je dois reconnaître qu’il n’a pas été très chanceux pour le tirage au sort. Je le plains.

— Allez Nino ! Tu peux le faire ! fais-je pour me montrer bienveillante.

— Pourquoi tu encourages mon co-équipier ? Tu essayes de le déstabiliser ?

La sympathie est un concept qui échappe parfois à ma tante, apparemment. Un demi-sourire s’esquisse sur les lèvres du jeune homme. Il comprend alors pourquoi je lui apporte mon soutien. Malheureusement pour lui, cela ne lui porte pas chance car il ne parvient pas placer un palet plus proche du mètre que celui lancé par Marley. Laissant sa joie débordée, cette dernière me prend dans les bras et se met à chantonner un « on a gagné ! on a gagné ! ».

— Les Queen sont dans la place, se réjouit-elle en levant ses deux mains pour que je tape les miennes contre.

Je souris jusqu’aux oreilles, fière de cette revanche sur ma tante. Nino s’approche de nous pour nous serrer la main et nous féliciter de cette victoire. Sans grand étonnement, il n’est pas imité par Tata Olé, déjà partie à l’opposé.


17h29

Ayant récupérer mon appareil photo, je décide de rester un peu dans les parages pour voir comment se défend Mammig avec sa coéquipière brésilienne.

— Ma koulin …

— Mammig, tu devrais éviter de parler breton avec Tayana. Le français est déjà suffisant compliqué.

Ma grand-mère paternelle m’attrape le bras pour se soutenir et ainsi éviter de se prendre les pieds dans l’herbe. Avec l’âge, elle connait quelques difficultés à les lever plus haut. C’est sans doute à cause de son habitude de porter des sabots pour aller dans le jardin que ses pas ne se décollent pas du sol.

— Je lui apprends le breton, elle m’apprend le portugais.

Je souris à l’idée que Mammig apprenne une nouvelle langue à quatre-vingts ans passés. Elle arrive toujours à nous surprendre. J’aimerai être aussi vive d’esprit lorsque je serais grand-mère.

— Félicitations pour ta victoire, me dit-elle avec un éclat de malice dans les yeux. Ça va lui faire les pieds à ma fille, tiens.

Surprise par les propos de mon interlocutrice, je préfère ne rien dire afin de ne pas envenimer la situation.

— C’est pas parce qu’elle n’a pas eu une vie facile qu’on doit se laisser marcher sur les pieds, tu sais. « Bon » ça s’écrit avec un B pas avec un C.

Je ne réponds toujours rien mais ma grand-mère sait que j’ai entendu. Même si j’y penserai à l’occasion, c’est toujours plus facile à dire qu’à faire. Tata Olé a perdu Pierre, son fils ainé, il y a moins d’un an dans un accident de voiture. Je ne suis pas encore mère alors je ne sais pas ce qu’elle peut ressentir. Perdre son enfant n’est pas dans l’ordre normal des choses.

Toute ma famille s’est montrée présente. Ce drame nous a rapproché, même s’il est triste de devoir vivre ce genre de tragédie pour se rendre compte de la valeur de nos proches. Chacun a apporté son aide, que ce soit pour l’organisation de l’enterrement, le tri dans les affaires de mon défunt cousin, les démarches administratives. Mes parents ont reçu Hoela quelques temps à la maison pour pas qu’elle ne reste seule.

Malheureusement, son aigreur et sa frustration causé par une vie qu’elle aurait voulu vivre autrement, n’a fait que s’intensifier à partir de ce moment. Et même si ces propos sont souvent désagréables, je ne me vois pas lui dire le fond de ma pensée. Faire autrement serait égoïste et sans doute méchant de ma part.

— C’est à ton tour de jouer Mammig, réponds-je simplement avant d’aller me placer face à elle.

Je règle le zoom afin de faire un beau portrait de ma grand-mère. Je me concentre afin de ne pas être perturbée par les demandes incessantes d’Eliott pour que je le prenne en photo pendant son lancer. Je grogne un « plus tard » entre mes dents.

Mammig sourit de toutes ses dents, enfin de tout son dentier, en réalité, et semble très amusée d’être sous le feu des projecteurs. Alors j’immortalise sa pause car c’est ainsi que je veux me rappeler d’elle plus tard. Emue à cette idée, je prends encore quelques clichés de ma grand-mère en pleine action.

À ce moment, j’ai une pensée pour la grand-mère de Solal, partie quelques temps avant son envol pour l’Australie. Bien que le projet lui trottât déjà dans la tête, il a ressenti cette urgence de voyage après son décès. Alors il est parti sans qu’on puisse vraiment en discuter. J’avais pris cela comme une manière de faire son deuil. Chacun gère son chagrin à sa façon. Je ne lui ai pas reproché. Jamais. Malgré ma vexation, d’avoir été ainsi rejetée. Solal est un être solaire mais dans ce genre de moments, ceux qui lui font éprouvés de la tristesse, il préfère se refermer, intérioriser car selon lui, cela finira bien par partir.

Je balaie du regard l’assemblée afin de savoir où il est. Peut-être est-il calmé et nous pourrons avoir une conversation plus calme désormais. Je finis par le trouver à quelques dizaines de mètres de moi, en compagnie de Clara, Iris et d’Emma. Derrière elle, il lui montre comment tenir et lancer un palet. Ils s’entrainent. La jeune fille parait apprécier l’attention que lui porte mon petit ami. Mon cœur se serre lorsque je remarque qu’ils sont proches physiquement.

— Mais enfin Tonton qu’est-ce que tu fais ?

Le fil de mes pensées est interrompu par les rires de mon autre cousin, Fred, le fils d’Hoela, et de son partenaire de jeu, Fabien, observant le match. Ils se tiennent le ventre tellement ils sont secoués par leur hilarité. Tonton Yvan est tout penaud, ne comprenant pas pourquoi est-ce qu’on se moque de lui. Quant à Tata Zizi, elle reste très en retrait. Ses yeux passent à plusieurs reprises de mon oncle aux deux hommes sur le point de mourir de rire. Mammig s’approche de la planche sur laquelle trône une drôle de chose. Elle n’était pas là quelques secondes auparavant. J’imite alors ma grand-mère paternelle.

— Qu’est-ce que c’est ? soufflé-je face à ce truc non identifié.

— Un morceau de bois… Oh ça va, si on ne peut même plus rigoler ! s’emporte Tonton Yvan, vexé.

Je sais alors que mon oncle a voulu plaisanter en présence de sa belle-mère. Il avait l’intention de lui faire croire qu’il avait remporté le point, en plaçant « quelque chose » sur la planche plus près du mètre qu’elle.

— Ce n’est pas un morceau de bois… commence Fabien en essuyant ses larmes.

— C’est une vieille crotte séchée !

Le rire des deux acolytes redouble alors de plus belle. Ils sont suivis par le reste des spectateurs du duel. Il semblerait que l’on ait oublié quelques saletés animales en nettoyant la pelouse, hier.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Mlle_Evangeline ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0